Le 21 septembre prochain, la Guinée ne votera pas librement. Elle subira. Derrière les grands discours sur la « refondation de la République » et la « souveraineté retrouvée », le gouvernement met en place un processus verrouillé, orchestré pour imposer un « Oui » massif à un texte taillé sur mesure pour consolider le pouvoir de Mamadi Doum- bouillant.
Ce doumbou-rendum, présenté comme un acte historique, ressemble davantage à un acte notarié: un contrat unilatéral rédigé par le pouvoir, signé au nom du peuple, mais sans son consentement réel.
Un climat politique étouffé
Comment parler de démocratie lorsque le débat est impossible ? Depuis des mois, l’espace public guinéen est verrouillé.
- Les partis politiques critiques sont dissous ou paralysés par des procédures judiciaires.
- Les manifestations contre le projet sont interdites ou dispersées violemment.
- Les opposants les plus virulents sont sous surveillance, en exil ou derrière les barreaux.
Le message est clair : vous êtes libres de voter Oui, mais pas de voter Non.
Propagande massive et voix uniques
Le doumbou-rendum pour faire référence au référendum de Doumbouya s’accompagne d’une propagande d’État massive :
- Télévision nationale et radios publiques ne diffusent qu’un discours : celui de l’adhésion inconditionnelle au projet ;
- Les panneaux d’affichage et les slogans officiels ne laissent aucune place au doute : voter Oui, c’est être patriote ; voter Non, c’est trahir la Guinée.
- Aucun débat contradictoire n’est organisé ; les rares journalistes indépendants qui osent poser des questions embarrassantes subissent des pressions ou des menaces.
Il ne s’agit plus d’informer pour convaincre, mais d’endoctriner pour contraindre.
Des incohérences flagrantes dans le texte
Si le fond de la Constitution justifiait ce forcing, le débat pourrait au moins exister. Mais le texte est truffé d’articles qui contredisent l’idée même d’une démocratie équilibrée.
- La création du Sénat : présentée comme un progrès institutionnel, elle se transforme en machine à loyauté. Un tiers des sénateurs sera nommé directement par le président. Autrement dit, l’une des deux chambres chargées de contrôler le gouvernement sera, en partie, un prolongement du pouvoir exécutif. Un Sénat d’indépendance ? Non, un Sénat d’allégeance.
- L’immunité présidentielle : la Constitution prévoit une Cour spéciale pour juger le président et les ministres en cas de haute trahison… tout en leur accordant une immunité
quasi totale pour les actes officiels. C’est l’équivalent d’un tribunal sans droit d’instruction : une justice décorative, sans capacité réelle de sanctionner.
- Mandat présidentiel de sept ans renouvelable une fois: cette durée allongée, combinée à la levée de l’interdiction de candidature pour Doum-bouillant, ouvre la porte à un règne de 14 ans, et c’est sans compter la période de transition déjà écoulée.
Ces incohérences ne sont pas des maladresses ; elles sont le cœur du projet.
Un référendum pour habiller l’autoritarisme
Le gouvernement présente le référendum comme une étape cruciale « vers la stabilité et le développement ». Mais la stabilité ne vient pas d’un peuple bâillonné ; elle vient d’un peuple qui peut débattre, choisir et sanctionner ses dirigeants.
En vérité, ce vote est une opération que je qualifierai de blanchiment politique:
- Blanchir un coup de force en lui donnant un vernis légal ;
- Blanchir la prolongation d’un pouvoir militaire en l’inscrivant dans une nouvelle Constitution ;
- Blanchir l’absence de contre-pouvoirs derrière un jargon institutionnel.
Quand le silence est une arme
En empêchant le débat, en muselant les critiques, en saturant l’espace public de propagande, le pouvoir s’assure d’un « Oui » qui ne sera pas un choix, mais une capitulation. C’est le sens de ce « doumbou-rendum du silence » : un peuple contraint d’approuver par peur, par lassitude ou par absence d’alternative.
Mais je peux garantir qu’un Oui extorqué n’a pas la légitimité d’un Oui exprimé librement. Et une Constitution née de la contrainte porte en elle les germes de la contestation future.
L’histoire récente de la Guinée regorge de Constitutions révisées ou remplacées au gré des ambitions des dirigeants, sans jamais répondre aux aspirations profondes de justice, de liberté et de dignité du peuple. Celle-ci ne fait pas exception.
Le 21 septembre, le pouvoir présentera le Oui comme une victoire. Ce sera, en réalité, la victoire du silence sur la parole, de la peur sur le débat, et du chef sur le peuple.
Mandjou Kouyaté