Après le déploiement de près de 2 000 membres de la Garde nationale et de 700 Marines à Los Angeles sur ordre de Donald Trump, de nombreuses questions émergent autour de la légalité de la décision du président qui, comme souvent, flirte avec les limites de la loi.
L’occasion était sans doute trop belle pour que Donald Trump ne tente pas d’en tirer profit politiquement. Après plusieurs jours d’affrontement entre les forces de l’ordre et des manifestants opposés aux expulsions massives d’immigrés clandestins, le président américain a pris lundi la décision exceptionnelle de déployer sur le territoire américain 700 militaires d’active du corps d’élite des Marines, dans ce qui ressemble plus que jamais à un bras de fer avec le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, étoile montante du parti démocrate et potentiel candidat à l’élection présidentielle de 2028.
Une décision autorisée par la Constitution
Selon le Posse Comitatus Act, une loi de 1878, l’utilisation de troupes fédérales pour du maintien de l’ordre sur le sol américain est normalement interdite. L’Insurection Act de 1807 permet néanmoins une exception à cette règle dans le cas où le président estimerait qu’une « rébellion contre l’autorité des États-Unis » rendraient « impossible » l’application de la loi fédérale.
Le décret de Donald Trump mentionne la violence des manifestations qui menaceraient les installations fédérales de détentions d’immigrants. « Dans la mesure où les manifestations ou les actes de violence entravent directement l’exécution des lois, poursuit le décret, ils constituent une forme de rébellion contre l’autorité du gouvernement des États-Unis. » L’administration Trump n’a néanmoins pas invoqué l’Insurection Act pour justifier son décret dont la base légale repose officiellement sur l’article 12406 du Titre 10 du Code des États-Unis.
« La Constitution des États-Unis permet au président de demander le déploiement de troupes armées sur le territoire américain, que ce soit la Garde nationale ou l’armée régulière. Maintenant, c’est quelque chose de très rare, rappelle par ailleurs maître Olivier Piton, avocat au barreau de Washington, au micro de RFI. La dernière fois que c’est arrivé à l’initiative d’un président, c’était en 1965 avec le président Johnson en Alabama à l’occasion de manifestations en faveur des droits civiques (à l’époque Lyndon Johnson avait invoqué l’Insurrection Act, NDLR). Entre 1965 et aujourd’hui, jamais un président des États-Unis n’avait déployé l’armée sans l’accord d’un gouverneur. »
Le dernier recours à des troupes fédérales pour maintenir l’ordre remonte à 1992, déjà à Los Angeles, lors des émeutes qui avaient suivi l’acquittement des policiers accusés du meurtre de Rodney King. Mais à l’époque, l’administration Bush avait répondu à l’appel à l’aide du gouverneur Pete Wilson et du maire de la ville Tom Bradley.
Contestation en Justice
Car si Donald Trump a légalement le droit d’en appeler à la Garde nationale et aux Marines, il flirte comme souvent avec les limites de la loi. C’est notamment le court-circuitage du gouverneur Gavin Newson lors de la mobilisation de la Garde nationale qui pose question. Le procureur général de Californie Rob Bonta a annoncé ce lundi poursuivre Donald Trump en justice, estimant que son choix de mobiliser la Garde nationale sans l’aval du gouverneur « violait » la Constitution. L’article 12406 du Titre 10 du Code des États-Unis sur lequel repose le décret de l’administration Trump énonce explicitement que les ordres de mobilisation de ces troupes de réservistes qui dépendent de chaque État doivent être émis « par les gouverneurs des États ». Une disposition que le secrétaire à la Défense Pete Hegseth n’a pas respectée.
Les opposants à Trump pointent également la disproportion de la réaction du président face aux manifestations. À en croire Donald Trump, la métropole californienne aurait été « rayée de la carte » s’il n’avait décidé d’envoyer la Garde nationale. Une version contredite par le procureur du comté de Los Angeles, Nathan Hochman qui a affirmé sur la chaîne NewsNation que ses services n’avaient pas « constaté de troubles civils de grande ampleur qui nécessiteraient 2 000 gardes nationaux et 500 ou 700 soldats supplémentaires ».
La plainte déposée lundi fait d’ailleurs valoir que les forces de l’ordre locales pouvaient assurer le maintien de l’ordre lors des manifestations et qu’en envoyant des troupes fédérales dans la mêlée, Donald Trump bafouait les droits des États, protégés par le 10e amendement qui assure que les compétences non explicitement accordées au gouvernement fédéral sont du ressort des États ou du peuple.
Quel rôle pour ces troupes fédérales ?
« Donald Trump ne franchit pas la limite de l’État de droit, mais comme toujours, il jongle, il est à la limite… C’est tout à fait légal. Maintenant la question qui se pose, c’est l’utilisation de cette armée. Là, on est toujours avec Donald Trump dans « un no man’s land » », analyse maître Olivier Piton.
En effet, le président n’ayant pas invoqué l’Insurrection Act pour justifier le recours à des troupes fédérales, ces dernières n’ont normalement qu’un champ d’action assez limité selon le Code des États-Unis. Elles ont ainsi pour mission de protéger les agents de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement) dans leur travail ainsi que des bâtiments fédéraux, mais ne sont pas censées intervenir pour mener des raids contre des migrants illégaux, maintenir l’ordre dans les rues ou arrêter des manifestants.
Toujours sur la corde raide, Donald Trump continue en tout cas ses outrances. Le milliardaire républicain répète à l’envi que Gavin Newsom fait du « boulot horrible » et a encore affirmé lundi qu’une arrestation du gouverneur pour entrave aux opérations d’arrestations de migrants serait « super ».
« Le président des États-Unis vient d’appeler à l’arrestation d’un gouverneur en exercice », a rapidement dénoncé Gavin Newsom sur les réseaux sociaux. « C’est un pas incontestable vers l’autoritarisme », a ajouté l’ancien maire de San Francisco. Le « Tsar des frontières » Tom Homan, en charge du programme d’expulsions massives de Trump, a assuré lundi soir que l’administration n’avait « aucune intention » d’arrêter le gouverneur, avançant que la citation avait été prise « hors contexte ».
Par : Pierre Fesnien, Rfi.fr