Le procès du massacre du 28 septembre 2009 s’est poursuivi ce 20 mars au tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à Kaloum. Amadou Oury Bah, président du comité d’organisation de la manifestation du 28 septembre 2009 a comparu, en tant que témoin. Il a rendu un hommage aux victimes et a remercié les autorités qui ont permis l’organisation du procès. Bah Oury a rappelé les derniers moments de la gouvernance du général Lansana Conté. Il a appartenu aux dernières heures de cette gouvernance comme ministre de la Réconciliation nationale.
De la constitution des Forces vives
Amadou Oury Bah a évoqué la constitution des Forces vives de la nation en février 2009, à la bourse du Travail à Conakry. La création des Forces vives visait à rassembler toutes les forces désireuses d’être ensemble, pour être les interlocuteurs privilégiés du CNDD, la junte d’alors dirigée par Capitaine Moussa Dadis Camara. Selon Bah Oury, jusqu’au mois d’avril, les relations étaient relativement bonnes. L’ombre a commencé à planer sur les têtes de tout le monde, lorsque le président Dadis a exprimé, à Kaloum, de manière publique, sa volonté d’ôter la tenue, pour se présenter candidat aux élections devant marquer la fin de la transition. Ce qui était en contradiction avec ses engagements de départ disant que le CNDD ne va pas se présenter. « Nous avons essayé de désamorcer la crise qui s’annonçait, nous sommes allés au niveau du secrétariat permanent du CNDD, chez Moussa Keita, pour dire que cette déclaration remettait en cause tout ce qui a été conçu et accepté par les deux parties. Nous sommes venus pour leur dire de reconsidérer leur position. Un jour, Jean-Marie Doré, El Hadj Mamadou Bhoye Barry et moi, nous sommes rendus au camp Alpha Yaya vers 1h du matin. Nous y sommes restés jusqu’à 4h du matin, nous n’avons pas pu rencontrer le capitaine Moussa Dadis. Et personne n’est venu s’enquérir de nous. Nous voudrions lui rencontrer dans un cadre informel, pour lui expliquer de reconsidérer sa position. En ce moment, la situation se corsait, la tension montait ». Bah Oury explique que les intimidations avaient commencé. En exemple, il cite le blocage de Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG, lors d’une tournée à l’intérieur du pays.
Le secrétaire permanent du CNDD, Moussa Kéïta, est allé dire à N’Zérékoré : « Dadis ou la mort ». A partir de là, la situation politique s’est détériorée. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le président Abdoulaye Wade a été invité par le CNDD, il est venu et le CNDD a rassemblé une foule à l’esplanade du Palais du peuple, pour montrer sa popularité, pour soutenir ce qu’il avançait. Du haut de la tribune, rappelle Bah Oury, le président Wade a déclaré : « Je vois que le CNDD est populaire, je vais prendre la vidéo de ce monde, pour montrer à mes pairs de l’Union Africaine, le soutien que le CNDD bénéficiait de sa population. Ainsi, les forces vives ne pouvaient pas rester bras croisés. C’est à partir de là que nous avons dit que, si c’est cette foule qui va légitimer une éventuelle candidature du capitaine Moussa Dadis Camara, il nous faut montrer que la réelle légitimité était du côté de la population guinéenne. Nous ne voulions pas d’une dictature militaire, nous voulions la démocratie. »
Du choix de la date
Bah Oury a indiqué que la date du 28 septembre n’était pas choisie au hasard. C’était pour rendre hommage à cette journée du 28 septembre 1958 où la Guinée a opté pour l’indépendance. « Nous voulions que le 28 septembre 2009 soit l’autre version du 28 septembre 1958, pour dire non à la dictature, oui à la démocratie. L’objectif n’était pas de sortir pour créer des dégâts. Nous avions indiqué, de manière formelle que c’était une manifestation pacifique. Une lettre d’information a été envoyée aux municipalités le 23 septembre 2009, ils ont répondu, une autre a été envoyée au ministère de la Jeunesse et des Sports. »
Du massacre
« Le matin du 28 septembre, à 8h, nous nous sommes retrouvés chez le doyen Jean-Marie Doré, mais lui, il était un peu réticent pour aller au stade, il aurait reçu des confidences, il aurait reçu des menaces. Et le président Sidya Touré également avait reçu un appel, la nuit, pour lui dire de reporter la manifestation. Comme les religieux devaient venir pour entamer une médiation, nous avons dit de laisser le doyen Jean-Marie Doré de les recevoir. Et comme les gens déferlaient et s’amassaient autour du stade, nous avons décidé d’aller rencontrer la population ». Bah Oury a expliqué qu’au niveau de l’université, ils (les leaders) ont rencontré un dispositif du colonel Moussa Tiegboro Camara, des discussions se sont engagées. Pendant ce temps, une foule immense en provenance de Hamdallaye arrivait. Le dispositif a sauté, les manifestants ont réussi à passer pour aller à l’esplanade du stade. Il y avait des jets de pierre. « Normalement, on ne devait pas entrer dans le stade, puisqu’il était fermé. Arrivé à l’esplanade, personnellement, j’étais surpris que nous avons été happés par la foule qui nous a portés sur leur dos, nous a fait entrer à l’intérieur du stade. Beaucoup de gens croyaient que le fait d’entrer dans le stade était considéré comme si on a gagné la bataille. Raison pour laquelle certains jeunes se sont mis à prier sur la pelouse. Quelques temps après, il y a eu des tentatives de tenir des discours, mais c’était inaudible, puisqu’il y avait du monde, trop de bruit. Il y a eu de détonations de gaz. Au moment où j’étais au niveau des gradins, j’ai remarqué des jeunes contrairement à ce que nous avions indiqué, avaient des masques de fer et autre chose qui me semblait bizarre. Je n’ai pas accordé d’importance à cela. C’est dans ce processus que des détonations, de coups de fusils ont commencé. Après, on a vu des militaires, principalement des bérets rouges, venir vers les leaders pour leur demander de descendre. J’ai dit qu’ils sont venus nous arrêter. En descendant de la tribune, j’ai vu El Hadj Cellou qui avait maille à partir avec un policier. Et une bataille s’est engagée. J’ai reçu un coup qui m’a sonné, mais je n’étais pas déstabilisé. Entre temps, un militant de l’UFDG avait ramassé un fusil qui était tombé, je lui ai dit de le déposer. Il a obtempéré. Celui qui a exprimé de manière formelle, c’était le commandant Toumba Diakité, des coups pleuvaient. Je ne peux pas dire de manière précise ce qui se passait à côté de moi. C’était une question de vie ou de mort. Monsieur Cellou Dalein Diallo avait reçu des coups, couché. Un coup de fusil avait blessé son garde du corps. Je ne pouvais pas les laisser là. J’ai demandé à un de nos militants qui s’appelle Abdoulaye 3, qui m’a aidé malgré les coups, pour le sortir de la pelouse. Nous étions poursuivis par des gens armés d’armes blanches, un autre avait un long bâton, il nous assommait ».
C’est dans ce Tohubohu, témoigne Bah Oury, qu’il a aperçu le colonel Tiegboro, entrer dans le stade. Il est allé vers eux. Ceux qui les agressaient ont cherché à faire autre chose. En sortant du stade, Bah Oury affirme avoir vu un groupe de militaires, en train de tabasser une femme, en la déshabillant. Moussa Tiegboro a pris Bah Oury et Cellou Dalein, pour les envoyer à la clinique Ambroise Paré, dans le quartier Kameroun. Là, des militaires ont menacé de lancer des grenades, si les leaders étaient soignés dans la clinique. Ainsi, Tiegboro les a envoyés à l’infirmerie du camp Samory, puis à la clinique Pasteur.
L’audience se poursuit.
Mamadou Adama Diallo