Amis, frères et sœurs de la survie quotidienne, installez-vous ! Pas trop confortablement, hein -parce que chez nous, le confort est un fonctionnaire qui vient rarement au bureau.

Aujourd’hui, on va parler de Simandou. Oui, ce serpent de montagne qui a déjà dévoré trois générations de promesses, quatre régimes politiques et une infinité de mensonges bien huilés. À fakoudou !

Il est 14h. L’heure où la pauvreté commence à chauffer comme une marmite oubliée sur le feu. Ma femme n’est toujours pas revenue du marché. Peut-être qu’elle négocie le piment. Peut-être qu’elle est allée voir ses petits copains. Mais chat ne fait rien. Elle reviendra me faire plein de petits bâtards. Entre nous, quand il n’y a plus l’étincelle comme à 20 ans, chacun se débrouille. À fakoudou !

Dans cette Républiquette, même la vérité a fini par demander l’asile. On en vient à douter jusque dans son propre foyer. On Chen fout !

Alors, je reste face à la télé-bidon nationale, qui capte mieux les mensonges que les images. On dirait un média conçu exprès pour ça. C’est Fana-tique.

Et soudain : paf ! Encore Simandou. Le projet du siècle, du millénaire, de la fin des temps. Ce pays a maintenant son propre mirage, format panoramique.

Trente ans de négociations. Simandou, c’est comme un enfant né prématuré qui décide finalement d’attendre sa majorité avant de sortir de la couveuse. Pendant ce temps, mes enfants ont grandi, passé le bac, pris l’avion, et m’envoient des selfies depuis des pays où les trains arrivent à l’heure. Wallahi !

Et voilà qu’on nous annonce la bonne nouvelle :

– 20 milliards de dollars !

– 650 km de chemin de fer !

– Un port en eau profonde !

– Une raffinerie !

– Le fer le plus pur du monde !

Tout ça soigneusement récité par DJ Diakité-le-barbu, spécialiste du playbook politique, flanqué de ses 14 km de paperasses. On dirait un vendeur de contes pour enfants hyperactifs. Hé Kéla !

Le fer de Simandou ? Parfait pour faire de l’acier. L’acier qui construit des gratte-ciels, des ponts, des voitures… tout ce que nous n’avons pas ici. Mais qu’importe ! Nous, on exportera. 120 millions de tonnes par an. 4 milliards de tonnes de réserve. Des chiffres qui donnent le vertige.

Il faudrait même distribuer des bonbons à la menthe avec les statistiques, pour calmer les nausées économiques. Hé Kéla ! Puis arrive la seconde bonne nouvelle:

– La Guinée dépasse le Sénégal en PIB !

– 37 milliards d’euros !

– Notation B+ !

Sauf que… sauf qu’il y a toujours un « sauf que » dans les histoires guinéennes. Parce que cette victoire-là ne se mange pas, ne se partage pas, ne se voit pas. Elle fait surtout plaisir… au gouvernement. Le peuple, lui, continue de manger du riz sec et des haricots. B+ ou B-, ça ne change rien à la marmite. À fakoudou !

52% des Guinéens sont pauvres.

Mais le PIB augmente !

Les inégalités explosent.

Mais le PIB augmente !

Les services publics suffoquent.

Mais le PIB augmente !

La corruption galope comme un cheval dopé.

Mais le PIB augmente !

C’est magique, non ? C’est ce qu’on appelle la croissance hors-sol. Une croissance qui a choisi l’exil avant même de naître. Elle vit à Dubaï, fait du shopping à Paris, prend du soleil aux Seychelles. Elle ne connaît ni nos quartiers, ni nos villages, ni nos ventres vides. Wallahi !

Quant aux emplois de Simandou… ah !

– Ingénieurs australiens,

– Techniciens chinois,

– Experts européens.

Et nous ? Gardiens du chantier – quand tout va bien. On Chen fout !

Le train passera, chargé de notre fer, et nous, on lui fera coucou comme des figurants recrutés pour applaudir leur propre dépossession. On nous dit : « Soyez patients ! Les retombées viendront ! » Ah oui ? Quand ? Dans trente ans, comme le projet lui-même ? Hé Kéla !

Puis voici venir le minustre des Mines : Bounioule Scylla, l’homme qui partage les ressources avant même qu’elles n’existent. On croirait un illusionniste.

Les recettes de Simandou ? Déjà distribuées ! Avant même le premier wagon, avant même le premier dollar, tout est déjà partagé. Dans les bureaux climatisés, les pourcentages sont calculés jusqu’à la troisième décimale. À fakoudou !

Chez eux, les caisses de l’État ressemblent à un compte Orange Money sans code secret : tout le monde tape dedans. Chapeau, messieurs !

Et maintenant, les élections arrivent. 28 décembre. Simandou devient gri-gri électoral : industrialisation ! Développement urbain ! Transformation locale ! Hé Kéla !

Dans la réalité, le peuple attend. Espère. Prie parfois – discrètement, pour ne pas fâcher les ancêtres. Simandou pourrait être l’opportunité du siècle… ou une nouvelle manière de transformer le fer en misère.

Tout dépendra du partage de la rente : avec le peuple ou, comme d’habitude… sans lui. On Chen fout !

Ma télé continue de grésiller comme un vieux griot enrhumé. Ma femme finira bien par rentrer du marché. Et Simandou continuera de briller à l’écran. À fakoudou !

Et l’autre jour, au grin, quelqu’un disait : « Moi j’ai vu un minustre au meeting. Entre deux poignées de main, il a sorti un poulet rôti – un beau, doré, croustillant, qui sentait jusqu’au dernier rang. Il a dit : Voici Simandou ! Et il l’a découpé : les cuisses pour le président, les ailes pour le Premier minustre, la poitrine pour lui, le foie pour son Dircab… Puis il a montré les os au public : Et voilà votre part ! Avec ça, faites un bon bouillon de développement inclusif ! »

Le grin a éclaté. Moi aussi. Puis j’ai pleuré. Puis j’ai ri encore. Le rire, c’est l’hymne national officieux de la Guinée. À fakoudou !

Sambégou Diallo

Billet

Un chat m’a conté

Pour que la Guinée avance enfin, il faudrait commencer par débrancher le pays, souffler dessus et le rebrancher comme un vieux routeur TECNO.

Il faudrait que nos minustres acceptent de renoncer à leurs fauteuils – ces fauteuils qui collent aux fesses comme du caoutchouc chaud.

Qu’ils déposent leurs titres, leurs badges, leurs barbes et leurs illusions au rond-point de Hamdallaye, et qu’ils marchent jusqu’à Kankan en récitant :

-« Pas de mensonge, pas de mensonge, pas de mensonge… »

jusqu’à ce que le slogan se transforme en vérité. À fakoudou !

Un chat m’a conté

Les minustres guinéens ont trouvé la recette du bonheur : prendre nos impôts, les secouer comme un jus de bissap, et se servir à volonté. Et nous, nous restons là, à boire notre thé amer et à applaudir dans le vide. C’est du grand art ! À fakoudou!

Un chat m’a conté

Le PIB guinéen est comme une étoile filante : il brille dans les journaux, dans les bureaux climatisés, et puis… disparaît dans le ventre vide du peuple.

SD