À Bamako, d’où sont inspirées ces lignes, le renversement du pouvoir IBK ce 18 août, est l’issue logique du délitement continu et accéléré de la situation politique, économique, sociale et sécuritaire au Mali. Et ce, depuis l’arrivée au pouvoir, en 2013, de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, démissionné. Si ce dernier n’est pas responsable de tous les problèmes du Mali, il y a largement contribué. Le chaos socio-économique est la conséquence, et non la cause du chaos politique
On dénonce fréquemment, ici ou là, la mauvaise gouvernance comme facteur de désespérance sociale et de sous-développement des populations africaines, laissées-pour-compte d’une croissance économique non redistribuée, détournée. De fait, ce coup d’État militaire, coup d’éclat populaire, est la détonation attendue d’un cocktail explosif au double effet détonant (soufflant le désordre établi) et déflagrant (brisant l’ordre interdit).
Depuis dix ans, ce pays cumule les handicaps: irrédentisme touareg, insurrection djihadiste, démographie galopante de jeunes urbanisés et désœuvrés dont la moitié sont entassés dans une capitale hypertrophiée, tensions intercommunautaires, pression foncière autour de ressources insuffisantes, corruption endémique, aggravée par des violences publiques injustifiées. À tel point que de nombreux Maliens et étrangers au Mali se sentent, aujourd’hui, profondément soulagés que l’abcès soit enfin crevé, libérant une tension insupportable.
On aura avantage à (re)lire Panique à Bamako, titre donné, en 2012, par feu Gérard de Villiers aux aventures sahéliennes de son héros Malko. Celui-ci était alors en prise avec les « fous de Dieu » islamistes à la conquête du Mali. C’est, encore aujourd’hui, la conséquence d’une opération militaire internationale sans « service après-guerre » en Libye, qui a largement disséminé un nombre incalculable d’armes et de criminels de tous calibres. Comme toujours lucide et visionnaire, car bien informé et désabusé par une comédie humaine prévisible, l’auteur des SAS confiait alors en privé son pessimisme quant à l’évolution d’une situation inextricable entre communautés irréconciliables.
Embarras diplomatiques et inquiétudes politiques
Pourtant, la situation au Mali n’est pas incompréhensible pour un observateur de terrain. Question d’honnêteté et de volonté pour comprendre et démêler l’écheveau malien. Or, la communauté internationale, indifférente à la misère des populations africaines, par son aveuglement idéologique et sa lourdeur bureaucratique, est devenue un frein – pire, un obstacle – au développement de l’Afrique.
Par ses tergiversations et ses palinodies, elle porte une lourde responsabilité dans l’évolution délétère de cette situation, sans contribuer à sa résolution. Par déni des réalités et une politique inconséquente qui consiste à se laisser volontairement abuser par des dirigeants défaillants, prédateurs et schizophrènes. Par choix idéologique de l’euphémisme (understatement) et d’un fallacieux prétexte de non-ingérence qui interdit tout droit légitime de regard, de conditionnalité et de contrôle. C’est-à-dire par l’application de la méthode Coué et l’annonce de prophéties autoréalisatrices, jamais réalisées.
Les organismes africains inopérants (UEMOA, CEDEAO, UA), les organisations internationales et les bailleurs de fonds complaisants (UE, ONU, BAD, AFD, USAID et bien d’autres), les États impuissants ont beau jeu d’appeler, maintenant, « à la patience et à la responsabilité » des populations exaspérées et désespérées, au « respect de la Constitution » bafouée par leurs dirigeants. Faute d’avoir voulu les imposer aux gouvernants, les peuples se soulèvent. Avec le danger islamiste qui rôde, prêt à profiter de la situation.
Ce qui se passe au Mali est un tsunami populaire qui pourrait provoquer des répliques dans d’autres pays africains au profil similaire – voir le calendrier électoral des mois à venir. Le mythe cynique et illusoire de l’émergence, terme creux de communicant, se retourne contre ses auteurs. A bon entendeur, salut.
Le Sahel, mot d’origine arabe qui signifie « rivage », sortira-t-il enfin du naufrage ? Pour l’heure, la parole est au peuple, signe annonciateur d’autres printemps africains. Laissons-lui sa chance.
Jean-Michel Lavoizard