Nous avons rencontré, le 10 juin, la docteure Djénabou Diallo, médecin spécialiste en hépato-gastroentérologie, maître-assistante à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry et responsable de la prise en charge des hépatites virales au sein du Programme national de lutte contre le VIH/SIDA et les hépatites en Guinée. Forte d’un riche parcours en Guinée, en Côte d’Ivoire et en France, elle nous éclaire sur l’hépatite B. Une maladie grave mais évitable et contrôlable. Au menu de l’entretien exclusif qu’elle nous accorde, la prévention, la gestion psychologique des patients, la nécessité d’un engagement plus fort de l’État guinéen dans la lutte contre la pathologie silencieuse et inquiétante…
Le Lynx : Parlez-nous de votre parcours.
Dr Djénabou Diallo : J’ai effectué mon cursus scolaire jusqu’au baccalauréat à Labé. Puis j’ai intégré la faculté de médecine de l’Université Gamal Abdel Nasser, où j’ai obtenu mon doctorat d’État en médecine en 2009. J’ai poursuivi ma spécialisation à Abidjan pendant quatre ans, où j’ai obtenu mon diplôme de spécialiste en hépato-gastroentérologie. J’ai également complété une formation en France, à l’Université de Tours et à l’hôpital le HCR d’Orléans, sanctionnée par un diplôme de formation médicale spécialisée approfondie dans le même domaine. Parallèlement, j’ai obtenu d’autres diplômes interuniversitaires, notamment à la Sorbonne (maladies du foie et hépatites virales) et à l’Université de Rouen (pathologies digestives fonctionnelles).
Qu’est-ce que l’hépatite B ?
C’est une infection virale qui attaque le foie, une inflammation hépatique provoquée par le virus de l’hépatite B, VHB.
Quels sont les types d’hépatites virales ?
Il y a les hépatites A, B, C, D et E. Cependant, les plus préoccupantes restent B et C, qui peuvent évoluer vers une forme chronique. Les autres types sont généralement aigus et guérissent spontanément.
Quels sont les symptômes de l’hépatite B ?
L’hépatite B est une maladie qui est fréquente en Afrique subsaharienne, surtout en Guinée. Elle peut être aiguë (moins de six mois) ou chronique (plus de six mois). En phase aiguë, les symptômes sont : fatigue généralisée, douleurs articulaires ou musculaires similaires au paludisme appelé pseudo palu ou à la grippe (pseudo grippale), maux de tête, jaunisse (yeux et peau jaunes), urines foncées.

Certaines personnes guérissent spontanément à ce stade. D’autres évoluent vers la forme chronique, souvent silencieuse, au delà de 6 mois où seule une fatigue persistante peut être présente qui est l’apanage de plusieurs maladies, et qui ne permet pas de déterminer si c’est une hépatite B ou pas. Donc le patient ne présente aucun signe. Quand la maladie progresse sans traitement, elle peut provoquer des complications graves : cirrhose (ascite, œdèmes, jaunisse persistante, vomissements de sang) et cancer du foie.
Peut-on guérir de la maladie ?
Actuellement, il n’existe pas de traitement permettant une guérison totale. Toutefois, des médicaments efficaces permettent de stabiliser la maladie, comme dans les cas d’hypertension ou de diabète. Grâce au Programme national de lutte contre le VIH et les hépatites, ces traitements sont gratuits et disponibles en Guinée.
L’hépatite B est-elle contagieuse ?
Oui, elle est transmissible par trois principales voies : sexuelle, comme le VIH ; sanguine, par le partage d’objets tranchants ou coupants contaminés; la transmission mère-enfant pendant la grossesse ou à l’accouchement.
Comment protéger ses proches ?
La prévention repose sur la vaccination, qui est très efficace. Trois doses administrées en six mois offrent une protection à vie. Il est donc crucial de dépister l’entourage d’un patient infecté pour vacciner les personnes non atteintes.
Ces vaccins sont-ils disponibles en Guinée ?
Oui, aussi bien dans le secteur public que privé. Le défi reste l’absence d’une campagne de dépistage et de vaccination à l’échelle nationale. Néanmoins, dans la pratique, nous dépistons systématiquement l’entourage d’un patient positif.
Quel est l’état de la maladie en Guinée ? Est-ce un problème de santé publique ?
Absolument ! Bien que nous manquions de données nationales exhaustives, les études ciblées indiquent une prévalence variant entre 7 et 17 %, voire même 18% dans certaines populations à risques; bien supérieure à celle du VIH qui est autour de 2 % ! Une étude menée en 2023 à l’Hôpital national de Donka a révélé que 67 % des cas de cirrhose sont dus à l’hépatite B. En 2021, une autre étude avait montré que 74 % des cas de cancer du foie étaient liés à cette infection. C’est donc un problème majeur de santé publique.
Vous dites que l’hépatite est plus préoccupante que le VIH ?
En termes de contagiosité, oui. Le virus de l’hépatite B est 100 fois plus contagieux que le VIH. Ce qui souligne l’urgence d’une réponse adaptée.
Les examens sont coûteux. Quel rôle peut jouer le gouvernement dans un pays où le pouvoir d’achat est faible et l’assurance médicale inexistante ?
L’État a déjà fait un grand pas en rendant le traitement gratuit. Cependant, les examens nécessaires avant le traitement restent à la charge du patient. Il est important de plaider pour une prise en charge partielle ou totale des bilans, via une assurance universelle ou des subventions étatiques. Des campagnes de dépistage de masse sont aussi indispensables pour diminuer l’ampleur de la maladie. Si nous prenons l’Hôpital de Donka, sur vingt patients, dix à quinze ont des complications de l’hépatite B. C’est vraiment un véritable problème qu’on pourrait prévenir par le dépistage.
Comment gérez-vous vos relations avec les patients ?
C’est tout un parcours du combattant mais le plus important est le premier contact : rassurer, expliquer, démystifier. Le patient arrive souvent bouleversé par de fausses informations. Nous insistons sur la nécessité des bilans, expliquons le plan de suivi ou de traitement et établissons une relation de confiance. Malgré les difficultés financières, nous faisons le maximum avec les moyens disponibles.
Que dire des patients qui abandonnent le traitement ?
Il arrive que certains arrêtent, influencés par des rumeurs ou des solutions alternatives comme la médecine traditionnelle. Cela mène souvent à des complications irréversibles (cirrhose, cancer), où nous-mêmes ne pouvons rien faire. Les traitements traditionnels, surtout les plantes et écorces, peuvent être toxiques pour le foie s’ils sont mal dosés. Cela donne une autre hépatite sur l’hépatite qui existe, aggravant la situation au lieu de la soulager.
Comment gérez-vous les cas dans les couples ?
C’est une situation délicate. Lorsqu’une femme est diagnostiquée positive, on invite toujours le conjoint à se faire dépister. On ne cherche pas à établir la responsabilité. L’objectif est de protéger et traiter, pas d’accuser. Nous sensibilisons beaucoup pour éviter les conflits conjugaux liés au diagnostic, avec des termes adaptés pour pouvoir convaincre. Jusqu’ici, cela fonctionne bien.
Les médecins sont-ils exposés au virus ?
Tant qu’on respecte les règles d’hygiène, il n’y a pas de risque majeur. L’hépatite ne se transmet pas par les repas partagés, le contact physique ou la cohabitation, mais le sang, les rapports sexuels et la transmission verticale (de la mère à l’enfant).
Quel message souhaitez-vous adresser à la population ?
L’hépatite B est une maladie grave mais évitable. Elle ne se transmet pas par le contact social, mais par des voies précises citées ci-haut. Il est essentiel que chacun connaisse son statut par un simple test de dépistage. S’il est négatif, on peut se faire vacciner et être protégé à vie. Même si les bilans sont coûteux, la vie humaine l’est davantage. Un diagnostic précoce peut sauver des vies.
Interview réalisée par
Mariama Dalanda Bah