Par Mouctar Bah

Le 22 octobre, la banlieue de Conakry a de nouveau été le théâtre de tirs et de heurts entre partisans du candidat Cellou Dalein Diallo et forces de l’ordre, quatre jours après une présidentielle dont les résultats officiels se font attendre. Différentes villes de Guinée, à commencer par la capitale, sont en proie depuis lundi 19 octobre, à des violences qui ont fait une dizaine de morts selon les autorités, au moins 19 selon Cellou Dalein Diallo.

  Les tensions qui ont précédé le scrutin pendant des mois ont été avivées après le vote par la proclamation unilatérale de victoire par Cellou Dalein. Diallo, les soupçons de fraude et la publication par les autorités de résultats partiels très favorables à Alpha Condé. L’éventualité d’un troisième mandat consécutif d’Alpha Condé, 82 ans, a provoqué pendant un an une contestation dans laquelle des dizaines de civils ont été tués, faisant craindre une éruption autour du vote, dans un pays coutumier des confrontations politiques sanglantes. Les affrontements se sont poursuivis jeudi 22 octobre à Conakry, dans les quartiers de Cosa, Nongo, Sonfonia ou encore Wanindara, mais aussi en province. « Nous n’avons pas fermé l’œil de la nuit à cause des détonations, des tirs nourris. On a l’impression que nous sommes dans un pays de guerre », a dit un habitant de Sonfonia, Mamadou Moussa Bah. « Les enfants en bas âge sont traumatisés pendant que leurs aînés sont dans la rue, affrontant violemment les forces de l’ordre », a-t-il soutenu

Sous scellés

  Dans ces zones dangereuses, les rues habituellement très animées sont à présent désertées, des détonations au loin confirmant les affrontements en cours. Les jeunes dressent des barricades, renversent des poubelles, allument des feux et harcèlent à coups de pierres policiers et gendarmes qui ripostent à l’aide de moyens anti-émeute, voire de frondes, et très souvent à balles réelles selon de nombreux témoignages. Le camp de Cellou Dalein Diallo accuse celui d’Alpha. Condé de se livrer à une « fraude à grande échelle » pour conserver le pouvoir à tout prix. M. Diallo a proclamé sa victoire lundi 19 octobre en invoquant le travail mené par son parti pour faire remonter les données du terrain et ne pas s’en remettre aux organes officiels, inféodés selon lui. L’animosité et la méfiance ont été accrues par le dispositif policier déployé depuis mardi 20 octobre autour du domicile de Cellou Dalein Diallo qui se dit maintenant « séquestré », par une opération de police menée mercredi 21 octobre contre les bureaux de son parti et des résultats partiels publiés par la commission électorale. Le ministre de la Sécurité, Albert Damantang Camara, a confirmé que les locaux du parti ont été placés « sous scellés » en vertu d’une procédure judiciaire ouverte parce que « des messages contraires à l’ordre public et à l’unité nationale ont été diffusés ». Quant au dispositif mis en place autour du domicile, il a invoqué des « raisons de sécurité », sans plus de détails.

Exode

  La commission électorale, quant à elle, a rendu publics depuis le soir du mardi 20 octobre les résultats dans 20 des 38 circonscriptions que compte le pays, représentant 2,28 millions d’électeurs potentiels sur un total de 5,41 millions d’inscrits. Ces résultats ne permettent pas de se prononcer sur l’issue du vote. Mais, avec plus de 59% des scrutins exprimés, ils accordent une très large avance à Alpha Condé sur Cellou Dalein Diallo, qui ne recueille qu’un peu plus de 31%, selon un calcul provisoire de l’AFP. M. Diallo revendique 53% des voix. Il a dénoncé dans un communiqué des « falsifications massives », des disparitions « inexplicables de procès-verbaux », ou encore des manipulations de taux de participation. Le doute subsiste quant au moment où la commission publiera un résultat final.

  En province, les villes de Pita, Labé et Mali ont également connu des heurts. « Beaucoup de nos parents sont allés dans les villages, ils ont préféré aller se réfugier là-bas », a dit Marwana Soumanoh, chaudronnier à Pita, accusant les forces de l’ordre d’exactions. Le maire de Mali, Abdoulaye Fily Diallo, a pour sa part dénoncé les agissements des soldats du bataillon d’infanterie local, « qui rentrent en ville et tirent n’importe comment, effraient tout le monde » et font plusieurs blessés selon lui.