Les autorités sénégalaises avaient indexé d’infiltrés étrangers dans les manifestations du 1er juin qui ont embrasé certaines villes du pays comme Dakar, suite à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko pour « corruption de la jeunesse ». Alors que des Guinéens interpellés sont détenus à Kédougou et que d’autres se sont vus refuser l’entrée au Sénégal, les autorités guinéennes mettent en doute le motif invoqué par Dakar.

Acculé par des manifestants à la fois contre la condamnation à deux ans de l’opposant Sonko, l’éventualité d’un troisième mandat de Macky Sall et la vie chère, le régime de Dakar cherche-t-il son bouc-émissaire ? Et la communauté guinéenne établie au Sénégal, environ quatre millions d’âmes (près du tiers de la population guinéenne), passe pour l’agneau de sacrifice. Selon les statistiques du ministère des Affaires étrangères, de l’intégration africaine et des Guinéens de l’étranger, 31 compatriotes ont été interpellés le 7 juin (soit une semaine après les manifs) à Dakar, par une patrouille mixte de la gendarmerie et de la police sénégalaise. Ils ont été escortés vers la frontière avec la Guinée. S’y ajouteront 13 autres, raflés en cours de route. L’ensemble faisait 54 personnes détenues à Kédougou, à la frontière, en attendant leur expulsion ou éventuellement leur relaxe. Mais dans ce lot, les autorités guinéennes font état de femmes et d’enfants libérés suite à des tractations diplomatiques, sans toutefois en préciser le nombre et s’ils restent au Sénégal.

Refus d’entrée

Les autorités sénégalaises veulent-elles profiter de la situation pour lancer une opération de chasse aux Guinéens et de fermeture de ses frontières à son voisin du sud ? Toujours est-il que des voyageurs en provenance notamment de Pita, Labé et Conakry se sont vus refuser l’entrée en territoire sénégalais, à en croire le Directeur général des Guinéens de l’étranger, Mamadou Saïtiou Barry : « A la frontière guinéo-sénégalaise de Bhoundou Fourdou, des compatriotes en partance pour Dakar ont été interceptés et retournés au pays au motif qu’ils n’avaient ni passeport ni carte d’identité. Au nombre de 51, ils ont regagné leurs familles avec l’implication du préfet de Koundara et les départements sectoriels (Affaires étrangères, Administration du territoire…) »

Dakar reproche à la première vague de Guinéens interpellés au Sénégal d’avoir participé aux manifestations violentes consécutives à la condamnation, le 1er juin, du leader du Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) à deux ans d’emprisonnement. Poursuivi au départ pour « viols et menaces de mort » sur Adji Sarr, une employée d’un salon de massage dakarois, la justice n’a retenu finalement que l’infraction de « corruption de la jeunesse », synonyme d’incitation à la débauche. Une peine assez suffisante, malgré tout, pour mettre hors compétition ce candidat sérieux à la présidentielle de février 2024. De quoi révolter les partisans d’Ousmane Sonko, convaincus que le président Macky Sall déblaie ainsi la voie pour un controversé troisième mandat qu’on le soupçonne de vouloir briguer.  

« Rien ne nous dit que des Guinéens ont manifesté »

Des expatriés guinéens se retrouvent ainsi mêlés à une situation sénégalo-sénégalaise. Mais les personnes interpellées ont-elles effectivement participé aux manifestations qui ont secoué le pays de la Téranga ? « Les compatriotes ont été interpellés le 7 juin, soit une semaine après les manifestations, remarque le Directeur général des Guinéens de l’étranger. Nous sommes en train de faire des investigations à travers notre ambassade. On a toujours demandé à nos compatriotes de ne pas se mêler des affaires internes de leur pays d’accueil. Pour le moment, rien ne nous dit qu’ils ont participé aux manifestations. On attend d’y voir plus clair. Le ministre des Affaires étrangères est en rapport avec son homologue sénégalais. On verra quelle disposition prendre par la suite ».

Le Sénégal avait fermé ses frontières sud alors que la Guinée faisait face, entre 2014 et 2015, à une crise épidémiologique à virus Ebola. A contrario, Alpha Condé, en proie à des contestations contre son troisième mandat, avait pris fin 2020 une décision similaire vis-à-vis de Dakar qu’il soupçonnait de servir de base-arrière à ses opposants. Autant dire que les brouilles diplomatiques entre Conakry et Dakar sont monnaie-courante.

Diawo Labboyah Barry