De séjour en Haute-Guinée pour conférer avec la presse locale, des commissaires de la Haute autorité des cancans ont accusé, publiquement, des patrons de médias fermés d’avoir empoché des sous présidentiels contre un soutien indéfectible aux actions (ou inactions) du CNRD. Les incriminés fulminent et menacent.

La polémique autour de la fermeture des Groupes de presse Hadafo-médias, Djoma-média et Groupe fréquence médias est loin de retomber. Au contraire, elle connaît un nouveau rebondissement. Le ministre de l’Info, N’Ta Fana Soumah, avait justifié la fermeture desdits médias par le non-respect des cahiers de charges. Un argument périmé ? Les langues commencent à se délier en tout cas.

Corruption au sommeil de l’État ?

Chez nos con(.)frères de RFI, le 12juin, le Premier ministre a laissé entendre que les concernés avaient « mordu la main qui leur a été tendue. » Il a dénoncé aussi une forme de « chantage contre des autorités » orchestré par des responsables des médias fermés. C’est Djénè Diaby, commissaire sans grade à la Haute autorité des cancans, autrefois fervente soutien du 3e mandat d’Alpha Grimpeur, qui a finalement ouvert la boîte de Pandore. Jusque-là, on tournait autour du pot. Elle a déclaré tout de go que le général Mamadi Doum-bouillant « a fait parler son cœur » en faveur de ces patrons de presse, à charge pour ces derniers de se taire sur les tares de la transition. « Ce qui est caché, nous le révélons, a-t-elle martelé. Chacun d’entre eux a reçu de l’argent à la Présidence, main à main avec Mamadi Doumbouya et ils ont signé. Les propriétaires de médias ont pris l’argent un par un. Sinon, pourquoi fermer une radio, une télévision sans qu’il ne se passe rien ? C’est suspect. C’est pourquoi, le jour où nous avons retiré les agréments, ils voulaient parler, mais nous leur avons dit qu’ils avaient leur liste. Ils se sont tous tus. » Témoin actif des bobos de Djénè, Ibrahima Tawel Cas-marrant, autre commis-serre de la HAC.

Gagnant-gagnant

Djénè, nullement gênée, a juré sur tous les seins qu’un de ces patrons serait même revenu proposer au Chef de la junte un marché gagnant-gagnant plus juteux. « Lorsqu’ils ont reçu de l’argent avec le Président, un autre directeur est allé à la présidence, par l’intermédiaire de Moussa Moïse Sylla, ex-directeur de la communication et de l’information de la présidence. Il dit à Doumbouya qu’il peut l’aider parce qu’ils parlent tous les deux la même langue locale, et qu’il pouvait faire ce que le Président voulait pour 100 000 euros. Le Président s’est énervé et l’a chassé de son bureau. Toi, tu prends 300 000 euros, 200 000 euros, 100 000 euros à quelqu’un, puis tu l’insultes à la radio alors qu’il est plus fort que toi ? Que va-t-il faire ? » s’interroge la commissaire. Dame Diaby a cependant gardé le silence sur ce que gagnait en retour Mamadi Doum-bouillant : discréditer les acteurs politiques et sociaux opposés à la gestion actuelle ? Aider le CRND à conserver le pouvoir ?    

Djénè Diaby avoue n’avoir coulé aucune larme de compassion pour ces responsables de médias et leur personnel. « On a vu venir tout ça. On les a appelés, rédaction par rédaction. Vous, journalistes et techniciens, êtes perdants…Nous sommes dans un régime exceptionnel, courbez l’échine jusqu’après la transition. Après, les choses reviendront à la normale avec un régime normal. »

A en croire Djénè Diaby, la réouverture des radios fermées n’est pas pour demain. Elle prévient d’ailleurs les téméraires qui tenteraient d’entraver la marche du CNRD vers la confiscation du pouvoir : « Ces gens-là se foutent de la loi. C’est la force qu’ils connaissent. Ils sont prêts à tout pour conserver leur pouvoir. Quiconque se dresse sur leur chemin, même si c’est leur mère, ils vont t’égorger. Le pouvoir, c’est comme ça, il n’a pas d’ami », a-t-elle conclu. 

Fuite en avant

La sortie au vitriol des commissaires de la HAC, les patrons des médias concernés la balaient du revers de la main. Dans une déclaration conjointe du 13 juin, ils ont reproché la HAC de fuite en avant, dans l’optique d’intoxiquer l’opinion. Ils dénoncent une « campagne d’acharnement orchestrée contre les médias concernés, dont le tort est d’être restés attachés aux valeurs de la démocratie et de l’État de droit. » Les signataires condamnent une sortie « hors sol et calomnieuse des deux commissaires de la HAC ; le silence coupable de la HAC face aux violations répétées de la loi sur la liberté de la presse ; interpellons les associations de presse à prendre leurs responsabilités face aux violations de la loi sur la liberté de la presse et à ces accusations sans fondement.»

Ils enjoignent aux deux commissaires de publier « des preuves soutenant leurs allégations ; la publication de la liste des patrons et journalistes qui auraient émargé auprès du Conseiller personnel du président de la transition, Elhadj Thierno Mamadou Bah.» Les incriminés annoncent aussi une plainte contre Djénè Diaby et Ibrahima Tawel Camara pour « diffamation et menace », ils alertent « la communauté nationale et internationale sur les menaces d’attentat à la vie de toute personne, y compris les patrons de médias que nous sommes ainsi que nos journalistes. »

La HAC siffle la faim de la récré

Comme pour faciliter leur défense éventuellement devant dame Thémis, la HAC a dans la foulée suspendu les deux indiscrets commissaires. Sans tarder, le même 13 juin, l’institution de (dé)régulation des médias a sévi contre Ibrahima Tawel Cas-marrant et Djénè Diaby. Les deux compagnons d’infortune sont suspendus jusqu’à nouvel ordre pour « faute lourde ». Ils sont aussi interdits de séjour à la HAC pendant la durée de suspension.

Pour le boss de la HAC, Bouba Yacine Diallo et son équipe, les deux commissaires se sont rendus coupables de diffamation contre les autorités de la transition et les médias incriminés. Les accusations « constituent une violation des dispositions du règlement intérieur de l’institution en ses articles 15 et 16. »

Ainsi donc, les déclarations n’engagent que Ibrahima Tawel Cas-marrant et Djénè Diaby. Une décision de la HAC loin de lever les hics sur cette présumée corruption d’État.

Yacine Diallo