A la fin de la Deuxième guerre mondiale, au milieu de la décennie 40, un vent de liberté et d’émancipation souffle sur la France d’Outre-mer. La prise de conscience des populations contre la domination et la soumission est évidente. Partout dans les territoires, naissent, se raffermissent et se propagent à la manière des pandémies, des mouvements et des formations politiques, voire des regroupements régionaux et ethniques porteurs d’espoir. L’arrivée du Général de Gaulle aux affaires en mai 1958, à la faveur des péripéties de la guerre d’Algérie, précipite la marche des colonies vers l’indépendance.

En effet, les généraux français qui commandaient les troupes en Algérie opposées à l’idée d’indépendance de ce pays préconisée par certains politiciens de la 4ème République, forcent le Général De Gaulle à s’emparer des rênes du pouvoir à Paris, pour transformer en réalité leur rêve de garder l’Algérie dans le giron de la France. Mais l’ancien de la résistance, observateur avisé de la 4ème République, savait que le pouvoir politique était malade. Face au Parlement, fort de son élection au suffrage universel, le Président de la République élu par les grands électeurs, est faible et que son rôle se ramène tout juste à inaugurer les chrysanthèmes. De Gaulle dont on connaît la hauteur d’esprit et l’orgueil ne peut s’accommoder d’un tel rapport de force déséquilibré. Il pose ses conditions. Il préconise le renforcement des pouvoirs du Président de la République en commençant par l’élire au suffrage universel comme le sont les parlementaires, ce qui suppose le changement de la Constitution et donc l’élaboration d’un nouveau texte. De Gaulle et ses collaborateurs font d’une pierre deux coups, lors de ce travail. Les signaux annonciateurs de la nécessité de l’évolution de l’Union française sont devenus désormais nombreux et évidents. Les guerres d’Indochine et d’Algérie, les évènements tragiques de Madagascar ont des échos retentissants dans l’ensemble des processions françaises à travers le monde entier. L’occasion est opportune pour soumettre au vote des colonies, les textes révolutionnant les relations entre la France et ces dernières en communauté Franco-africaine, le 28 septembre. De Gaulle qui tenait à son projet de constitution comme à ses prunelles, décide d’aller par monts et vaux, l’expliquer aux Africains. Les rues-meurent racontent qu’il n’a ajouté la Guinée à la liste des pays dignes de visite que sur les conseils d’amis connaissant parfaitement l’élite politique africaine.

Après Fort-Lamy (N’Djamena), Bangui, Tananarive, Brazzaville, Abidjan, le Président du conseil arrive à Conakry, le 25 août, un après-midi lourd, humide. Sur le tarmac de l’aéroport Gbessia, l’attendent M. Sékou Touré (Président du conseil du territoire), Jean Mauberna (Gouverneur de la colonie), Saifoulaye Diallo (Président de l’Assemblée territoriale) et tout le gotha noir et blanc du territoire. Après les salamalecs d’usage, tout ce beau monde s’ébranle vers Kaloum. L’allégresse est grande, l’ambiance féerique. Le Général est enthousiaste, émerveillé. Il croit constater là le résultat de l’œuvre civilisatrice de la métropole. Bientôt le cortège atteint le Palais des gouverneurs où après un bref repos, les Guinéens et leur hôte à pied, rejoignent l’Assemblée territoriale. Là, règne une atmosphère délirante. Cependant, personne ne se subodore la gravité de l’évènement qui point à l’horizon. La délégation entre et prend place à l’intérieur de l’Assemblée. Saifoulaye Diallo est le premier à prendre la parole pour prononcer l’allocution d’accueil. Altier mais courtois, de sa haute stature, il remercie les hôtes pour leur présence en Guinée, mais aussi pour ce que la France a fait en Guinée. Mais il exprime aussi le besoin de liberté ressenti par les populations guinéennes. Ensuite, le président du Conseil du gouvernement, Sékou Touré, se lève et lentement avec beaucoup de gravité, s’approche du micro. Après avoir reconnu que la France et la Guinée ont de solides relations historiques, il revendique avec beaucoup plus de force encore, le droit du peuple de Guinée à la dignité, la liberté et l’indépendance. Plus il parle, plus il devient tonitruant, incisif. Et vlan, il met le pied dans le plat « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ». La foule vibre ! Le Secrétaire général du PDG-RDA rejoint son fauteuil et le Général lui succède au crachoir. De toute évidence, le discours qu’il vient d’entendre l’a profondément agacé et y répond avec la même fermeté et la même vigueur. Après avoir exprimé, sur un ton moqueur, sa satisfaction et sa fierté devant l’œuvre accompli par la France en Guinée dont les discours des deux responsables qui l’ont précédé sont la meilleure illustration, De Gaulle s’exclame : « On a parlé d’indépendance. Je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre le 28 septembre en disant « Non » à la proposition qui lui est faite. La métropole n’y fera point d’obstacles. Et votre territoire pourra, comme il voudra et dans les conditions qu’il voudra, prendre la route qu’il voudra. La métropole en tirera les conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera point. »

La rupture est consommée. Le Général dira, plus tard, en aparté : « Voilà quelqu’un avec qui on ne peut pas s’entendre ». La croix de Lorraine s’est brisée sur le Syli. Le vote du 28 septembre 1958 n’est qu’un jeu d’enfant et l’indépendance est proclamée le 2 octobre 1958 par Sékou Touré. La France quitte la Guinée après 60 ans de colonisation. Mais une question fondamentale taraude bon nombre de Guinéens : qu’avons-nous fait de notre indépendance ?  

Abraham Kayoko Doré