Soixante-six ans après la déclaration fracassante et tonitruante de Sékou Tyran, martelant qu’il préfère la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage, un de ses adeptes, qui ne l’a connu que de nom, emprunte un chemin radicalement opposé. Mamadi Doum-bouillant, qui avait promis de faire l’amour à la Guinée, se rend compte que dame Guinée est réticente, le désamour s’installe peu à peu entre elle et celui qui avait promis la main sur le palpitant qu’aucune goutte de sang d’un fils de dame Guinée ne sera versée désormais pour des raisons politiques. La répression et la privation de la liberté chèrement acquise seraient pour quelque chose dans le désamour de la belle sexagénaire pour le colosse quadragénaire.

Oubliant ses promesses, le nouveau timonier veut faire un mariage forcé avec la Guinée. Ou plus exactement l’appâter par des réalisations qui lui font cruellement défaut. Avec une transition qui a un début mais pas -ou plus- une fin, il faut trouver d’autres moyens plus subtils pour faire avaler des couleuvres aux Guinéens. Les infrastructures routières en font partie. En cette fin du mois de juillet, il y a eu le lancement des travaux routiers à Kérouane, à l’est, à Boké à l’ouest et de Labé-Mali au nord. Ce qui est louable. Mais si construire et reconstruire suffisent pour rester au pouvoir, Bassirou Diomaye Faye serait encore au mieux à la Direction nationale des impôts. Mais ici, comme ailleurs, en 58 comme en 2024, les peuples préfèrent de loin la liberté aux infrastructures.

Pour les partisans et artisans du modèle rwandais, le seul moyen pour que leur bienfaiteur puisse être le Kagame de l’ouest du continent, il faut qu’il réalise ce que ses prédécesseurs n’avaient pu réaliser. Comme le bitumage de la voirie urbaine de certaines préfectures où, comme on ironise sur la toile, certains citoyens, qui n’ont jamais connu le goudron, ôtent leurs chaussures pour traverser la nouvelle route. Les adeptes d’un nouveau koudaïsme espèrent ainsi qu’avec les infrastructures réalisées ici et là les populations vont réclamer un contrat à durée indéterminée pour la transition. Mais ce n’est pas une particularité Guinée-haine. Le trio de l’AES ne fait pas autrement.

En Guinée, l’une des voix les plus autorisées a annoncé la couleur. Dans une interview accordée aux médias hexagonaux, le mégaphone du goubernement a emboité le pas au premier de nos ministres, à confondre Toto : Avant comme après le 31 décembre 2024 c’est Mamadi Doum-bouillant. Le discours selon lequel « la transition s’arrête le 31 décembre et pas un seul jour de plus » est devenu caduc. Désormais Conakry, Bamako et Ouagadougou, même longueur d’onde : la transition durera tant que c’est nécessaire. Et ce sont ses bénéficiaires qui définiront les critères. Et pour éviter de rallonger la liste des membres de l’AES ni Washington, ni Abuja encore moins Paris ne bronche. Parce que pour faire passer leurs messages auprès de leurs opinons publiques, les juntes ont trouvé un bouc-émissaire : la France et dans une moindre mesure la CEDEAO. Les trois pays usent et abusent de la manipulation pour transformer une transition en un mandat qui ne dit pas  son nom. Pauvres de nous, la recette du trio est en train de faire boule de neige en Guinée où, le chef se fait une idée complétement bancale de la volonté et de la demande populaire.

Les thuriféraires ont visiblement persuadé l’homme du 5 septembre que les Guinéens sont prêts à l’accompagner pour régner comme Sékou Tyran et Fory Coco. La contrepartie serait un bien-être pour la population, comme les infrastructures routières. C’est-à-dire un mandat à vie contre l’exil forcé de tous ceux qui ne regardent pas dans la même direction que le nouveau timonier, la fermeture de tous les médias dont le réacteur en chef n’est pas au palais, le retour au mode opérateur des années 70 et sa traîne de délations, de traquer de tous ceux qui sont susceptibles de remplacer un jour le chef. Tout cela contre des infrastructures routières, aéroportuaires, hospitalières, que sais-je.

Cette nouvelle odyssée, qui était la moins attendue du monde, nous amènerait à prendre le chemin inverse tracé par Sékou Tyran. Il est indéniable que liberté et pauvreté sont difficilement conciliables. Tout le long de leur histoire tumultueuse, les Guinéens apprendront à leurs dépens – notamment entre septembre 58 et avril 84- qu’ils n’étaient ni libres encore moins riches. Le nouveau guide veut nous débarrasser de la pauvreté mais nous maintenir dans le totalitarisme. Or liberté et pauvreté sont incompatibles, la dictature est aux antipodes du développement. On nous a vanté ici et là dans le petit village planétaire un chef totalitaire qui aurait assuré le bien-être à ses concitoyens. C’est un leurre. Tous ces régimes ont fini par s’effondrer. Et le plus souvent dans le chaos et l’instabilité. Certains, comme l’ancien guide de la Révolution libyenne, ont été renversés avec l’appui des puissances étrangères, l’absence de toute perspective d’alternance a motivé les « traitres » à apporter une main forte à l’ennemi.

L’interruption brutale de toutes les émissions talk-show, la fermeture pure et simple de radios, la censure et l’autocensure, des radios qui émettent encore, insupportent les Guinéens, jusqu’au dernier village du pays. Les stations bâillonnées avaient réussi à couvrir l’ensemble du territoire grâce à une synergie avec les antennes régionales et les radios partenaires. Tout cela s’est arrêté du jour à l’autre. Le Guinéen a du mal à avaler cette pilule.

Habib Yembering Diallo