Le district de Koliagbé (Friguiagbé) a connu des soubresauts le 17 mars. Des citoyens se sont révoltés contre un natif de la localité devenu gênant. Une cohabitation vieille de plus de 60 ans se termine par le drame.
Sous la première république, El Hadj Alpha Ousmane Diallo, retraité, se lance dans l’agriculture. Son gendre, Baïdy Guèye, lui vend un domaine de 84 hectares sis au district de Koliagbé, dans la sous-préfecture de Friguiagbé, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Kindia. El Hadj Ousmane s’installe et fonde une famille. A sa mort en 1995, son fils, Ibrahima Kalil alias Marcos hérite de la plantation. L’idylle avec la population de Koliagbé s’arrête net, après 2015. Un groupuscule de ressortissants de la Basse-Côte, au nom d’une organisation appelée Labéssanyi (comprendre en français Basse côte), se met à spolier les terres légalement acquises des Guinéens d’autres régions. Aux yeux de Labéssanyi ceux-là, des ‘’étrangers’’ ne doivent pas posséder plus de 4 parcelles de la terre de ses ancêtres. A la tête du mouvement, un certain Cheick Mohamed Fofana alias Cheick Affan. Il s’affiche avec tous les notables, cadres (en bois), politicards…originaires de la Basse-Côte ou presque. Avec sa bénédiction, la famille Camara de Yatiya revendique la paternité des terres d’Ibrahima Kalil Diallo. La famille Diallo dispose du titre foncier en due forme : « On a tous les documents qui prouvent que la plantation appartient à mon père. Il a acquis le domaine au temps de Sékou Touré », affirme Ibrahima Kalil Diallo. La famille Camara, une partie des habitants de Koliagbé et Labéssanyi n’en ont cure. Pour eux, un « étranger » ne peut détenir à lui seul un domaine aussi vaste. Ils investissent le domaine.
Ils lorgnaient en réalité ces terres depuis belle lurette. Ce matin de 2018, Kalil Marcos reçoit l’appel du président du district : « Il m’informe que des sages du Kania viennent pour une histoire de partage de terres. » Pour ne pas tout perdre, le propriétaire engage lui-même des négociations, conseillé par le secrétaire communautaire de Friguiagbé. L’autre camp réclame 40 millions de francs glissants, présente la liste de ceux qui doivent percevoir le pognon : « Les plus influents, le président du district y compris, touchent chacun 10 millions de francs guinéens », explique un témoin. Tout le monde émarge, une copie va au secrétaire communautaire, l’autre est envoyée à El Hadj Mamoudou Camara, grand imam de Kindia. La famille Diallo croit le conflit éteint.
Kalil Marcos accusé d’accaparer les terres, Labéssanyi entre en action
Dans le partage des 40 millions, la famille Yatiya décide d’exclure un certain El Hadj Abou Camara, au motif que celui-ci n’est pas des leurs, mais de Koulounkouloun, village voisin de Koliagbé. El Hadj Abou interpelle Labéssanyi. Le mouvement réveille le dossier, contraint le propriétaire à un nouveau partage : des 84 hectares, dont 16 longent un bas-fond. Cheick Affan donne un hectare au propriétaire, 15 à la famille Yatiya ; lui s’arroge 20 parcelles près du marché de Koliagbé ; quatre parcelles sont offertes au bureau de la jeunesse (qui revend et se répartit sa « part » à 48 millions de francs guinéens). Deux parcelles reviennent aux imams ; deux autres au bureau du district ; 35 parcelles sont attribuées à des mecs (qui feront la prison plus tard, dans cette affaire dont Naby Camara, décédé le 17 mars en détention) ; Ibrahima Kalil Diallo propose même 100 autres parcelles et 12 millions de francs guinéens par an à Koliagbé, pour enterrer définitivement la hache de guerre. Cheick Affan valide et « réconcilie » les parties. Mais, tout le monde n’était pas satisfait.
El Hadj Abou Camara et son clan avaient déjà eu 10 hectares. Comme ils étaient nombreux, ils ont demandé à Kalil Marcos de les leur revendre, en plus de leur remettre l’argent. Kalil Marcos les revend à la femme de Kiridi Bangoura : « Je leur ai remis l’argent devant témoins. » Mais ils s’estiment lésés dans le partage.
Rififi
En 2021, El Hadj Abou Camara se pointe dans la plantation avec un tracteur pour, dit-il, lotir une autre partie du domaine. Anacardiers, manguiers, orangers, papayers et autres plantes sont abattus. Ibrahima Kalil n’en peut plus, porte plainte. 35 personnes sont interpellées, inculpées pour destruction de biens privés, écrouées à la prison civile de Kindia. 32 bénéficient d’une libération conditionnelle, 3 restent au gnouf et attendent leur procès.
A Koliagbé, la tension n’est pas totalement retombée. Les flics chargés de sécuriser les lieux ont certes quitté, mais les barricades à l’entrée du village restent toujours visibles. Les jeunes filtrent entrées et sorties, surveillent tout mouvement vers chez Kalil. Le populo reste méfiant, hostile à « l’étranger » et à toute question liée à l’affaire. Accusé d’être un des principaux instigateurs, le président du district El Hadj Karamoko Camara se refuse à tout commentaire : « Moi, je suis malade, j’ai des maux de tête, c’est ma préoccupation ». Dans le village, les versions sur l’origine du conflit divergent. Les protestataires affirment que feu El Hadj Ousmane Diallo « n’a jamais acquis un domaine » à Koliagbé. Mais, ils sont incapables de le prouver. Selon un des protagonistes, le domaine conflictuel « est pour nous. Il appartenait à nos grands-parents. » Selon lui, Baïdy Guèye n’a jamais vendu le domaine, a exploité de commun accord avec les sages du village, après le départ des expatriés. Le père d’Ibrahima Kalil l’aurait récupéré après Baïdy Guèye, pour en faire une plantation où tout le village venait travailler : « En ce moment, les terres ne vendaient pas en Basse-côte », ajoute-t-il. Le président des jeunes (qui a refusé de nous dire son nom), dit que Baïdy Guèye n’a, à aucun moment, exploité le domaine : « Il était le gouverneur, il n’a pas occupé le domaine. »
Autre version : les 84 hectares étaient une plantation abandonnée par des expatriés : « El Hadj Alpha Ousmane venait travailler dans un village voisin. Il a vu le domaine, il a demandé la permission à nos parents de l’exploiter. Il travaillait avec le bureau du district. Le domaine ne lui a jamais appartenu. C’est après sa mort que son fils est allé fabriquer clandestinement des papiers », explique Fodé Camara dit « Vieux Téla », adjoint du président du district. Selon lui, le Président Sékou Touré avait remboursé les Blancs, puis offert la plantation à Koliagbé : « Ces terres agricoles appartiennent désormais à deux familles dont celle de Yatiya », affirme Vieux Téla.
La mort de Naby Camara attise le feu
Le conflit reste latent jusqu’au petit matin du 17 mars 2024. Koliagbé apprend la mort de Naby Camara dit Nabya à l’hosto régional de Kindia. Il souffrait d’une insuffisance rénale. A l’annonce de sa mort, des gens de Koliagbé se mobilisent, s’en prennent aux biens de Kalil Marcos qu’ils prennent pour responsable de ce qui est arrivé à Naby Camara. Ils réduisent en cendres 6 maisons, 4 véhicules et leur contenu, tuent le chien et le chat, arrachent le forage, sous l’œil impuissant des flics déployés par la préfecture. La victime explique : « Le Président du district m’a appelé, il m’a dit ‘’Nabya est mort, mais cette fois-ci, on ne l’enterrera pas seul, on vous enterrera ensemble’’. J’ai immédiatement pris la fuite. Ils ont tout détruit. » Des propos que le vice-président du district, Fodé Camara dit Vieux Téla, dément : « On lui a dit de faire du corps de Naby ce qu’il veut. » Des 35 personnes interpellées, trois sont décédés, peu après leur sortie de prison.
Le corps de Naby à Conakry
Après moult tractations, on décide d’enterrer Naby Camara le 21 mars. Le préfet réussit à convaincre les sages de Yatiya, de récupérer et l’enterrer dignement. Ils acceptent à condition que les deux personnes détenues à Kindia sortent de prison. Le préfet porte la requête chez le procureur. La tombe de Naby est creusée. Le chef du parquet de Kindia refuse catégoriquement, leur promet un procès pour l’exemple. Les sages font un rétropédalage, ils conditionnent l’enterrement à la libération des deux autres prisonniers. Coïncidence : un habitant de Koliagbé meurt en fin de matinée, jeudi 21 mars. Il sera enterré dans la tombe destinée à Naby. Pour calmer la famille de feu Naby, le préfet leur a offert un bœuf pour le sacrifice. Des proches de l’autre mort ont voulu récupérer l’animal sacrificiel. Le sous-préfet a dû intervenir et les choses reviennent à la normale. Le corps de Naby Camara, est transféré à Cona-cris, en attendant que sa famille se décide à l’inhumer.
Kalil Diallo, persona non grata
Aujourd’hui, la famille d’Ibrahima Kalil Diallo est éparpillée entre Foulayah, Friguiagbé (Kindia) et Bentourayah (Coyah). Ils n’osent mettre les pieds à Koliagbé, de peur d’être pris pour cibles. Le père de famille a porté plainte pour destruction. La justice aurait promis de se bouger. A ce jour, aucune arrestation n’a été opérée. Les prédateurs se promènent librement à Koliagbé. Le préfet s’occupe des blessés. A Koliagbé, on a décidé de ne pas laisser Kalil et famille revenir : « Il ne vivra plus ici, sauf si on déplace les 9 000 personnes du district. Ici, c’est maintenant lui ou nous », martèle Fodé Camara, le président adjoint du district.
Accusations tous azimuts
Ibrahima Khalil Diallo accuse le président du district, El Hadj Karamoko Camara, son adjoint Vieux Téla, le patron de la jeunesse, El Hadj Abou Camara et la vendeuse Maïmouna : « Ce sont eux qui ont mobilisé les gens pour mettre mes biens à sac ». Réplique d’El Hadj Abou : « Le père de Kalil n’a pas acheté les terres, les blancs les lui ont données. Pour nous, son fils ne peut pas hériter de nos terres. Ce sont les terres de nos grands-parents. » Un de ses proches d’ajouter : « Nous n’avons rien à vous dire, si ce n’est que nous reprendrons toutes nos terres. Quoiqu’il arrive, Kalil ne sera plus propriétaire terrien chez nous ici. »
Pourtant, à Koliagbé, il en est qui reconnaissent à la famille Diallo la paternité du domaine litigieux. Un fonctionnaire fustige le comportement des sages de la localité qui, à ses yeux, ont été gourmands : « Ils n’ont pas été malins, ils auraient pu accepter de prendre ce qu’il leur a proposé, parce que ce sont leurs parents qui ont vendu aux Blancs. D’autres personnes ont acheté avec ces mêmes Blancs. El Hadj Ousmane Diallo a acquis le domaine devant eux. C’est très difficile de récupérer une chose qui appartient à quelqu’un depuis près de 60 ans, c’est exagéré. Kalil a accepté l’inacceptable pour eux. »
Fodé Camara estime que Kalil Marcos est un mauvais voisin : « Une coopérative de femmes a semé du riz sur le domaine. Kalil a pris son tracteur, il a tout détruit. Elles ont fait du piment, il a détruit, il a chassé les femmes. Les problèmes ont commencé là».
Fodé Camara nie avoir touché 40 millions dans cette affaire. « Au bureau du district, on nous a parlé d’un million ». Il accuse Lansana et Salifou Camara d’avoir pris l’argent au nom de la famille Yatiya.
La justice est attendue au tournant. La famille Diallo, son tort, c’est d’être originaire d’une région que la Basse-Côte. L’affaire constitue une patate chaude dans les mains des autorités locales. Tout le monde a peur de dénoncer la dérive de la famille Camara. « C’est un conflit antérieur à nous », susurre-t-on. Les autorités locales ménageraient les pillards.
Yacine Diallo,
Envoyé spatial