Le 13 novembre, Yaya Kaïraba Kaba, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, a suspendu Kaman Gogana Konomou de ses fonctions de juge d’instruction au tribunal pour enfants. L’arrêté a provoqué une levée de boucliers dans le monde judiciaire.

Le ministre reproche au magistrat « d’avoir manqué au devoir de réserve, à l’éthique et à la déontologie » régissant la profession. Kaman Gogana Konomou « a tenu des propos à caractère politique sur les réseaux sociaux, de nature à troubler le bon fonctionnement de la justice », assène le ministère de la Justice. Sa suspension est suivie de la saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) aux fins d’actions disciplinaires.

L’ex-juge d’instruction du tribunal de première instance de Kindia a relevé des « irrégularités » dans le décret le nommant juge d’instruction au tribunal pour enfants, sis à Conakry. Le ministère de la Justice, garant du droit, ne s’est pas encombré de l’application régulière des normes en la matière. Apparemment, comme Kaman s’est attaqué au décret sur les réseaux, le ministère aurait jugé utile de publier l’arrêté de sa suspension sur les mêmes réseaux sociaux, au grand dam de l’Association des magistrats de Guinée (AMG).

Dans un communiquédu 14 novembre, le Conseil d’administration de l’AMG a fustigé le fait de publier l’arrêté suspendant leur confrère sur Facebook. Se basant sur l’article 38 de la loi portant Statut particulier des magistrats et sur l’article 26 de la loi portant Composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, l’Association des magistrats de Guinée explique que le ministère la Justice et des Droits de l’Homme a violé les lois. « La démarche inacceptable, de publier sur les réseaux sociaux, l’arrêté de suspension d’un magistrat, en dehors des circuits institutionnels appropriés, porte atteinte aux principes fondamentaux de l’indépendance de la magistrature, à la dignité de la personne concernée et à la présomption d’intégrité, garantie à tout magistrat, même en cas de procédure disciplinaire ; de même qu’elle constitue un acte hautement attentatoire à la carrière et à la réputation du magistrat concerné », fustige le communiqué.

Obstacle à l’indépendance judiciaire

Le Conseil d’administration des magistrats de Guinée précise que les décisions de justice ou celles concernant la suspension et la discipline des magistrats sont soumises à des règles de confidentialité, de décence et de respect du statut de la magistrature, qui lient toutes les autorités publiques, y compris le pouvoir exécutif. « Y déroger constituerait un obstacle à l’indispensable et à la sérénité qui couvrent toute la fonction judiciaire. » Pourtant, rappelle le CA, le ministère de la Justice s’était engagé dans un passé récent à ne plus publier une décision de suspension d’un magistrat sur les réseaux sociaux. « L’AMG condamne fermement cette publication intempestive, qui fragilise la séparation des pouvoirs, perturbe l’indispensable collaboration institutionnelle et nuit à la crédibilité des institutions judiciaires. Nous invitons le CSM à exercer effectivement ses attributions constitutionnelles, entre autres, concourir au respect de l’indépendance de la magistrature conformément aux dispositions de l’article 151 de la Constitution en vigueur », indique le communiqué. Et de prendre à témoin l’opinion nationale et internationale, les institutions républicaines et constitutionnelles ; et appelle à la retenue, au respect des formes légales et des valeurs républicaines dans le traitement des affaires judiciaires.

Tout dénoncer ou se taire

Me Mohamed Traoré, avocat et ancien membre du Conseil national de la transition, affirme que le ministère de la Justice a violé la loi en publiant l’arrêté de suspension du magistrat sur Facebook. Il estime que l’Association des magistrats de Guinée aurait aussi dénoncé plusieurs autres irrégularités qui caractérisent le système judiciaire. « Même si la publication est faite sur le compte Facebook du ministère de la Justice, elle demeure contraire à la loi organique portant Statut des magistrats. Mais que dit l’AMG de la nomination des magistrats sans l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ? Soit l’AMG fait état de tout ce qui est non-conforme au droit, soit elle se tait et laisse passer. Si elle décide de s’exprimer, elle doit évoquer toutes les questions qui font débat », écrit Me Traoré sur sa page Facebook. La décision du Conseil supérieur de la magistrature « est très attendue sur le sens qu’il faut donner à l’obligation de réserve » du magistrat Kaman Gogana Konomou. « Peut-être, c’est la décision la plus attendue depuis que le CSM a commencé à fonctionner », conclut Me Mohamed Traoré.

Yaya Doumbouya