Dans un communiqué du 21 octobre, la Direction générale des élections (DGE) a annoncé que la caution pour l’élection présidentielle est fixée à la misère de 900 millions de francs glissants par candidat. Le plafonnement des dépenses de campagne est, quant à lui, établi à 40 petits milliards de francs guinéens.

La décision a suscité une vive indignation au sein de la classe politique guinée-haine. Parmi les voix critiques, celle de Ben Youssouf Keita, leader de l’Alliance citoyenne pour le changement et le progrès (ACP). Il estime que le montant fixé pour la caution est excessif. «Pour nous, c’est très élevé. Nous sommes tous des Guinéens. On connaît les conditions de vie de chaque Guinéen. Donc 900 millions, c’est très, très élevé », insiste-t-il. Selon lui, une caution de 500 millions aurait été plus raisonnable au vu de la situation comique actuelle du bled. «Quand on nous a consultés, nous avions dit qu’avec les conditions économiques du pays et surtout les difficultés que nous vivons, un demi-milliard, c’est-à-dire 500 millions, serait raisonnable», explique-t-il, avant de souligner les nombreuses dépenses à prévoir. «Il y a des dépenses à effectuer à la Direction générale des élections, notamment l’impression des cartes d’électeur. Cela nécessite beaucoup d’argent.»

Face aux rumeurs évoquant un éventuel retrait de sa candidature à la présidentielle, le leader de l’ACP a tenu à apporter des précisions. «J’ai bel et bien dit que je suis un candidat indépendant», a-t-il réitéré. Cependant, il dénonce certaines dispositions du nouveau code électoral, notamment celles relatives au parrainage institutionnel. «Avec maintenant l’apparition du code des élections, et surtout le parrainage institutionnel où l’on réclame 30% du parrainage des maires et des présidents des délégations spéciales sur 70% des communes, c’est difficile. Cela l’est encore plus quand tous les présidents des délégations spéciales et les maires ont décidé d’apporter leur parrainage au président général Mamadi Doumbouya, qui ne s’est même pas encore déclaré candidat. Donc la porte est fermée à tous les autres candidats, parce qu’on ne peut pas parrainer deux personnes.»

Malgré ces obstacles, Ben Youssouf Keita réaffirme sa vision politique. «Nous allons trouver une autre issue. Si nous ne pouvons pas être candidat indépendant, il y a la possibilité d’être candidat sous d’autres couleurs, sous d’autres formes », clame-t-il.

Une mesure d’exclusion

Sur cette même question, plusieurs autres candidats indépendants et leaders politiques partagent la préoccupation du boss de l’ACP et dénoncent une mesure « discriminatoire et inadaptée aux réalités du pays. »

Pour l’avocat (sans vinaigrette) Thierno Souleymane Ta-Baldé, candidat indépendant, la caution à 900 millions de francs glissants traduit une volonté claire d’écarter les voix dissidentes. Selon lui, la somme imposée est disproportionnée par rapport au revenu moyen des Guinéens. «C’est un montant assez élevé pour un Guinéen avec un revenu très bas. Dans les conditions normales, l’égalité devant la loi aurait exigé un montant raisonnable. 400 et 500 millions GNF auraient suffi comme caution, pour se présenter à l’élection présidentielle.» L’avocat estime que la politique d’exclusion favorise les acteurs proches du pouvoir. «L’idée principale, c’est d’exclure tous les candidats qui ne font pas partie de la sphère du pouvoir. Voler l’argent public, s’enrichir illégalement, puis revenir acheter la conscience des citoyens pour obtenir leurs votes et continuer à dilapider les biens publics. C’est vraiment dommage.»

S’agissant du plafond des dépenses de champagne, Me Ta-Baldé estime qu’il est irréaliste. «Fixer à 40 milliards la dépense limite est excessif. Si la campagne devait reposer sur les contributions des citoyens et de leur candidat, ce montant est bien trop élevé. […] Si l’on prétend diriger la République, il ne faut pas acheter les consciences pour obtenir des votes, mais gagner l’adhésion des citoyens afin qu’ils participent et soutiennent le candidat de manière volontaire.» Malgré tout, il se dit déterminé à poursuivre sa candidature. «Nous connaissons parfaitement la situation actuelle de la Guinée et les obstacles auxquels nous faisons face. Quelles que soient les difficultés, nous ne renoncerons pas à notre candidature. Je suis candidat, je le reste, et j’utiliserai tous les moyens légaux pour faire valoir mes droits.»

Système électoral verrouillé

 Mamadou le Baadikon Bah de l’Union des forces démocratiques (UFD), dénonce un système électoral verrouillé au profit du pouvoir en place. «Ce montant, de même que la limitation des dépenses à 40 milliards de francs guinéens (4 millions de dollars américains), s’inscrit dans la continuité d’un dispositif visant à orienter l’élection au profit du candidat du CNRD et d’exclusion d’autres acteurs», a-t-il regretté. Rappelant la suspension de certains partis politiques par le Mystère de l’administration du trottoir, pour contrôler  l’activité des partis.  «Ce qui n’est pas illégal, affirme-t-il, mais il est frappant de constater que seuls les deux partis dominants avant l’arrivée du CNRD sont exclus, tout comme leurs candidats. On écarte également les Guinéens vivant à l’étranger, sachant que s’ils revenaient, ils risqueraient la prison. À cela s’ajoute la question de l’âge : on exige un contrôle physique et mental tout en imposant une limite, créant une autre forme d’exclusion. Le système de parrainage, obtenu auprès de personnes nommées par le CNRD, renforce ce verrouillage. Tout est fait pour qu’il n’y ait qu’un seul candidat, celui du CNRD.» D’ajouter : « Dans un pays où la population vit dans la misère et subit toutes sortes de privation, imposer une caution de 900 millions de francs guinéens est une mesure discriminatoire. L’élection devient réservée aux riches, sans considération pour l’origine de leurs fonds. Ce n’est pas la démocratie, mais une dictature de l’argent, une dictature des riches, contraire à la souveraineté populaire», a-t-il déploré. Il estime que  la Guinée se démarque négativement de ses voisins. «Dans la plupart des pays de la CEDEAO, aucune caution ne dépasse 450 millions de francs guinéens en monnaie locale. Nous avions proposé 300 millions, ce qui restait conforme aux normes régionales et aurait pu être discuté. Mais notre avis n’a pas été suivi. […] En 2010, la caution était de 400 millions et personne ne s’en était plaint.»

Pour Faya Minimouno du Bloc libéral, la mesure est non seulement injustifiée, mais révèle une dérive inquiétante du système politique guinéen. Selon lui, rien ne justifie un tel montant dans un pays où la majorité de la population vit dans la précarité. «La question des 900 millions, c’est exagéré, parce que cela ne s’explique ni par la réalité économique de notre pays ni par celle de la région.»

L’opposant rappelle l’évolution des cautions précédentes pour illustrer la ‘’dérive’’. «Lorsque le général Lansana Conté était au pouvoir, la dernière élection qu’il a organisée en 2003, la caution ne dépassait pas 100 millions. Sept ans après, on se retrouve à 400 millions. En 2015, au lieu de corriger cette situation, on a doublé les 400 millions pour aller à 800. Et cette fois, on nous parle de 900 millions… Rien ne justifie cela, sinon l’intention de barrer la route à certains candidats.»

Il déplore que la politique devienne une affaire de pognon. «On est en train de mercantiliser l’espace politique et de transformer la compétition présidentielle en une compétition économique entre hommes d’affaires. Ce n’est pas normal», a-t-il fustigé. Proposant une caution qui  ne devrait pas «dépasser 500 millions.»

A propos du plafonnement des dépenses de campagne à 40 milliards de francs glissants, Faya Mini-mono bégaie. « Cela tient compte de la réalité économique, parce qu’il n’est pas dit qu’il faille plus de 40 milliards. Si vous pouvez avoir plus de 40 milliards, c’est que vous avez été autorisé à les dépenser.»

Participera-t-il à la présidentielle ? «Quant à ma participation, la question n’est pas liée. Si l’intention est de barrer la route, la seule chose que nous cherchons, c’est que l’élection soit libre, transparente et crédible.» Ouille !

Mariama Dalanda Bah