Depuis novembre 2022, les manifestations sont interdites sur l’étendue du territoire guinéen. Le 13 août, des citoyens de Kankan sont passés outre. Ils ont investi les rues de la ville, pour, disent-ils, « soutenir les actions du colonel Mamadi Doumbouya ». Le 14 août, le ministre de la Justice et des droits de l’homme, Alphonse Charles Wright, a instruit au procureur général près le tribunal de première instance de Kankan d’engager des poursuites judiciaires contre les initiateurs de la manif. A date, aucune personne n’a encore été poursuivie de manière officielle dans cette affaire. Des acteurs sociopolitiques du Nabaya dénoncent du « deux poids deux mesures ».

Mea-culpa du gouverneur

Le 15 août, le gouverneur de la ville, le colonel Moussa Condé, s’est fendu d’une déclaration de mea-culpa pour  les manifestants pro CNRD, arguant que ces derniers ont agi sous le coup de l’enthousiasme. « Ces jeunes sont sortis pour manifester leur reconnaissance envers les autorités de la transition. Je demande à l’autorité nationale et internationale d’accepter le pardon de mes enfants », a-t-il plaidé. Juste après, la déclaration que projetait de faire le Parquet général près la Cour d’appel de Kankan a été reportée sine die. Dix jours après, c’est toujours silence radio. 

Une attitude que dénoncent les acteurs de la société civile et de la classe politique. Ils rappellent au passage que des femmes du RPG arc-en-ciel, l’ancien parti au pouvoir, avaient été jugées et condamnées pour avoir réclamé fin mai, dans les rues de Siguiri et Kankan, le retour de leur leader Alpha Condé, exilé à Istanbul (Turquie). Plutôt, en mars, des jeunes manifestants contre les délestages avaient subi le même sort. Mamby Camara, coordinateur régional du RPG arc-en-ciel dans le Nabaya, joint par Guineenews, déplore que la justice « n’est pas du tout équitable. Il n’y a pas si longtemps, les jeunes ont manifesté pour le courant, ils ont été arrêtés et emprisonnés en l’espace d’une semaine. C’est presque le même scénario pour les femmes du RPG qui ont manifesté à Kankan et à Siguiri. Elles ont été arrêtées et condamnées sous prétexte qu’aucune manifestation n’est autorisée sur toute l’étendue du territoire national. Sauf que ces jeunes, qui se disent pro CNRD, ont aussi manifesté dans les rues de Kankan. Mais nous, on n’a pas vu cette justice ».

« La boussole cassée »

Pourtant, Charles Wright a été très clair : « Que ce soit pour ou contre, toutes manifestations non autorisées feront l’objet de poursuites judiciaires ». Sory Sanoh, ancien préfet de Nzérékoré et Kérouané, reste dubitatif. Pour lui, l’attitude de la justice à Kankan prouve que « la boussole de la transition est cassée ». Il vit avec amertume cette inégalité : « Au RPG, les femmes ont voulu organiser une marche pacifique. Elles ont été interpellées au nombre de neuf parmi lesquelles une était enceinte… C’est avec un vent d’espoir que nous avons entendu le ministre de la Justice dire au procureur de poursuivre les auteurs de la dernière manif. Mais comme il s’agit des pro CNRD, on constate que rien ne bouge ».

Lamine Tounkara, coordinateur régional de l’ONG Même Droits pour tous de Kankan, dénonce la lenteur de la procédure : « C’est une chose qui n’est pas acceptable. Il faut que les justiciables ou les citoyens soient traités au même pied d’égalité ». Le coordinateur régional de la Maison des associations et ONG de Guinée (MAOG) de Kankan, Moussa Traoré s’interroge : « Est-ce que dans cette manifestation de soutien il y avait une volonté de violence ou de trouble à l’ordre public ? On peut faire un rapprochement entre le mouvement des jeunes pro CNRD et la manif des femmes du RPG. L’esprit de violence n’était nullement présent, il n’y avait aucun élément infractionnel… ».

Abdoulaye Pellel Bah