Les 12 derniers mois ont été ponctués par leur flopée d’élections, plutôt de sélections. Au crépuscule de la colonisation, les métropoles européennes avaient enrichi leur mission « civilisatrice » dans les colonies de l’initiation au vote pour assurer l’alternance politique. Ainsi, à partir de la décade 1940, citoyens et sujets des colonies désignent leurs conseils municipaux, leurs conseils régionaux, leurs assemblées territoriales ainsi que leurs députés à l’assemblée nationale de la métropole, au cours d’un scrutin. L’expérience paraît probante. Hélas, elle n’a pas été suffisamment répétée pour être apprise, internalisée par la conscience collective pour devenir un corpus culturel. Les indépendances viennent au trot et y mettent fin. Voilà le printemps des Partis uniques et autres Partis-États empruntant au système soviétique sa pratique de l’alternance politique qu’ils assaisonnent de tropicalisme avant d’enfer usage.

Les partis « démocratiques » ayant pourtant participé, sous l’influence des formations politiques européennes, au jeu politique de la fin de l’ère coloniale sombrent dans des dérives totalitaristes. Ils s’éloignent tous de l’expression plurielle et du pluralisme politique. Les élections organisées pour assurer l’alternance au niveau des différentes institutions républicaines reflètent l’organisation politique de la société. Dans chaque État, il n’y a plus qu’un leader incontesté et incontestable, affabulé du titre ubuesque de père de la nation et des citoyens, par des flagorneurs de tout acabit, obnubilés par les lambris et la mangeoire des palais. Et bonjour les élections formelles à la soviétique ! De façon cyclique, à chaque élection, le même bonhomme à la tête du même parti est le seul candidat que le peuple doit élire. Il est ainsi régulièrement réélu, plébiscité. Mais comme dit l’adage, « à vaincre sans périls, on triomphe sans gloire ».

Les notions de démocratie, d’élections, perdent leur sens au fil du temps et terminent leur course sous le boisseau des hommes. Naturellement, ce jeu de dupes génère de la lassitude et du dépit de la politique et des politiciens. Comme les hommes ont besoin de renouveler leur classe dirigeante, il est alors apparu une nouvelle forme d’alternance, à l’aube des années 1960 : le coup d’État militaire. Pendant deux décennies, la Grande Muette règle l’alternance et prend une part active à la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle de nombre d’Etats africains. Cela dure jusqu’au début des années 1980, époque où sous le poids écrasant de la dette souveraine extérieure, voire intérieur, ces États se sont soumis à l’ajustement structurelle, pour ne pas s’effondrer.

Peu après à la conférence de La Baule de juin 1990, le Président français, François le Mythe-Errant, impose à ses partenaires africains, le principe que l’aide et bonne gouvernance soient liés. Pas de bonne gouvernance, pas d’aide. Dès lors, la démocratie et la bonne gouvernance deviennent des conditions sine qua non de l’aide. Cette nouvelle approche est en train de s’émousser. La vague de coups d’État, ces dernières années, en est la preuve. On n’a encore donc pas trouvé le bon modèle d’alternance politique. Si on n’invente pas la roue, il n’est pas non plus exclu d’adapter la roue à ces conditions de circulation, tout en prenant soin de ne pas confondre inspiration et caricature.

L’élite politique et intellectuelle africaine doit inventer le mode d’alternance en harmonie avec ces réalités politiques, économiques, sociologiques et culturelles. Ils peuvent toujours lorgner du côté de la charte de Kouroukan Fouga.

Abraham Kayoko Doré