Imaginons un instant le désarroi, le déshonneur des parents de cette fille dont l’algorithme de Facebook même qualifie de populaire en ce moment. Tchoobôti ! Un mariage de hold-up aux dires des parents  détachés de leur fille, de leur chair et de leur sang. La famille est le meilleur lien et dernier refuge qui soit, et même un ivrogne buveur de tamba nanya le sait. La photo de l’heureux mariage est fort symbolique: une femme agenouillée devant son mari, unie pour le meilleur et pour le pire, envers et contre toute sa famille, semble-t-il. Cette image nous évoque un pasteur évangéliste en train, à coup d’incantations, de désenvoûter une fidèle. Cette image est si puissante que l’on confondrait volontiers l’agenouillement à une prosternation. Les films hollywoodiens nous donnent d’habitude à voir un prince charmant, genou gauche à terre, demandant : princesse (…) veux-tu m’épouser ? Oh mais oui l’amour a ses raisons que la raison ignore! Cela vaut tant pour l’amour filial (parfois tyrannique de nos parents) que pour l’amour à la folie d’une femme pour un homme et vice-versa, qui nous pousse à se mettre à dos famille et amis, à renoncer à une partie de notre identité, prénom et religion. Qu’importe, seuls les deux heureux mariés savent le tréfonds de leur amour. Et seul vaille la justice de Dieu devant l’anathème de la société.

C’est une affaire relevant de la vie privée, dira-t-on, mais une telle affaire peut causer des troubles à l’ordre public. Voyons  les remous devant le portail du lieu de la cérémonie, où la pauvre mère, femme simple, femme de résignation, femme des champs, se voit refuser l’entrée dans les lieux. On n’est pas devant une affaire classique de mariage forcé ou précoce. Beaucoup parlent de consentement des parents dans cette affaire, invoquant façon le droit civil. Cependant, le consentement d’origine familiale n’est requis que pour un mineur ou un majeur incapable. Que nos jurisconsultes nous trouvent d’autres fondements juridiques pertinents pour une action judiciaire dont les parents songeaient. Quant à nous, nous pensons au phénomène d’emprise psychologique, à la dérive sectaire, notions existant en droit français dont il faudrait vérifier la consécration en droit pénal guinéen.

Le problème n’est tant le mariage mixte, intercommunautaire ou interreligieux. Des couples mixtes entre filles et fils du Fouta, du Manding, de la Forêt et de la Basse-Côte, il y en a beaucoup, depuis belle lurette. Des femmes du Fouta mariées à des chrétiens, à des Européens athées, il y en a des centaines. Dans la présente affaire, l’on se retrouve vite face au dilemme cornélien entre le respect de la liberté individuelle et celui  des valeurs traditionnelles et familiales africaines. Les libertaires, les droits-de-l’hommistes et les individualistes défendront bec et ongles la liberté individuelle et, que sais-je encore, le libre-arbitre de l’individu. Nous respectons leurs opinions. Quant à nous, nous défendons les droits de l’homme et des peuples définis dans la charte africaine, qui tiennent compte des « vertus des traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser nos réflexions sur la conception des droits de l’homme » et des libertés fondamentales. A cet égard, nous pensons au pulaaku. D’ailleurs, à part le leppi, que reste-t-il du pulaaku, cet idéal de vie, cet art d’être peul ? La charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à la différence de la conception occidentale , consacre  également des devoirs de l’individu envers la famille et la société, à savoir : respecter et considérer ses semblables (…) ; préserver le développement harmonieux de la famille et d’œuvrer en faveur de la cohésion et du respect de cette famille ;  respecter à tout moment ses parents (…) ; veiller, dans ses relations avec la société à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives, dans un esprit de tolérance, de dialogue et de concertation (…) (articles 27, 28, 29).

Dans de telles situations cornéliennes, devant Dieu et les hommes, imagine un instant le désarroi et le désespoir de ta mère qui te porta sur le dos, elle qui t’allaita, elle qui gouverna tes premiers pas, elle qui la première t’ouvrit les yeux aux prodiges de la terre, la mère nourricière, pense à elle et, à ton tour, essuie ses larmes et réjouis son cœur (Camara Laye, poème liminaire, L’enfant Noir).

Motimbi