La semaine qui s’achève offre le spectacle d’une confusion effarante au sommet de l’Etat. A peine quatre jours ! C’est le temps qu’il a fallu pour poursuivre, incarcérer et élargir des innocents – puis récompenser un magistrat ayant bafoué la lettre et l’esprit du droit. Convenons-en: pour un pays dont la devise comporte la valeur de Justice, c’est un drame.
Tout a débuté mardi matin (5 juillet) par des accusations tonitruantes du Procureur Général près la cour d’appel de Conakry annonçant que trois responsables d’un mouvement de la société civile étaient recherchés par la justice. Motifs invoqués: injures portant atteinte à l’administration et aux membres du Conseil national de la transition (CNT).
Manu militari et sans mandat d’arrêt, quelques heures plus tard, des membres de la deuxième Brigade de Répression du Banditisme (BRB) capturent les individus désignés à la vindicte populaire. En pleine conférence de presse, au siège du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et devant des journalistes. Violence, mépris de la procédure, rapidité de la « sanction » … après la destruction des édifices privés sans décision judiciaire préalable (dénoncée par La Nouvelle Donne le 11 Mai dernier), on s’en prend désormais à l’intégrité physique des Hommes.
Dès le lendemain, le « Parquet Général » justifie le recours à la brutalité en employant un jargon juridique qui tente de faire oublier l’essentiel : l’indépendance de la justice compte moins que la nécessité de réprimer toute forme de critique. Après l’interdiction des manifestations, les citoyens doivent comprendre qu’il faut désormais obtempérer aux ordres plutôt que d’interroger leur bien-fondé.
Tollé national et international … appels à la libération, manifestations spontanées, des blessés. En quelques jours, la mobilisation prend forme. Vendredi, le Ministère public, représenté par le substitut du procureur de la République près le Tribunal de première instance de Dixinn requiert la relaxe. Voici les détenus libérés. Stupeur, joie … et effroi. Quelle image les autorités de la Transition donnent-elles de leur conception de l’exercice du pouvoir ? Quel spectacle offre la justice de notre pays ? La boussole de la justice de la Transition est en panne.
Sinon, comment peut-on, en moins d’une semaine, transformer des innocents en coupables ? Comment le Ministère public peut-il, sans honte ni vergogne, considérer que le recours à la brutalité et à des traitements humiliants et dégradants est « légal » ? Quelles que puissent être les « justifications » avancées, cette folle semaine nous a révélé la gravité de notre situation collective.
Le chef de la Transition a eu le mérite d’apporter une réponse sans équivoque à certaines des questions traversant l’opinion publique. Vendredi soir, le Procureur général est devenu «Ministre de la Justice». Ni sanction, ni excuses, donc. Une promotion ! Nous voici prévenus. Reste à savoir le crédit qu’il convient d’accorder à une administration qui ignore délibérément l’application des règles qui la régissent …
Dès lors, comment croire à l’impartialité de la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) ? Le 5 septembre 2021, un coup d’Etat a suspendu le règne illégal d’un homme politique qui s’était affranchi du respect du droit au moyen de manœuvres illégitimes. Le 5 juillet 2022, le recours à des méthodes dignes d’une dictature militaire nous a rappelé à quel point la « boussole de la justice » semble avoir « perdu le nord » si tantôt elle l’avait eu.
Manifestement, ce régime d’exception ne dispose ni de la légitimité ni des compétences requises pour mener à bien notre « sortie de crise ». A la différence du Burkina Faso ou du Mali, la Guinée ne connaît pas une situation sécuritaire « justifiant » sa gestion par des «forces spéciales ». Enoncer cette évidence n’est pas offenser les dirigeants du jour mais rappeler qu’on ne peut se comporter avec les citoyens d’une nation comme on le fait avec les membres d’un commando.
Les mauvais résultats du BEPC révèlent le « bilan » sans équivoque d’une décennie de mauvaise gestion de la chose publique. Nous sacrifions notre jeunesse et sapons l’avenir de notre nation. Il y a donc urgence à interrompre la redoutable machine qui transforme les citoyens d’un pays riche en individus « misérables » – auxquels on refuse dignité, justice, éducation, santé et emploi.
Pour y remédier, il nous faut reconstruire la Guinée sur des valeurs permettant la réalisation d’un « projet de société » rassembleur et bienveillant. Il s’agit d’un chantier de longue haleine qui doit débuter par l’organisation rapide et efficace d’un scrutin crédible – afin que nous disposions enfin d’un « président démocratiquement élu ». C’est la priorité à laquelle la transition doit s’atteler – sous peine de perdre la confiance qui lui resterait encore et d’épuiser la patience des Guinéens.
Déclaration faite le 09 Juillet 2022
La Nouvelle Donne