C’est à croire que le proverbe « nul n’est prophète chez soi » ait été écrit pour la Guinée, car c’est la terre qui paraît la moins reconnaissante envers ses enfants les plus valeureux. Naître Guinéen, c’est affronter plus de difficultés que de saisir d’opportunités.

Soit ! Il est toujours préférable de célébrer les talents et cadres émérites avant que la mort ne survienne, plutôt que d’attendre de les élever au panthéon ou de les célébrer dans l’émotion du deuil. L’une des femmes scientifiques confirmées du pays vient de se rappeler à notre mémoire en quittant ce monde, le lundi 12 mai 2025. Comme d’autres Guinéens dont le tort serait d’être brillants et qualifiés, la professeure Fatoumata Binta Banbadjon Diallo est décédée à Paris sans avoir eu droit aux honneurs et à la reconnaissance que confèrent le savoir et le génie dans les sociétés exigeantes et tournées vers le progrès et l’excellence.

Elle a vécu profondément l’injustice en étant déchue de ses fonctions de directrice du CHU Ignace Deen, où elle avait œuvré pendant de nombreuses années, à cause de l’affaire dite de « l’eau empoisonnée » qui a marqué la campagne présidentielle mouvementée de 2010. Lorsque Jean-Marie Doré, alors Premier ministre, l’a destituée dans ce contexte trouble, avec le soutien dans un premier temps du général Sékouba Konaté, chef de l’État à l’époque et soucieux de rétablir la justice, cette figure courageuse a finalement été réintégrée. Le président de la transition, homme juste et sensible à sa souffrance, avait veillé à ce qu’elle retrouve ses droits.

Elle n’a toutefois pas « survécu » aux bouleversements qui ont suivi. Elle s’en est allée avec la blessure profonde d’un sentiment d’injustice, pour avoir été accusée à tort et blâmée sans raison. Cet épisode douloureux a laissé une cicatrice qu’elle n’a jamais pu guérir, car, comme toute personne d’honneur et assermentée, elle attachait une grande importance à son image publique et à sa réputation professionnelle. Pour autant, Banbadjon, une battante née, n’était pas du genre à se laisser écraser ni à accepter passivement son sort. À l’image du roseau, elle plie sous la pression, mais ne rompt jamais.

La Guinée, orpheline d’elle, va la pleurer, regretter de l’avoir perdue, bien sûr, comme elle sait si bien le faire lorsque les personnes viennent à disparaître, comme pour se faire pardonner ses offenses et ses outrages. On sait tellement se donner bonne conscience. Toujours le médecin, après la mort ! On a souvent l’habitude d’entendre des éloges à l’égard de ceux dont on attend quelque chose, ceux capables de transformer des vies. Cependant, tous ceux qui reçoivent des hommages de leur vivant ne les méritent pas forcément et en sont rarement dignes.

Ceux que toute la Guinée et la communauté médicale s’apprêtent à rendre à la professeure Fatoumata Binta Banbadjon Diallo, même s’ils sont tardifs et posthumes, représenteront un geste de reconnaissance et de regret. Ce sera une manière de corriger un parcours que le destin a injustement dévié, dans un pays où « le temps semble suspendu » et où la valeur véritable est trop souvent ignorée.

Professeure, nous qui avons eu le bonheur de croiser ton chemin, avons été tant aimés par toi, nous savons combien tu étais profondément humaniste. Ma famille que tu as couvée avec amour et tendresse te restera. éternellement reconnaissante. Elle est inconsolable. Certes, ton cœur a saigné, mais il n’a pas succombé à la haine qui consume, à la rancœur étourdissante, ni à la vengeance destructrice.

Pars en paix et dors du sommeil du juste qui n’a aucune dette envers la société ni remords d’avoir nui à autrui.

Tibou Kamara