En un an, Mamadi Doumbouya s’est séparé à trois reprises de ministre de la Justice. Il a autant de fois déplacé les magistrats. Une instabilité qui donne l’impression que la justice, «boussole» de la transition, est devenue un jouet entre les mains de la junte.

Mamadi Doumbouya a de nouveau signé, lundi 19 septembre, des décrets de nominations/mutations de magistrats au sein de l’appareil judiciaire guinéen. La troisième fois en un an de gouvernance CNRD qui, à sa prise du pouvoir le 5 septembre 2021, avait juré sur tous les saints sa détermination à redonner au troisième pouvoir son indépendance et son impartialité. Que nenni !

La transition a déjà connu trois ministres de la Justice : Fatoumata Yarie Soumah (2 novembre – 31 décembre 2021), Moriba Alain Koné (31 décembre – 8 juillet 2022) et Alphonse Charles Wright depuis sa prise de fonctions le 12 juillet. Chacun de ces trois ministres a procédé à son mouvement de magistrats. Outre le fait qu’il manquait de repères, il était reproché à Moriba Alain Koné d’avoir en son temps usé du népotisme: il avait placé plusieurs de ses proches, dont son neveu, à la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief).

Charles Wright place ses hommes

Pour revenir à ce dernier mouvement, il a lieu alors que le garde des Sceaux, ministre de la justice et des droits de l’homme est engagé dans un bras de fer avec les magistrats qui lui reprochent de ne pas se conformer à la loi dans ses poursuites judiciaires. Le président de leur association, Mohamed Diawara, a été suspendu par Alphonse Charles Wright pour avoir signé le communiqué de protestation. Mohamed Lamine Konaté, qui assurait son intérim depuis le mois d’août, est désormais confirmé comme procureur spécial près le tribunal pour enfant. Diawara qui conteste sa suspension à la Cour suprême reste sans poste, à l’issue de ce jeu de chaises musicales.

A l’inverse, Pierre Lamah, le désormais ex-président du tribunal du commerce, a été finalement parachuté président de la sixième Chambre civile, économique et administrative de la Cour d’appel de Conakry. Il est à l’origine du bras de fer avec Charles Wright qui le poursuit pour «détournement» d’argent, sans saisine préalable du Conseil supérieur de la magistrature. L’on ignore à ce stade si sa nomination est une réelle promotion, une sanction camouflée ou encore une manière de clore l’affaire.

Par ailleurs, le magistrat Yamoussa Conté, précédemment président du tribunal de première instance de Labé, devient Procureur général près la Cour d’appel de Conakry. Un poste resté vacant depuis deux mois, après que Wright a été propulsé ministre de la Justice.

Enfin, le mouvement de magistrats du 19 septembre a musclé davantage la composition du tribunal de première instance de Dixinn, à une semaine de l’ouverture du procès sur le massacre du 28 septembre 2009. Si c’est la juridiction territorialement compétente pour juger ces crimes, faut-il rappeler que les autorités ont créé un tribunal ad-hoc et le garde des Sceaux a récemment organisé la formation d’un groupe de magistrats parmi lesquels sera sélectionné le collège qui siégera au procès. Ce qui n’a pas manqué de suscité la désapprobation des conseils des accusés qui jugent illégal de remplacer le TPI de Dixinn par une juridiction spéciale.

Des nominations contraires à la loi?

Toutefois, selon l’avocat Mohamed Traoré, également membre du CNT, à travers ce décret d’affectations ou de nominations de magistrats, «se dessine la composition de la future formation de jugement qui sera appelée à juger le dossier du “28 septembre”. En réalité, cet acte semble être purement circonstanciel. Tout porte à croire qu’il s’agit de renforcer l’effectif du tribunal de première instance de Dixinn, dans la perspective de la désignation des magistrats qui vont gérer ce dossier». Un procédé qui n’est pas exempt de critiques. «Comment comprendre que des présidents de tribunaux se retrouvent subitement “simples juges”? La même question se pose à propos de procureurs de la République qui deviennent, sans aucune faute de leur part, des substituts du procureur. Si ce n’est pas une rétrogradation, c’est loin d’être un avancement.»

Il y a aussi que le principe de l’inamovibilité protège les magistrats «du siège contre les déplacements intempestifs par l’autorité de nomination. Selon ce principe, ces magistrats ne peuvent être déplacés, même par avancement,  sans leur consentement», explique l’avocat. Et pour cause ?

«Certains avancements constituent en effet un moyen très subtil de “se débarrasser” d’un juge dont les décisions ne plaisent pas au pouvoir exécutif. C’est pourquoi, même dans l’hypothèse d’un avancement, le consentement de l’intéressé est requis. Je suis sûr que ce principe n’est pas toujours respecté. Même si c’était le cas, je doute fort que des magistrats aient parfois le courage de dire non à leur déplacement». La junte est en passe de devenir la boussole qui indique à la justice la direction à suivre.

Diawo Labboyah Barry