Dans cette interview exclusive, le nouveau Premier ministre revient sur son parcours (scolaire, académique et politique), ses relations avec Cellou Dalein Diallo, les circonstances de sa nomination, ses priorités…
La Lance : Parlez-nous de vous, de votre famille et de votre parcours de la Guinée en France, en passant par le Sénégal.
Amadou Oury Bah (Bah Oury, pour les intimes) : Je suis un père de famille de cinq enfants, dont deux filles. J’ai un petit-fils qui porte mon nom. Je n’ai qu’une sœur de même père, même mère.
Vous êtes monogame ?
Bien entendu (rires) !
Je suis né à Kigna, dans le district de Douyèbhè Sally relevant de la commune urbaine de Pita. A cinq ans, mon père a décidé de m’emmener au Sénégal pour étudier. Pour des questions de sécurité et d’épanouissement, il a estimé qu’il fallait m’éloigner du terroir, ayant été confronté durant toute son enfance à des problèmes de terres. Il ne voulait pas que je grandisse dans un tel environnement. Il m’a donc envoyé auprès d’un oncle maternel, à Dakar.
J’ai fait mes études primaires à la Mission catholique de Diourbel. Je devais continuer au Lycée Faidherbe, à Saint-Louis, mais pour des raisons pécuniaires et de famille – il fallait être hébergé, on a préféré que je reste à Diourbel pour faire le collège d’enseignement général. J’y ai passé quatre années. Ensuite, je suis allé au Lycée Van Vollenhoven de Dakar, pour faire la seconde, la première et la terminale.
Avez-vous entamé l’université à Dakar ?
Non, j’ai eu l’avantage à Van Vollenhoven d’être dans une classe très brillante, en compagnie de nombreux dirigeants sénégalais : Makhtar Diop qui est à la tête de la Société financière internationale du groupe de la Banque mondiale ; Serigne Mbaye Thiam, ministre dans l’actuel gouvernement ; Mamadou Lamine Diallo du Mouvement Tekki, candidat à la présidentielle ; l’ancien Premier ministre et candidat, Mahammed Boun Abdallah Dione. Il y en a d’autres qui sont particulièrement brillants et qui constituent l’élite du Sénégal d’aujourd’hui. C’est avec eux que j’ai fait la première et la terminale, en sciences mathématiques. Au concours général des meilleurs élèves du lycée du Sénégal, j’ai obtenu des prix dans différentes matières. Cela m’a valu d’être distingué par le président Senghor. Il fallait la nationalité sénégalaise pour obtenir la bourse du Fonds d’aide et de coopération de la France. Mon proviseur, M. Wann et mon professeur de physique ont pris des initiatives pour me naturaliser.
C’est nanti de cela et de l’assentiment du président Senghor que j’ai intégré les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques du lycée Louis-le-Grand. D’éminentes personnalités, comme le président Senghor qui était en hypokhâgne (classe préparatoire littéraire), l’actuel et célèbre philosophe Souleymane Bachir Diagne, y ont fait leurs études. Ce dernier fait partie de ceux qui nous ont reçus lors de notre entrée en maths sup spé, nous ont « bizutés. » J’ai préféré faire les mathématiques pures à l’université Pierre et Marie Curie de Jussieu que d’aller à l’école des ingénieurs des travaux publics.
Au terme de vos études, vous rentrez directement en Guinée ?
Je les ai terminées pratiquement dans la période 1983-1984. Suite au décès du président Sékou Touré, j’ai fait partie d’une frange importante de l’élite guinéenne à l’étranger qui aspirait au retour au bercail. Je suis rentré donc définitivement fin 1986.
En Guinée, vous travaillez comme banquier et vous vous lancez en politique.
Déjà, c’est une motivation politique qui m’a fait revenir en Guinée. J’aurais pu aller au Sénégal, mais je voulais apporter ma contribution à l’édification d’une société démocratique réconciliée et unie. Dès mon retour, nous nous sommes activés à créer les mouvements qui ont donné naissance à des partis politiques et à l’Organisation guinéenne pour la défense des droits de l’homme.
A l’avènement de la démocratie en 1990, vous avez 32 ans et côtoyez vos aînés de l’opposition comme Alpha Condé, Bâ Mamadou, Siradiou Diallo…On vous arrête…
Ma première arrestation c’était le 25 novembre 1990, on venait de jeter les bases de l’OGDH. Y avait eu une manifestation estudiantine lors de laquelle le jeune étudiant Sékou Traoré a été tué par balle. Nous avons organisé une protestation au Palais du peuple. On a été arrêté avec feu Thierno Maadjou Sow, l’ancien président de l’OGDH. On a été relâchés après trois jours.
La deuxième, c’était le 27 octobre 1992. Il y avait des tensions sociales. J’ai été accusé d’être l’instigateur d’un attentat contre la vie du général Lansana Conté et que le tireur était un jeune nommé Amadou Diallo, arrêté au quartier Bellevue. Le lendemain de mon interpellation, des émeutes ont éclaté un peu partout à Conakry. Ce qui a obligé le pouvoir à me relâcher, après trois jours.
Vous serez plus tard accusé des mêmes faits à la suite à l’attaque du 19 juillet 2011 contre le domicile privé d’Alpha Condé. Jugé et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace, on vous gracie en 2016 après cinq années d’exil. Quel souvenir gardez-vous de cette traversée du désert ?
Les cinq années d’exil et le retour chaotique sont des épreuves qui m’ont permis de voir avec beaucoup plus de recul, de distance ; de faire la part des choses entre les préjugés et la réalité. J’ai vécu beaucoup plus cette expérience avec douleur, parce que ce sont ceux qui étaient les plus proches de moi qui m’ont le plus lâché, voire condamné injustement.
Vous vous êtes battu pour récupérer l’UFDG. Au moment où vous gagnez la bataille judiciaire, vous décidez de tourner la page. Aujourd’hui, réitérez-vous l’avoir réellement tournée ?
La page UFDG comme volonté de récupérer ce que nous avons créé n’a plus aucun intérêt pour moi. De ce point de vue, elle est tournée. J’ai la mission de rassembler, de réconcilier. Par conséquent, j’ai tourné la page des rancœurs, des frustrations…Je n’ai pas de haine, de sentiment de revanche envers qui que ce soit. Je suis profondément inspiré par l’exemple de Mandela.
Cellou Dalein Diallo vous a félicité au téléphone après votre nomination. A-t-il lui aussi tourné la page ?
Dans notre discussion, il a dit : tournons la page. J’ai répondu qu’elle est tournée de mon côté.
Néanmoins, comment rassurer ceux qui pensent que, devenu Premier ministre, vous allez torpiller l’UFDG
La page était déjà tournée avant ma nomination. C’était le cas avec M. Alpha Condé dont j’étais opposé. Il en est de même avec M. Cellou Dalein Diallo. Je ne vis pas en regardant dans le rétroviseur. J’ai un projet de rassemblement, de réconciliation, de tolérance pour une Guinée tournée vers l’avenir. Tous les Guinéens, quelle que soit leur obédience politique, quel que soit ce qu’ils peuvent penser de moi, j’ai obligation en tant que Premier ministre de prendre en compte leurs besoins, aspirations et attentes, sans discrimination aucune.
Parlez-nous de votre première rencontre avec le président de la Transition.
Après la chute de M. Alpha Condé le 5 septembre 2021, j’ai été invité le 7 à rencontrer les nouveaux dirigeants. C’est à l’occasion que j’ai rencontré pour la première fois le colonel Doumbouya à l’époque. On a eu un entretien riche et intense. Nous nous sommes promis que chacun d’entre nous, à sa place, fera tout pour que la transition soit une réussite. Lui en tant que président, moi, acteur politique engagé pour l’avancement du pays. Je pense que depuis lors ni lui ni moi n’a dérogé à cet engagement. Evidemment qu’il y a eu des hauts et des bas, mais je pense qu’on n’a pas perdu de vue l’essentiel. C’était lors d’un tête-à-tête, en présence d’un de mes compagnons, des généraux Sadiba Koulibaly et Amara Camara.
Saviez-vous déjà que vous occuperez un poste de responsabilité ?
Cela n’avait pas été évoqué. J’avais promis d’accompagner la transition de manière effective, sans aucune contrepartie. Ces derniers jours, lorsque le général Doumbouya m’a appelé, ses premiers mots ont été : j’ai reçu tellement de demandes pour le poste de Premier ministre, mais mon cœur penche vers celui qui ne m’a rien demandé. C’était la veille de ma nomination.
Qu’avez-vous répondu, comment avez-vous accueilli votre nomination ?
J’étais surpris. Après, je me suis dit qu’à ce stade, vu la responsabilité, le combat que j’ai toujours mené, il faut assumer et faire ce qu’on a à faire pour l’avancement du pays.
Vous revenez aux affaires, seize ans après avoir appartenu au gouvernement d’Ahmed Tidiane Souaré en 2008. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?
J’avais beaucoup appris. Je venais du privé, je n’avais aucune expérience de l’administration publique. Cela m’avait permis d’engager une dynamique allant dans le sens de la réconciliation nationale effective. Nous avions eu à traiter des dossiers d’une extrême sensibilité et on en est sorti avec beaucoup de bonheur. Ce passage n’a duré que huit mois. Avec le CNRD et le général Doumbouya, nous avons depuis le début de la transition travaillé au niveau du Comité national des assises pour mettre en œuvre les idées et les dispositions que nous avions déjà avancées en 2008. Ce qui est extrêmement important, parmi les 45 recommandations des Assises nationales, la matrice pour une véritable réconciliation nationale est déjà engagée.
A quoi allez-vous vous attaquer en priorité aujourd’hui ?
Dans cette courte période, le pays fait face à beaucoup de difficultés : la desserte en électricité n’est pas satisfaisante pour des multiples raisons ; nous avons connu une catastrophe qui a impacté la vie des Guinéens et notre économie en garde les séquelles, avec l’explosion du dépôt du carburant. Les Guinéens vivent des moments particulièrement éprouvants au quotidien. Les finances publiques ne sont pas dans une situation tout à fait rose. Cela fait que nous accumulons des difficultés dans maints secteurs. Nous allons travailler à remettre la machine sur les rails. Nous allons, vaille que vaille, trouver une alternative pour une desserte satisfaisante en électricité dans les meilleurs délais. Nous allons tout faire pour que les activités économiques retrouvent leur élan et que la confiance soit restaurée entre le secteur privé, national ou étranger, et les autorités.
Comment comptez-vous vous y prendre ? Quid de la tenue du référendum constitutionnel dans ces conditions ?
Nous allons le faire, nous allons accélérer le processus avec l’aide de Dieu. Je pense que cela redonnera de l’espoir aux Guinéens qui commençaient à en perdre.
La plupart des nouveaux ministres proviennent de l’administration. Avez-vous une explication à cela ?
Je pense qu’il faut faire confiance à l’expérience, on n’a pas le temps de l’apprentissage. Ce facteur a milité pour le choix d’hommes et de femmes capables d’être immédiatement opérationnels. La situation nécessite une réactivité rapide, pour faire face aux multiples attentes et demandes.
Vous aviez annoncé 30 % de femmes dans le gouvernement, on en a eu droit à peine 20 %. Qu’est-ce qui s’est passé entre temps ?
Ce sera rattrapé dans les nominations futures, dans les cabinets. Nous allons travailler à ce que les femmes soient prises en compte pas simplement lors des nominations mais pour leur permettre d’acquérir de l’expérience, la qualification, le savoir-faire et l’éducation en vue d’une parité dans les années à venir.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry