Il avait été suspendu par le ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation pour n’avoir pas tenu de congrès, conformément à ses statuts et règlement intérieur. Les 2 et 3 mai, l’Union des Forces Démocratiques, UFD, a tenu son congrès à Conakry. Nous avons rencontré son leader, Mamadou Bah Baadiko, pour échanger avec lui sur la situation sociopolitique du pays, notamment les élections prévues cette année, le silence de la classe politique face à la junte militaire au pouvoir.

La Lance : Vous faîtes moins de sorties médiatiques ces derniers temps. Pourquoi ?

Mamadou Bah Baadiko : Idi Amine disait : « Quand je n’ai rien à dire, je me tais ». Nous ne sommes pas d’accord avec cette méthode consistant à occuper les antennes 365 jours, mais dès que nous avons la possibilité de le faire, nous allons nous faire entendre. Les gens ont commis toute cette erreur de penser que dès l’instant où on ne nous entend pas tous les jours, c’est que nous n’existons plus. Nous sommes très heureux que le congrès ait éclairé tout le monde sur le fait que l’UFD est bien vivant et qu’il existe, il est là, et la lutte continue.

Dans le cadre, dit-il, de l’assainissement du fichier des partis politiques, le ministère de l’Administration du territoire a, soit autorisé, dissout ou suspendu des partis politiques. Comment avez-vous accueilli cette démarche ?

Nous avons eu à faire une déclaration en octobre 2024 sur ces mesures-là. Evidemment, nous n’étions pas d’accord. D’autant plus que ceux qui étaient venus ici avaient bien avoué qu’effectivement, les documents qu’ils avaient reçus chez nous, il n’y a pas beaucoup d’endroits où beaucoup de partis où ils ont eu des documents de la même qualité. Donc, nous étions surpris d’être sur cette liste-là. Mais le plus bizarre, c’est que nous nous sommes rapprochés du ministère pendant plusieurs mois, pour savoir exactement qu’est-ce qu’on nous reprochait,  il n’y a jamais eu de réponse. Ce n’est qu’à la dernière réunion, en mars dernier, après la rencontre qu’il y a eu au ministère, qu’ils ont enfin écrit pour dire voilà les griefs légaux qu’on vous reproche, on vous donne 3 mois pour justifier et régulariser. Là-dedans, le point principal, c’était la non-tenue du congrès, après 5 ans de mandat. Nous ne sommes pas de mauvaise foi, donc, nous n’avons pas contesté. C’est le contexte qui ne nous avait pas permis de le faire, nous allons y travailler, nous sommes attachés à l’égalité, si c’est cela le problème. Nous sommes heureux d’avoir pu tenir le congrès le 2 et le 3 mai. Ce qui est plus important, c’est que le congrès n’avait pas eu pour simple objet la régularisation de la situation légale, c’était pour permettre à l’UFD de faire un nouveau départ, après avoir fait le point et la critique de toute la période passée. Et, il s’est très bien passé. Les gens sont vraiment motivés pour que, de nouveau, on aille vers les populations.

La Guinée se dirige, selon les autorités, vers l’organisation de toutes les élections en 2025. Vous y croyez ? Participerez-vous à ces élections, si elles ont lieu ?

J’ai le droit de ne pas y croire. Je ne comprends pas comment on peut dire qu’il y aura des élections alors qu’il n’y a pas de fichier électoral. Aujourd’hui, le recensement biométrique est en cours, vous êtes dans les médias, vous avez vu que c’est partout la même chose. Il y a des plaintes partout, des queues interminables, on annonce des pannes partout, des problèmes techniques de toutes sortes dans toute la République, avec une lenteur incroyable des opérations. On a dit que la moyenne actuellement c’est 30 enregistrements par jour, et comme il s’accorde 45 jours, vous imaginez que ce n’est absolument pas imaginable que nous ayons, au bout de ce processus, un véritable fichier électoral. Je rappelle qu’en 2010, c’est après 2 ans que la CENI a mis à disposition, un fichier électoral.  C’est pour cela que les élections de 2010 n’avaient pas posé de problème, parce que le fichier était prêt. Alors que là, il n’y a rien. Nous doutons sérieusement qu’ils puissent sortir un fichier acceptable pour ces élections, sans compter le cas des Guinéens de l’extérieur, ayant leurs droits à la citoyenneté. Il y a des règles pour s’inscrire, si elles sont posées et que les conditions matérielles sont réunies du côté de l’administration, beaucoup de gens vont se recenser. Aujourd’hui, ça ne va pas du tout, il y a des plaintes partout,  parfois les machines ne sont pas arrivées.  Ce n’est pas très différent ce qu’on observe ici où les gens perdent des jours et des jours sans pouvoir s’inscrire. Moi qui vous parle, je ne réussis même pas à avoir un rendez-vous.  Donc, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, puisqu’ils se donnent le droit de faire ce qu’ils veulent, ils n’ont de compte à rendre à personne. Nous sommes vraiment curieux de voir avec quelle liste électorale, on va tenir des élections.

Nous ne pouvons pas répondre d’avance, si nous allons participer à des élections. Puisque nous ne savons même pas s’il y aura une des conditions minimales permettant de remplir notre rôle de parti politique, si la suspension est levée. Vous avez vu qu’en 2020, nous n’avons pas boycotté les élections, depuis que l’UFD a boycotté les élections de 1993 à 2005, à part la présidentielle de 1998, lorsqu’on a soutenu le professeur Alpha Condé. Depuis cela, nous n’avons plus boycotté une seule élection. Nous avons soit des candidats, soit nous soutenons un autre.

Comment voyez-vous la floraison des mouvements de soutien en faveur d’une candidature du général Mamadi Doumbouya à la prochaine présidentielle, contre son serment ?

Nous avons eu l’occasion de dire que la déification des chefs, le culte effréné de la personnalité n’a jamais servi l’avenir d’un pays. Nous avons pratiquement dépassé les limites. Je ne pense pas que ce soit par là qu’il sera plus facile d’avoir l’adhésion des populations. Sans compter maintenant les sommes absolument faramineuses inconnues dépensées pour ces opérations de propagande pour le chef. Malheureusement, nous ne pouvons que le constater.  Nous l’avons déjà dit il y a  longtemps, la désacralisation du pouvoir, la déification du chef, le culte de la personnalité, n’ont pas eu d’effet positif sur l’avenir du pays, nous avons déjà des expériences par le passé. Nous, nous disons qu’il faut respecter les textes et les engagements pris. Nous en tenons à cela. La charte de la transition contient des engagements, des serments sont prêtés là-dessus, il y aura la Constitution. Nous attendons de voir si le texte fondamental,  le texte fondateur la transition, vont être  respectés.

Quel message avez-vous à l’endroit des autorités de la transition, pour des élections justes, transparentes et crédibles ?

Nous disons : ce n’est pas par la force qu’on peut faire tout ce qu’on veut sans conséquence. S’ils veulent maintenir un minimum de consensus dans le pays, il y a des coups de force qui n’ont pas lieu de faire, cela ne servira ni leur cause à eux, ni celles de la Guinée elle-même. Je  profite pour dire que tout ceci interpelle la classe politique, qui est en accusation. Aujourd’hui, la classe politique a totalement échoué dans sa mission, puisqu’elle a rendu possible une situation de coup d’Etat. Il faut quand-même qu’elle accepte enfin de se pencher sur ce qui n’a pas marché, sur le pourquoi le coup d’Etat a été bien accueilli. La classe politique doit faire réellement son introspection, son autocritique et savoir ce qu’il fallait faire, pour contribuer réellement au progrès du pays et à l’enracinement de la démocratie.

Parlant de la classe politique, aujourd’hui, quasiment, on n’entend plus personne. Les voix dissonantes sont persécutées, les activistes de la société civile disparus, des politiques en prison, etc. La peur n’a-t-elle pas  été instaurée ?

 Nous l’avons dit, c’était le thème, le mot d’ordre de notre congrès : la défense des libertés démocratiques chèrement acquises. Nous avons attiré l’attention sur le fait que toutes les périodes de dictature,  de terreur,  de règne de pouvoir solitaire et de confiscation du pouvoir n’ont jamais amené le progrès de la Guinée et de son peuple. Ce n’est pas la peine de reprendre des sentiers battus. Lorsque des dirigeants peuvent régner sans partage en se protégeant contre toute critique, les résultats ne tarderont pas à se faire voir.

Qu’avez-vous à dire à vos militants ?

Ce que nous disons à nos militants, c’est de reprendre le courage, reprendre le flambeau. Aujourd’hui, toute l’histoire de la Guinée nous donne raison. Les gens doivent savoir que l’engagement politique, c’est dans l’intérêt du peuple et du pays. Ce n’est pas pour notre bien personnel. Notre bien personnel est servi par le fait que le peuple soit heureux, qu’il progresse, que les citoyens arrivent à éduquer leurs enfants, qu’ils se soignent correctement, qu’ils s’habillent correctement, qu’ils aient toutes les commodités de la vie comme des routes praticables qui n’existent plus aujourd’hui, qu’ils aient un environnement sain et la sécurité. Les militants doivent se rapprocher des populations, être à leur écoute, pour travailler avec elles, à la prise en main de leurs propres préoccupations, ne pas tout attendre de l’Etat.

Interview réalisée par

Mamadou Adama Diallo