Elles sont nombreuses, les Excellences ministérielles du bouillant goubernement de notre Mamadi national à sortir de leurs bureaux douillets de Cona-cris pour « des visites  de terrain » à travers le pays, souvent reconnaissables, grandeur nature, sur le petit écran de l’infatigable RTG. Le casque de l’ouvrier sur la tête, telle Excellence explique, à la place du technicien, l’inéluctable  avancement des travaux dans tous ses domaines.

Rien ne vaut la visite de chantier par un ministre, dans un pays où « la communication » est réputée se dérouler à sens unique. Ainsi, le Guinéen lambda finira par se rassurer, les chantiers d’infrastructures publiques sont en avance sur le programme; l’autosuffisance alimentaire se portera de mieux en mieux, les champs de riz, de maïs ou de fonio  s’étendant à perte de vue, « d’ici jusque-là-bas; » un bateau d’engrais azotés est incessamment attendu « afin de booster la production locale en vue de satisfaire les besoins de la population…» Ces visites  nous édifient également sur la couleur de la dernière cargaison de poissons débarquée avant-hier soir au port de pêche de Boulbinet, que nous devons à la coopération japonaise. Ou encore sur l’étendue de la ferme d’un brave investisseur guinéen, le nationalisme à fleur de peau, « qui contribuera efficacement au développement du pays à travers l’élevage de poulets.» Les précisions, les statistiques, on peut arrêter-là.

Mais un hic, un revers de la médaille. Portant sur ce qui pourrait s’assimiler au « service après-vente, au suivi des visites. » Apparemment, les clés rendues, la cérémonie inaugurale bouclée, nos Excellences ministérielles trainent le pas. Inauguré en août 2022 sous une pluie torrentielle, le super complexe hospitalier de Donka n’est pas  tout à fait fonctionnel en octobre 2023. Il arrive au ministre de la Santé de faire des visites occasionnelles de terrain, mais c’est pour accompagner des cartons de médicaments dans des bourgades de l’intérieur du pays, comme si son ministère manquait de cadres capables de décharger des marchandises, fussent-elles médicamenteuses.

On pourrait même déplorer quelque manque de solidarité gouvernementale en matière de « présence sur le terrain. » Toute l’équipe du Colonel aurait dû sortir des bureaux à intervalles réguliers. Sûr qu’un simple tour, à l’aube, du ministre de la Sécurité, dans les commissariats de Ratoma, Matoto et Coléah, autorisés à délivrer des passeports, aurait montré que la majorité des Guinéens veut quitter le pays en même temps. Que nous avons  battu le record de la traversée de la Méditerranée à la sueur de nos fronts. Une visite de terrain par  le patron du département de l’Environnement aurait mis en évidence que les opérations d’assainissement mensuelles de la capitale  consistent, en gros, à faire tourner les ordures en rond : le premier mois, elles occupent le côté droit du fossé, le mois suivant, le côté gauche, sous l’œil amusé d’Albayrak. Mory-Sans- Dents Kouyaté n’aurait eu de choix que celui d’avertir son homologue de l’Élevage que la sécurité de ses visiteurs, diplomates pour la plupart, n’est pas du tout assurée. A cause des animaux en divagation qui inondent le secteur. « Existe-t-il un maire à Ratoma ? » finira-t-il par se demander un jour. Dans l’affirmative, pourquoi donc ne sort-il pas de temps en temps, lui aussi ?

Diallo Souleymane