Trois experts ricains ont séjourné du 4 au 14 mars dans notre rédaction, pour le projet : numérisation et archivage de votre satirique. Ils ont formé une équipe pour continuer l’œuvre novatrice et nous donnent rendez-vous l’année prochaine. Au terme de leur séjour en Guinée, nous avons causé avec Nomi Davé et Bremen Donovan, les co-directrices du projet, professeures et chercheuses à l’université de Virginie, d’ordinaire peu loquaces.
Le Lynx : Après deux semaines de travail, vous faites vos valises ce 16 mars. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Bremen Donovan : Je suis chercheuse et réalisatrice basée aux Etats-Unis, à l’université de Virginie.
Nomi Davé : Je suis professeure et chercheuse à l’université de Virginie.
Deux professeures, deux chercheuses. Qu’enseignez-vous ? Que recherchez-vous en Guinée ?
BD : On a toutes les deux une longue relation avec l’Afrique de l’Ouest, moi en Sierra Leone, Nomi Davé en Guinée. Nous sommes en Guinée dans le cadre d’un projet de film, avec des femmes évoluant dans divers domaines, comme celles qui luttent pour la justice. Nous sommes venues au Lynx pour chercher une voix de l’histoire dans notre film, une voix qui viendrait des Guinéens. Comme Le Lynx est une institution en Guinée, avec son genre satirique et son humour très percutant, nous nous sommes intéressées au journal.
Qu’avez-vous trouvé au Lynx ?
BD : Nous avons trouvé une équipe extrêmement ouverte et dynamique. Nous sommes ravies de vous rencontrer en écriture : vos publications. Très rapidement, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un projet de numérisation du Lynx dans le passé. Il était porté par Mohamed Diallo, le fils du Fondateur Souleymane Diallo, mais le projet a été interrompu par le décès de Mohamed. Etant des universitaires, nous avons évoqué le sujet avec le Fondateur en lui disant : peut-être que nous pourrons trouver une subvention pour soutenir le projet, Le Lynx a des archives nécessaires pour l’histoire de la Guinée. M. Souleymane Diallo a donné son accord, nous nous sommes mises en contact avec sa famille. Au fur et à mesure, nous avons réussi à trouver la subvention pour numériser les archives du Lynx : articles et caricatures de toutes les parutions.
Peut-on savoir qui a subventionné le projet ?
ND : La subvention vient de l’université de Californie, (Los Angeles). Le nom du programme est Modern Endangered Archives Program à UCLA (University of California at Los Angeles). Il s’agit de préserver les archives en danger pour des raisons climatiques, politiques, à travers le monde. Le programme concerne les archives qui datent de la moitié du ⅩⅩème siècle à nos jours.
Vous voulez dire depuis 1950 ?
Nomi Davé : Oui, je crois…
Quel est l’intérêt de préserver ces archives d’un demi-siècle ?
BD : En fait, lors d’une recherche, nous avons trouvé qu’il y a assez peu de financement pour des projets de ce genre : l’archivage moderne, la numérisation. C’est important, des choses existent, se produisent et les journalistes sont toujours là, mais il manque les ressources pour préserver ces choses-là.
Quel but vise l’université de Californie ?
BD : Des archives comme celles du Lynx sont importantes à plusieurs niveaux. D’abord, il est important pour la Guinée, pour l’Histoire et pour les journalistes guinéens d’avoir l’histoire de la presse indépendante guinéenne numérisée et préservée. Il est aussi important pour ceux qui ont participé à la création et à la continuation du Lynx. Les archives numérisées sont importantes pour les chercheurs qui s’intéressent à la Guinée, mais aussi pour ceux qui s’intéresseront à la satire, à la caricature, à l’illustration politique. Il y a tellement de choses intéressantes. D’où l’intérêt pour l’université de Californie à préserver les archives contre les destructions, contre les crises naturelles et politiques. Que tout soit préservé, qu’il y ait plusieurs endroits où ces archives existent ! Ce projet donne aussi de la visibilité à ce travail, au Lynx. C’est aussi pour ceux qui font une recherche spécifique sur Le Lynx, mais aussi pour ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Guinée, au journalisme, à la presse indépendante. L’intéressant : un libre accès, même pour ceux qui n’ont pas de poste à l’université, une poste formel donnant accès, mais qui leur coûte très cher. Au final, il y aura une ressource pour tout héberger à l’Université de Californie. Il y aura aussi une archive au Lynx qui va garder tous les droits des caricatures, des articles. C’est vraiment le bien et le fruit du travail du Lynx.
Vous dites que l’accès au Lynx numérisé sera libre. Autrement dit tout sera gratuit pour tout le monde ?
BD : Les archives numériques seront accessibles à tout le monde, à ceux qui sont directement intéressés ou non, à ceux qui ne sont pas au courant de l’existence du Lynx. Autre partie de ce travail : nous allons faire des métadonnées basiques avec des mots clés, par exemple, quelqu’un tape « Presse indépendante Afrique de l’Ouest », il peut tomber sur Le Lynx et le découvrir. Parce que l’idée, c’est aussi augmenter la visibilité du Lynx.
ND : Avant de postuler au projet, on en a longuement discuté avec le fondateur du journal, monsieur Diallo Souleymane. On lui a dit : voilà les contraintes de la subvention, qu’en pensez-vous ? On en a discuté aussi avec l’Université de Californie, mais c’est le Groupe Lynx-Lance qui a pris la décision finale. C’est la base pour nous : avoir plusieurs discussions avec le Groupe, avant de postuler pour la subvention. Comme l’a dit ma collègue Bremen, les droits d’auteur appartiennent au Lynx. L’université de Californie et nous-mêmes n’avons aucun droit d’auteur.
Vous avez commencé le travail. Est-il facile d’archiver Le Lynx ?
ND : Non, pas du tout. D’abord, Le Lynx en tant que journal, il y a tellement d’échelles d’informations, d’expressions, de créativité, de commentaires… Pour montrer tout cela, il nous a fallu un moment de réflexion. Finalement, nous avons décidé de faire des pages entières de toutes les éditions, afin que nous montrions Le Lynx dans son intégralité, autant que possible. Ensuite, nous avons trouvé aux archives du Lynx denombreuxmatériels et objets : lettres, documents, caricatures, photos, cassettes. Nous avons commencé avec une entrée spécifique dans vos caricatures. Petit à petit, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus vaste.
Le projet, dites-vous, s’étend sur deux ans : de 2024 à 2026. Ce délai vous permettra-t-il de terminer la numérisation des productions Lynx…
ND : D’abord, on a travaillé avec une équipe qui a bénéficié d’une formation, un renforcement de capacité sur la numérisation et l’archivage. Il lui revient de poursuivre le travail et des contacts fréquents vont continuer à distance, avec notamment l’expert en digitalisation (numérisation et archivage) à l’Université de Houston, Christian Kelleher du Texas. Il y a énormément du travail à faire, mais on a confiance en l’équipe formée. Ses membres sont motivés et très dynamiques. Avec eux, on espère qu’on finira le travail en deux ans et on rêve d’autres choses en projet.
BD : En gros, l’idée de ce projet, c’est que notre intervention reste assez légère et que l’équipe, composée de jeunes dynamiques, forme d’autres gens dans l’archivage numérique. Donc, on soutient et pas plus.
La confiance n’exclut pas le contrôle, dit-on. Reviendrez-vous en Guinée, si oui, quand ?
BD : Nous venons en Guinée tous les ans, depuis plusieurs années. On compte revenir l’année prochaine, par amour de la Guinée, du Lynx, de nos amis. On ne reviendra pas en contrôleurs, mais en gestionnaires. On a une équipe de gens de compétences différentes mais complémentaires. Chaque membre de l’équipe a son rôle et chacun le joue pleinement. Nous serons là pour soutenir, mais si jamais l’équipe a des questions, on sera là pour répondre. Sinon, l’équipe est bien formée techniquement et en travail d’équipe, on lui fait confiance, on a vu son dynamisme, ce qui est très important aussi.
Un mot, pour conclure ?
ND : Je voudrais ajouter que nous sommes entrées dans ce projet en tant que fans et lectrices du Lynx. Moi, je lis Le Lynx depuis 15 ans, j’ai rencontré Souleymane Diallo et aussi Mamadou Siré en 2009. Toutes les deux, on a voulu mener ce projet à cause du respect, de l’admiration pour le travail et la lutte que vous menez. Nous voyons comment vous vous battez tous les jours, pour faire le travail depuis plus de 30 ans. Pour nous, c’est un grand honneur de vous rencontrer, de travailler avec vous et de vous soutenir de la manière qu’on peut.
BD : Pour faire honneur au Lynx, il y a l’idée de préserver, mais aussi de communiquer, non seulement sur le projet de numérisation, mais aussi sur l’existence du Lynx, pour une visibilité en Guinée. Dans l’équipe, il y a des gens qui apprennent très vite et sont passionnés par des choses contiguës au Lynx, au journalisme, à la numérisation. Nous espérons que cela va inspirer d’autres personnes à entrer dans ce domaine. L’idée est de faire des événements et d’inviter les gens de différents domaines, afin que les compétences soient transférées, mais aussi que le projet soit connu en Guinée, avant tout, ce sont les Guinéens qui sont concernés.
BD : Espérons qu’avec cette jeune équipe, il y ait une culture de préservation, de numérisation, des compétences nécessaires qui s’installent. On se rend compte que Le Lynx a tous les jours de la richesse, c’est infini. Avec la subvention, on a acheté tout le matériel nécessaire à la numérisation. Le matériel reste ici. L’équipe formée au sein du Lynx pourra continuer le projet. On dit que 2026, c’est la fin du projet, mais la numérisation et l’archivage continueront pour toujours.
Interview réalisée par
Mamadou Siré Diallo et
Yaya Doumbouya