Trois mois après sa nomination à la Primature, le chef du goubernement semble avoir bien intégré les éléments de langage des dirigeants de la transition. Il passe, à la fois, pour l’avocat-défenseur et le bouclier du CNRD sur lequel ricochent les venimeuses flèches de tous ceux qui ont le moindre grief contre la junte. Et Dieu seul sait qu’ils sont nombreux.

Bien calé dans un fauteuil douillet, le général Amara Camara regarde, souriant, Amadeus Oury Bah se démener comme un beau diable devant le Conseil national de transition. Le ministre d’État secrétaire gérant et porte-voix de la Présidence semble savourer ce que c’est que d’avoir un apôtre qui prêche éloquemment le discours de la junte.

A bout de souffle

Ce 27 mai, trois mois après sa nomination, le PM new-look a la lourde charge de présenter et de défendre la politique générale de son goubernement. Telle que déclinée dans la feuille déroute que lui-même a reçue des mains de son patron, le général Mamadi Doum-bouillant. Après une heure et quart de laïus, et autant de temps pour répondre aux questions des CNTêtards. Un menu riche et varié : fermeture de médias, glissement de la transition, rupture du dialogue politique, délestages de courant, colère des victimes (sans abris) de l’explosion du dépôt d’hydrocarbures de Kaloum, tragédies migratoires, grises mines…tout y passe.  

« Gouverner, ce n’est pas facile, hein ! », finit par lâcher l’orateur, visiblement à bout de souffle. Depuis sa nomination le 27 février, son quotidien est infernal. Il enchaîne les audiences avec les patrons de presse, les syndicaleux, les banquiers, les enseignants…Lors d’un entretien qu’il nous a accordé à la mi-mars, un samedi à 17h, le locataire du Palais de la Colombe est sorti de son bureau en chaussettes et a dû s’assoupir une dizaine de minutes sur un divan, avant de répondre à nos questions.

Son arrivée à la Primature a coïncidé avec les crises d’électricité…et de nerfs, se traduisant par des manifs nocturnes de jeunots, réprimées par les farces de sécurité. Il y a eu également cet accident meurtrier de bus sur la nationale Macenta-Guéckédou, le 24 avril, qui a fait 16 morts et une quarantaine de blessés. Quatre jours après, Amadeus Oury Bah représente Mamadi Doum-bouillant à un sommeil des chefs d’État, de gouvernements, de la société civile et de la jeunesse africaine à Nairobi, sur une mobilisation de ressources pour lutter contre la pauvreté en Afrique. Le 11 mai, il prend part, à Kigali, à la 11e édition de l’Africa CEO Forum ou le rendez-vous annuel des patrons d’entreprises organisé par le groupe Jeune Afrique. Il s’envole un mois plus tard pour lancer les épreuves de l’Examen d’entrée au collège en Haute Guinée…

Sortie médiatique tous azimuts

Ce n’est pas qu’un pigeon voyageur, le chef du goubernement est également devenu le porte-voix et l’avocat-défenseur de la junte au pouvoir. Un poing et une conf de presse, deux fois invité de RFI, des interviews à Jeune Afrique, TV5 Monde : il multiplie les sorties médiatiques pour communiquer sur les actions de son équipe, défendre le pouvoir et, au passage, tancer ou répondre à ses adversaires. Et Dieu seul sait qu’ils sont nombreux ! Il est si omniprésent que le porte-voix de son goubernement est devenu inaudible. Ousmane Gawa Diallo a fini par se faire oublier de tout le monde, y compris de ses irréductibles adversaires de l’UFDG.

Faya Mini-mono du Bloc libéral, Lansana Kou-raté du Pedn, Ousmane Kabako du Pades…des politicards jusque-là aphones sur le déroulement de la transition, pour ne pas dire accommodants, ont subitement revêtu leurs manteaux de virulents opposants. Ils ne ratent plus aucune occasion de descendre Amadeus Oury Bah, à qui ils attribuent l’entière responsabilité du glissement de la transition. Pour eux, et d’autres comme eux, Mamadi Doum-bouillant n’est pas blâmable. Pour la simple raison qu’il n’a rien dit, qu’il ne dit rien et ne dira rien ?

Le silence est d’or, dit-on. Mais oublient-ils que c’est la Grande muette ? Mieux, dans son discours du 31 décembre dernier, le Prési de la transition s’est borné à annoncer la tenue du référendum constitutionnel cette année. Ne pas évoquer les autres scrutins (les communales et communautaires, les législatives et la présidentielle), pourtant préalables à tout retour à l’ordre constitutionnel, n’augurait-il pas déjà un glissement ? Ainsi donc, le péché du patron de la Primature est de faire écho du silence du locataire du Palais Mohammed V. Daniel Pennac nous prévient : « Il y a des silences qui sont de dangereux explosifs ! » Robert Louis Stevenson d’ajouter : « Un silence peut être parfois le plus cruel des mensonges. » Mais sommes-nous vraiment disposés à entendre la vérité, en Guinée ?

Même les avocats (sans vinaigrette) du capitaine El Dadis ont bâti leur stratégie de plaidoiries sur Amadeus Oury Bah, l’accusant de défendre aujourd’hui des putschistes, après avoir mobilisé « 50 000 » manifestants le 28 septembre 2009 pour chasser du pouvoir leur client. Un parallèle imparable. Difficile de ne pas voir une différence entre un Bah Oury défenseur des droits de l’homme, opposant et, aujourd’hui, Premier ministre. Une métamorphose commune à tous les politicards, y compris ceux qui le critiquent. Jean-Jacques de Lingrée disait que « Les promesses politiques sont semblables à un feu, ça tient chaud un moment, puis ça finit en fumée. » Et Frédéric Dard ajoutait : « Un politicien ne peut faire carrière sans mémoire, car il doit se souvenir de toutes les promesses qu’il lui faut oublier. »

Diawo Labboyah