Par Adama Gaye, (Opposant sénégalais)

Avant le grandiose enterrement qu’il prépare pour son défunt Chef de l’Etat, le Tchad expose le naufrage de la principale organisation d’intégration africaine, l’union africaine (UA), en faisant voler en éclats sa plus bruyante doctrine : le refus de la prise de pouvoir par les militaires en Afrique. Tout le monde se souvient qu’il y a à peine moins d’un an, combien elle s’était agitée pour imposer aux Maliens en révolte contre leur dirigeant d’alors, l’ex-Président Ibrahim Boubacar Keïta, de n’avoir à la tête de leur pays que des civils.

Elle avait exigé l’éviction du Conseil militaire de Transition qui avait été mis en place pour le remplacer par un duo composé d’un Président de la République, Bah Ndaw, militaire à la retraite, donc «civilisé », doublé d’un Premier ministre totalement civil. En agissant de la sorte, elle rappelait la doctrine qui lui tient lieu de torche en la matière depuis l’adoption, en Juin 1999, à Alger, lors d’un Sommet de l’ex-Organisation de l’unité africaine (Oua), son ancêtre, d’une résolution interdisant l’arrivée au pouvoir par les armes, en clair par le biais des coups d’Etat militaires.

C’est hélas une Union Africaine timorée qui se montre à son désavantage depuis le décès du Maréchal tchadien, vissé au pouvoir depuis plus de trente-ans. Tout au plus, de ses épaules carrées, que l’on dirait taillées pour se mettre au garde-à-vous de celui qui fut naguère son patron dans son pays d’origine, le Tchadien Mahamat Faki Moussa, qui préside la commission de l’union africaine, n’a rien trouvé que d’exprimer son « émotion » face à ce qui n’est qu’un coup d’Etat militaire. Sa timide, complice, réaction en dit long sur sa sympathie pour ce changement anticonstitutionnel perpétré, avec l’aide d’une camarilla ethnique de hauts gradés de l’armée, par un Général fabriqué à partir des flancs de son père, Mahamat İdriss Déby-Itno. L’ethnie Zaghawa veille, ce faisant, à maintenir son contrôle sur le pays. L’Union africaine se tait alors que l’armée tchadienne, contrairement à ses normes, prend tranquillement ses quartiers.

La honte. Le déshonneur. Elle fait le mort alors que sous les yeux du monde entier, un pouvoir militaire, déployant tous ses atours, proclame donc sa prise du pouvoir au Tchad, sur la dépouille encore chaude du Président tchadien, Idriss Déby-Itno. Le silence de l’organisation panafricaine ajoute davantage à la confusion. Comme pour empêcher un décryptage de ce qui est probablement un assassinat rondement mené. Un parricide, un crime Dallassien, voire une froide exécution du Maréchal, dernière lubie d’un dirigeant sanguinaire par ses propres troupes, profitant d’une montée bête au front. Ou d’un assassinat en son palais. En somme, une mort injustifiable par les tirs d’une rébellion, commodément convoqués par ses exécuteurs afin de lui bâtir, en guise de couronnes cyniquement montées, un imaginaire héroïque pour perpétuer une geste autour de son corps désormais inerte.

Le silence de l’Union africaine signe sa propre mort. Elle n’en est, en réalité, pas à une contradiction près. Déjà, voici 8 ans, en 2013, elle s’était engagée à faire de l’année 2020, celle où les armes seraient définitivement tues sur le continent. C’est l’inverse. Les guerres reprennent. Du Mozambique au Mali, de l’Ethiopie à l’Erythrée, de la Libye au Tchad, elles tuent de plus belle, quand l’organisation pan africaine plonge toujours plus profondément sa tête dans le sable. Tout ce que le Président de sa commission sait faire c’est participer à des cérémonies de prestation de serment consécutives à des scrutins volés sur le continent. Il est devenu le maître-es-validation de fraudes électorales. Rien ne vient de lui pour rappeler les principes, placer le continent sur les rails de son décollage. Comment en être surpris de la part d’un produit du sérail de l’autocratie à son pire, puisqu’il a fait toutes ses classes à l’Académie Déby de la dictature meurtrière ?

Ne nous y trompons cependant pas : Moussa Faki Mahamat ne fait que prolonger ce qui est en passe de  devenir la généralisation, sur le continent, d’un modèle de pérennisation familiale du pouvoir. L’exemple vient du Togo, première terre à avoir été le théâtre d’un coup d’Etat militaire en Afrique en 1963 avant donc d’être en 2005, à la mort de son généralissime Président, Gnassingbé Eyadéma, celui où la succession d’un père par son fils fut perpétrée sous les baïonnettes des militaires. On s’en souvient comme si c’était un plan conçu pour le scénario que vit le Tchad depuis le 20 avril. Après avoir fermé le ciel togolais et fermé l’entrée dans le pays du successeur constitutionnel du défunt président que devait être Fanbaré Natchaba, alors Président de l’Assemblée nationale, les soldats togolais organisèrent une élection où on les vit voler, en plein jour, les urnes pour aller tranquillement organiser la victoire, donc l’installation au pouvoir, de Faure Gnassingbé, l’héritier qui, depuis, s’incruste à la tête du pays.

Le scénario fut à peine révisé en 2009 au Gabon suite au décès du patriarche Omar Bongo. Malgré une élection qu’il a perdue face à son ex-meilleur ami, devenu son farouche adversaire, André Mba-Aubame, rien n’y fit, c’est le processus de «togolisation» du pouvoir qui s’imposa sous l’œil indolent d’une communauté internationale complice. Au Togo, le pire, c’est que la Cedeao, l’organisation sous-régionale, sous la conduite déjà du comploteur Mohamed Ibn Chambas, avait activement participé au sac du scrutin. Au Gabon, l’Union africaine, dirigée à l’époque par le cacique gabonais du Parti démocratique Gabonais (PDG), Jean Ping, ne moufta guère.

La tendance enclenchée au Togo s’est confirmée au Tchad avec la volonté, cependant résistible, de l’armée ethnicisée, avec la bienveillance de l’homme de Déby à l’UA, d’y appliquer la doctrine de la dynastisation du pouvoir sous certains tropiques. Avec, ici, comme au Togo ou au Gabon, le soutien discret mais cynique de la France, plus que jamais désireuse de garder la haute main sur ses derniers confettis post coloniaux. N’eussent été les exceptions notées en Angola et au Sénégal où les rêves dynastiques  des ex-présidents Dos Santos et Abdoulaye Wade ont été contrariés, on aurait pu craindre qu’un «template», une forme nouvelle de dévolution de pouvoir est en passe d’être adoptée au moyen d’une terreur et de crimes électoraux validés par une conjonction de forces internes et externes.

Cette tendance est grave et dangereuse. Elle doit être combattue. Le cas tchadien offre le meilleur prétexte pour que l’urgent reflux s’opère. C’est le devoir de l’Union africaine, avec l’aide de toute la communauté internationale, de condamner le coup d’Etat intervenu le 20 avril au Tchad, de récuser le pouvoir militaire dont l’annonce d’une transition de 18 mois n’a pour objet que de préparer son installation à demeure, et donc de demander que les dispositions de la constitution soient mises en œuvre.

En clair, c’est le président de l’Assemblée nationale, Haroun Kabadi, qui doit assumer les fonctions de Président du Tchad, quitte, autour d’une table avec les forces socio-politiques du pays et la communauté internationale, à organiser dans un délai rapproché, une élection présidentielle transparente et inclusive, démocratique pour une fois. La menace de la rébellion armée qui agite le pays ne doit pas servir de prétexte.

Elle est justement une raison de plus pour que le Tchad sorte de ses réponses magouillées, sur fond de clanisme et de captation du pouvoir par des intérêts privés. C’est le pré requis pour qu’une «re-ingeniering sociale» donne le départ à une nouvelle ère à ce pays marqué par des années de conflits violents et de mal-gouvernance, de sous-développement.Sauf à vouloir rester une maudite terre de feu et de guerre….

L’Union africaine, par la voix du Président de sa Commission ou celle de son Président en exercice, le Congolais Félix Tshishekedi, doit se réveiller de son profond sommeil et dire halte au coup d’Etat que le fils de Déby Itno vient de faire. C’est ce qui lui reste d’honneur qui est en jeu.

A G