Exfiltrer les prisonniers politiques (Ousmane Gawa Diallo, Ibrahima Bah, l’ex-Chérif de la BCRG, Cellou Ta-Baldé et Ablo Bah) de l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie ne relevaient pas des prérogatives de Charles Victor Maka, tout comme renvoyer l’ancien maire de Kindia au gnouf : La direction nationale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion est en passe de devenir le bras armé du pouvoir Grimpeur qui emprisonne et libère à sa guise.
Semi-liberté, double violation de la loi ! Mis à part les circonstances de leur interpellation au lendemain de la présidentielle du 18 octobre dernier, la méthode et les arguments invoqués pour libérer les cadres (en bois) de l’UFDG, tout comme pour retourner au gnouf l’un d’eux, Abdoulaye Bah, sont critiqués aujourd’hui dans le monde judiciaire et politique guinéen. A leur libération, le 17 juillet dernier, les réactions avaient presqu’à l’unanimité salué l’acte, apprécié comme un geste d’apaisement de la part du régime Grimpeur vis-à-vis de, notamment, son principal opposant la Petite Cellule Dalein Diallo encore amer de voir le kibanyi présidentiel lui échapper pour la troisième fois (2010, 2015 et 2020).
Toutefois et (aussi étonnant que cela puisse paraître), même dans les rangs des avocats (sans vinaigrette) de la défense, les réactions étaient mitigées. Dans une tribune rédigée dans la foulée, l’un d’eux, Mohamed Traoré, avait estimé qu’ils «devraient avoir le triomphe modeste, si tant est qu’il y a un triomphe. Il n’y a vraiment pas à pavoiser». Un véritable dilemme : d’ordinaire, voir ses clients libres n’est que source de joie chez un avocat. Mais, quand au sortir de leurs cellules, les anciens bagnards avaient posé avec le leur, Sali-flou flou Béavogui, tout sourire, ce dernier s’était vu rappeler à l’ordre par le Barreau. On lui a rappelé qu’il intervient abusivement dans les médias. Mieux, qu’un avocat n’est pas avocat que des intérêts de ses clients, il est aussi défenseur de la légalité. Ce dont souffrait, de l’avis des juristes, la décision de semi-liberté accordée aux prisonniers politiques par l’Administration pénitentiaire.
Bataille de sémantique
Cette direction du mystère de la Justice que pilote le robin Charles Victor Maka a été perçue comme un moyen d’instrumentalisation de la justice aux ordres de Sékhoutouréya, le Palais présidentiel. Se posent alors les questions de qui peut accorder un régime de semi-liberté et à quel moment ? «Dans les pays où il existe une direction de l’Administration pénitentiaire, il est inimaginable que celle-ci puisse exercer les attributions dévolues au juge d’application des peines (JAP). La direction de l’Administration pénitentiaire se contente de “gérer” les détenus. Le mélange de genre que la Guinée vient encore une fois de servir au monde entier ne fait qu’affaiblir davantage le prestige d’une justice dont on dit régulièrement qu’elle peine à rassurer», déplore l’avocat (sans vinaigrette) Mohamed Traoré. «La direction nationale de l’Administration pénitentiaire a créé une terrible confusion en parlant de régime de semi-liberté pour des détenus non jugés à plus forte raison condamnés», poursuit-il, invitant à différencier le régime de semi-liberté d’ une liberté conditionnelle.
Si cette dernière est accordée par le juge à des personnes en attente de procès, la première s’applique au condamné: «Le régime de semi-liberté associe détention et liberté. Le condamné placé sous ce régime est en détention. Mais il peut sortir de la prison pour exercer certaines activités : formation professionnelle, stage, enseignement, recherche d’emploi, participation à la vie de famille, à un traitement ou un projet d’insertion ou de réinsertion. Il est astreint à rejoindre l’établissement pénitentiaire selon les modalités déterminées par le Juge de l’application des peines en fonction du temps nécessaire à l’activité en vue de laquelle il a été admis au régime de semi-liberté. Il peut par exemple rejoindre la prison tous les soirs ou toutes les fins de semaine. Le condamné est astreint à demeurer dans l’établissement pénitentiaire les jours où, pour quelque cause que ce soit, ses obligations extérieures se trouvent interrompues».
Sékou Koundouno du FNDC avait dénoncé une violation du principe de la séparation des pouvoirs : «Le directeur de l’Administration pénitentiaire relève du ministre de la Justice, il est soumis à l’autorité de ce dernier». L’activiste exilé au Sénégal de conclure : «Mais si par bêtises, on arrête des citoyens et on les libère en commettant les mêmes bêtises, on ne peut que s’en réjouir…».
Ousmane Gawa mais pas Faux-dé Oussou ?
En prenant une décision qui n’était pas la sienne et à un moment inapproprié, Charles Victor Maka a avancé des arguments qui suscitent d’autres interrogations. Le 10 août, il a accordé une autorisation d’évacuation sanitaire, «dans les pays de leur choix», à Ousmane Gawa Diallo et à Ibro Chérif Bah, l’ancien Gouve de la BCRG, «après examens de leurs dossiers médicaux par un collège de médecins», précise-t-il. Il n’en fallait pas plus pour que des jaloux s’interrogent sur la légalité (motivations) du refus des autorités de laisser Faux-dé Oussou Faux-fana partir soigner son œil dans l’Hexagone, comme l’a recommandé son médecin. Encore que ce dernier n’est jusque-là ni poursuivi ni condamné. Faudrait-il, en Guinée, perdre sa liberté pour jouir de ses droits ?
Ramener la Guinée là où Conté l’a laissée
En recouvrant leur liberté, les prisonniers politiques étaient astreints à certaines obligations : poursuivre leur traitement prescrit par leurs médecins, répondre à toute réquisition de l’administration pénitentiaire et ne pas sortir de Cona-cris, sans autorisation. Trois semaines après, l’ancien maire de Kindia et membre de l’UFDG, Ablo Bah, a été reconduit au gnouf au motif qu’il a violé les conditions de sa libération, selon une nouvelle décision de la direction nationale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion. Il est accusé de s’être livré «à des appels à la désobéissance civile et atteintes aux Institutions de la République». En réalité, le prisonnier a déclaré son leader l’élu de la présidentielle du 18 octobre, déniant ainsi à Alpha Grimpeur la qualité de président de la République. Un crime de lèse-majesté lorsqu’on sait que ce dernier ne digère pas le fait que son principal rival, la Petite Cellule Dalein Diallo, refuse toujours d’admettre sa défaite. C’est à croire que le Timonier souffre d’un complexe de légitimité.
Face à cette situation, les plus dubitatifs se sont convaincu que la direction nationale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion, pour ne pas dire l’appareil judiciaire dans son ensemble, est à la solde de l’Exécutif. Ce dernier décide de qui doit aller en prison ou en sortir. Comme jadis quand Fory Coco, en exfiltrant son ami Mamadou Sylla de sa cellule à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie, avait crié : «C’est moi la loi, c’est moi la justice !» Tout le monde s’en était indigné, surtout le principal opposant du régime d’alors : Alpha Grimpeur. Ce fut le point de départ des mouvements sociaux de janvier et février 2007, sur fond de grèves syndicales. L’actuelle présidente du Conseil comique et social, Rabi Sérah Diallo, pourrait le confirmer. Si elle n’avait pas perdu sa langue comme elle a perdu ses convictions syndicales.
Diawo Labboyah