Autrefois réputée pour son doux climat, ses forêts vierges et luxuriantes, Dalaba ou la « petite Suisse d’Afrique » se meurt. La déforestation, la pollution et autres actions entropiques de l’homme sur la nature ont transformé ce paradis sur terre prisé par les touristes en un désastre environnemental caniculaire. Reportage saisissant de notre envoyé spatial.

Dalaba, le 27 mai. Autour d’un dîner, El Hadj Hassimiou Bah ou « Docteur Haz » pour les intimes, Prési de la délégation spéciale de la commune urbaine s’exclame : « Abou Bakr, il y a des années en arrière, à pareil moment, tu ne serais pas sorti ici à Dalaba comme tu es habillé là (en simple t-shirt). C’était impossible, compte tenu de la fraicheur extrême ». Il s’inquiétait ainsi de la montée en flèche, cette année du thermomètre, dans « la petite Suisse d’Afrique. »

Les maisons coloniales bâties au quartier Chargeur, quoiqu’en décrépitude, faute d’entretien, tiennent encore debout. Des véritables vestiges coloniaux. Amoureux de son climat doux, les anciens colons passaient des vacances entières à Dalaba, avec leurs familles. Ils savouraient les délices de la nature semblable à celle occidentale, se souvient un célèbre guide touristique du coin.

Selon le « Dr Haz », avant, le thermomètre ne montait jamais au-delà de 18 degrés. Il en a affiché 40 ces derniers mois. Et des Dalabakas jurent, la main sur le palpitant, qu’ils n’avaient jamais connu un ramadan aussi chaud. « Nous avons été frappés de plein fouet par la canicule et la rigueur d’un soleil accablant », témoigne Ibrahima Sory Touré, dirlo régional de Sabari FM en Moyenne-Guinée. Et les dépités, comme ce journaleux, sont légion.

Une chaleur inhabituelle

Dalaba subit les affres du réchauffement climatique, soutiennent des cadres (en bois) de la préfecture que nous avons rencontrés. La « petite Suisse d’Afrique » est de nos jours comme une sainte nitouche à la virginité brutalement arrachée par des prédateurs. On pointe du doigt l’action de l’homme sur la nature : des coupeurs de bois, les scies dissimulées sous les manteaux, agissent dans la clandestinité. Ils ont investi les forêts (autrefois vierges et luxuriantes) des quartiers Chargeur, Syli, Tinka, Ditinn, pour abattre des arbres.

Durant notre petit séjour de quatre jours, nous avons aperçu des camions chargés de bois sortir des forêts de pins. Un citoyen altruiste, mordu de la nature, que nous avons rencontré en pleine méditation dans le sous-bois, pointe des Dalabakas qui « dala..bradent » leur patrimoine forestier, pour se remplir les poches et ceux de groupes organisés. Et d’égrener les multiples maux qui minent la ville: insalubrité dans les forêts classées et privées, coupe abusive et à ciel ouvert du bois, défrichement de terrain pour préparer les champs au labour. Ajoutez-y la fabrication de briques cuites et le tour est joué.

Une petite maison sans espace vert, ni luxe apparent, juchée sur pilotis dans le quartier administratif, sert de bureau à la Direction préfectorale des Eaux et forêts. Nous avons trouvé, sagement assis derrière son bureau, l’air innocent comme un pape, dans un impeccable treillis de conservateur de la nature, le lieutenant Souleymane Condé, dirlo par intérim. Peu loquace, nous avons réussi à lui arracher quelques mots. Juste pour rappeler que les autorités œuvrent inlassablement pour protéger la nature à Dalaba. Exemple ? En 2022, dénombre-t-il, à l’initiative des autorités de la transition, 17 ONG ont reboisé chacune quatre hectares dans des forêts classées et les forêts privées de la commune urbaine et les communes rurales. En 2023, poursuit-il, quatre ONG ont reboisé chacune entre 4 et 5 hectares dans les dix sous-préfectures de Dalaba.

Mais, comment sauver la situation quand ce sont ces mêmes forêts reboisées qui sont constamment brûlées par des citoyens en quête de terres arables, s’interroge l’officier. Nous l’avons laissé dans son bureau, pour chercher des réponses ailleurs.

L’arbre qui cache la forêt

Une petite investigation nous a permis de comprendre qu’en 2023, les autorités de la transition ont créé des ambitieux comités de suivi et de gestion des feux de brousse, ainsi que des autres actions entropiques sur l’environnement. Celui de Dalaba n’a comme tout équipement qu’un minuscule téléphone « Itel ». Comme moyen de déplacement, la Direction préfectorale des Eaux et forêts a eu entre 2021 et 2022 une moto TVS 125 ; en 2023, une TVS 150. Des engins mis à la disposition des chefs de ladite direction. Rien pour les agents de terrain chargés de traquer, les mains vides, des bûcherons organisés en bandes et prêts à graisser la patte des autorités locales.

Les agents n’ont aucune subvention. Ceux d’entre eux qui sont amoureux de dame nature n’ont eu d’autres choix que de prendre des motos à crédit. Les autres ont déserté. En 2023, selon nos sources, Dalaba comptait 51 conservateurs de la nature. Il n’en reste que 24 qui se cherchent dans la nature, à la recherche de la pitance quotidienne auprès des bûcherons trop généreux pour passer peinard. « Si certains de ces conservateurs arrêtent des coupeurs de bois, compte tenu du fait qu’ils sont sous-équipés et désarmés, ils sont réduits à négocier avec ces individus, contre espèces sonnantes et trébuchantes », nous a soufflé un conservateur foncier périmé et aigris, tapis à l’ombre et reconverti en chauffeur de taxi-brousse.

Une merveille qui se meurt

Le barrage hydro-agricole de Dounki-Magna a tari. C’est un réservoir d’eau naturelle, jadis intarissable. Fait pour irriguer les potagers, arroser les pépinières qui approvisionnent Cona-cris et autres villes en légumes et fruits. Selon des archives mises à notre disposition, c’est en 1986 que le Roi Fayçal a financé l’aménagement de ce bijou pour développer les cultures de laitues : pommes de terre, aubergine, choux, carottes, raisins (oui, on en trouve dans les forêts !) Cette année, pour la première fois, ce barrage s’est asséché comme peau de chagrin. Selon une grosse ponte de la section mine et carrière, les forages ont aussi leur part dans ce tarissement. « Dalaba compte plusieurs milliers de forages, pour une si petite ville. Ça assèche la nappe phréatique et par ricochet, l’environnement qui génère la fraicheur. »

En visite à Dalaba, un expatrié qui avait l’habitude d’y séjourner a récemment tiré la sonnette d’alarme sur cette chaleur inhabituelle. Il a initié la mise en place illico dare-dare d’un cercle de réflexion de cheveux blancs autour de « Docteur Haz ». On leur demande de griller davantage des neurones pour déterminer les voies et moyens permettant de sauver ce qui peut encore l’être. En attendant les résultats des réflexions, Dalaba continue de subir les conséquences du déboisement tous azimuts et ses pratiques assimilées, sous le regard impuissant des conservateurs de la nature.

De paradis à poubelle

Coté salubrité, du haut de la colline dominée par des roches géantes surplombant le quartier Chargeur, il n’est pas rare d’apercevoir des individus déverser des ordures ménagères sous les bois. Même spectacle depuis la pointe de la colline de Syli, à quelques mètres de la station Total, à l’entrée de la ville. Là où voyageurs et visiteurs marquent une pause photos. De cette position, ils savourent une vue imprenable sur la ville. Un désastre environnemental qui ne semble émouvoir personne.

Paradis touristique, Dalaba est un désastre économique et financier. Il faut attendre les dimanches, jour de marché hebdomadaire, pour voir le petit cercle qui fait office de marché s’animer. De même que la foire de vente de cheptels sous les pins, à l’entrée du quartier Chargeur. A part cela, les activités commerciales sont plutôt au point-mort. Un motif de satisfaction cependant, le centre-ville enregistre actuellement des déploiements de couches de bitume. Les habitants s’en frottent les mains. Le bitumage les met à l’abri des nuages de poussière qui les enveloppaient au passage des teufs-teufs.

Abou Bakr, de retour de Dalaba