En Guinée, le nouveau Premier ministre Bah Oury choisit RFI pour accorder sa première interview et il annonce que le référendum constitutionnel doit se tenir avant la fin de l’année. Est-ce à dire que la transition militaire ne va pas s’arrêter en décembre prochain, comme l’avait pourtant promis le général Doumbouya, et que les civils ne reviendront pas au pouvoir avant 2025 au plus tôt ? En ligne de Conakry, le Premier ministre s’exprime aussi sur les pénuries de carburant et d’électricité.
RFI : Il y a deux semaines, la Guinée a été secouée par notamment une grève générale. Est-ce c’est pour faire face à cette crise que les militaires du CNRD vous ont appelé à la Primature ?
Bah Oury : Ces événements ont été un électrochoc pour amener le CNRD, le général de corps d’armée Mamadi Doumbouya à prendre des mesures radicales pour dissoudre le gouvernement et par la suite me demander d’accepter le poste de Premier ministre, chef du gouvernement.
Et vous avez accepté…
J’ai accepté parce que c’est un devoir et une responsabilité vis-à-vis de mon pays et du peuple de Guinée.
Le lendemain de votre nomination, on a appris la libération du secrétaire général du Syndicat des professionnels de la presse de Guinée. Est-ce que vous êtes pour quelque chose ?
La Guinée a besoin d’apaisement, d’une profonde décrispation. La libération de M. Pendessa est une décision judiciaire où le gouvernement n’a pas une prise directe et ne doit pas interférer.
Mais vous avez peut-être souhaité qu’il soit libéré au moment où vous preniez vos nouvelles fonctions…
Bien entendu ! Nous avons, dans le contexte actuel, intérêt à ce que le climat sociopolitique s’apaise. Nous faisons face à beaucoup de défis liés à l’explosion du dépôt de carburant, à une demande sociale restée longtemps insatisfaite qui remonte en surface, aggravée par une inflation mondiale avec un impact sur la vie des Guinéens qui ont du mal à joindre les deux bouts.
Vous dites que vous venez à la Primature pour décrisper la situation. L’une des causes de la grave crise ce sont les coupures de chaînes de radios et de télévisions indépendantes, les restrictions sur internet… Est-ce que tout cela va cesser ?
La semaine dernière, j’ai déjà rencontré, à ma demande, les professionnels des médias. Nous avons eu à échanger sur la question. Dans les prochains jours, nous allons travailler à ce que la situation redevienne normale. En ce qui concerne l’internet, la restriction a été levée.
Quand vous dites aux patrons des médias que la situation allait redevenir normale, c’est du point de vue des chaînes de radios et de télévisions qui sont actuellement coupées ou brouillées ?
Peut-être que je n’ai pas dit exactement que ça redeviendra normal, mais j’ai pris en compte leurs doléances et leurs préoccupations. Je vais en discuter avec le président de la République, le général Doumbouya, pour avoir son point de vue. Et je pense que l’état d’esprit qui doit prévaloir à l’heure actuelle, c’est celui de décrispation. Comme les médias, notamment les responsables, vont mettre en place un organe d’autorégulation interne, je pense qu’ils ont pris bonne note de la nécessité de moraliser et de discipliner une nouvelle génération de journalistes qui sont beaucoup plus dans la culture des réseaux sociaux que dans celle d’un professionnalisme avéré, en ce qui concerne le métier du journalisme.
Depuis l’explosion du principal dépôt de carburant de Conakry, le 17 décembre dernier, il y a pénurie de carburant, plus de délestage d’électricité qu’avant. Qu’est-ce que vous comptez faire pour remédier à tout cela ?
Cette situation, vraiment, a été une catastrophe nationale, avec bien entendu les pertes en vies humaines. Il faut faire face notamment aux besoins de la population affectée, pour retrouver, avant la saison des pluies, des logements décents et puis assurer l’approvisionnement en carburant du pays. J’espère que, dans les prochains mois, on pourra parvenir à assurer une desserte tout à fait régulière en attendant la construction d’un nouveau dépôt. En ce qui concerne la question de l’électricité, on se bat actuellement avec les équipes concernées pour trouver des solutions, quitte à débourser des montants qu’on aurait pu utiliser dans le secteur des investissements pour avoir la capacité de produire plus d’électricité, d’où la nécessité de faire appel à un bateau qui abrite des groupes thermiques pour assurer une capacité de production supplémentaire.
Donc il y a dans le port de Conakry un bateau qui fait centrale thermique en quelque sorte, c’est ça ?
Oui, c’est bien ça. Mais le bateau n’est pas encore là. Nous sommes en train de voir avec toutes les structures concernées pour activer l’arrivée de ce bateau et avoir une capacité supplémentaire de production d’électricité.
Depuis l’arrivée au pouvoir des militaires du CNRD il y a deux ans et demi, le dialogue est très difficile avec les trois grandes formations politiques du pays : le RPG d’Alpha Condé, l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et l’UFR de Sidya Touré. Que comptez-vous faire pour convaincre ces grands partis de parler avec le pouvoir et avec vous ?
Vous savez, chaque chose en son temps. Dans la première phase, il y avait eu des crispations qui sont nées de manière presque spontanée. Après deux ans et demi maintenant, le temps a permis de ramener la raison au niveau de la plupart des acteurs. Et suite à ma nomination, j’ai reçu les encouragements et les félicitations des acteurs que vous venez de citer. Donc nous allons renforcer cette dynamique de décrispation. Nous allons travailler à ce que tout le monde se retrouve autour de la table pour que la Guinée puisse revenir à un ordre constitutionnel normal et par la suite baliser le chemin pour une gouvernance vertueuse, équilibrée, consensuelle, pour en finir avec plusieurs décennies d’errance et de soubresauts qui affectaient la paix sociale et la stabilité du pays.
Et est-ce que vous avez parlé récemment avec votre ancien camarade de parti, Cellou Dalein Diallo ?
72 heures après ma nomination, lui-même a pris l’initiative de m’appeler pour me féliciter et m’encourager.
Et que lui avez-vous répondu ?
Je lui ai répondu que je le remercie et qu’il est temps que nous tous, nous travaillions pour assurer un retour à un ordre constitutionnel.
Il vous a évidemment demandé si vous étiez favorable à son retour d’exil, qu’en pensez-vous ?
Non, nous n’avons pas évoqué cette question.
Quand vous avez accepté de venir à la Primature, vous avez nécessairement demandé aux miliaires du CNRD et au général Mamadi Doumbouya combien de temps allait encore durer la transition. Qu’est-ce qu’ils vous ont répondu ?
Je pense que la durée de la transition dépend de ce qui va être fait sur le terrain. Nous avons besoin de finaliser la mise en place du Recensement administratif à vocation d’état civil (RAVEC, ndlr). De ce fichier d’état civil, il y aura l’extraction pour avoir le fichier électoral. A partir de l’établissement du fichier électoral, le referendum a été déjà indiqué comme étant un objectif majeur par le président du CNRD, le général Mamadi Doumbouya. Donc d’ici la fin de l’année, il faut nécessairement que le referendum constitutionnel puisse être tenu. A partir de ce moment-là, les autres processus électoraux vont être déclinés.
Ce qui vous laisse espérer une fin de la transition l’année prochaine, en 2025 ?
J’espère que nous tiendrons le cap, et ce qui est en train d’être fait va dans cette direction.
S’il y a un referendum avant la fin de l’année, peut-on espérer un retour à l’ordre constitutionnel normal d’ici un an ?
Je ne peux pas me prononcer puisqu’il y a beaucoup de contingences. Dans un contexte où nous accusons une fragilité sur le plan économique, sur le plan financier, nous devons travailler à une stabilisation, à une décrispation politique pour avoir la possibilité d’examiner et de faire les étapes des chronogrammes dans une relative sérénité, donc l’objectif c’est de finir cela. Et je pense que 2025 est une bonne période pour couronner l’ensemble du processus, et toujours avec l’aide de Dieu, parce que, par exemple, l’explosion du dépôt de carburant a été vraiment un coup très dur et qui impacte l’ensemble des activités de l’Etat aujourd’hui.
Source : RFI