La musique guinéenne à l’épreuve de la modernité (3/4) Autrefois, les instruments traditionnels de musique suffisaient à composer de belles mélodies, éducatrices, moralisatrices. Aujourd’hui, les instruments modernes, d’ailleurs, ont pris le dessus même si des groupes d’artistes comme Djérè-Fouta, les Percussions de Kouroussa, les Espoirs de Coronthie…essayent tant bien que mal de perpétuer la culture guinéenne.

En Moyenne-Guinée, pour concocter une bonne musique du terroir, les artistes disposent d’un large éventail d’instruments traditionnels : flûte pastorale (tambin), tam-tam, petite flûte appelée tounnè, calebasse, castagnettes, le bolombata, violoncelle (ŋeeŋeru ou ghèghèrou), la guitare à trois cordes (kérônna), l’arc musical (baïlol)…

Depuis son tendre enfance, Mamadou Diouma Laly Bah, artiste leader vocal de la troupe Djérè-Fouta, se bat pour une musique jouée avec les outils traditionnels. Chez lui, nul besoin d’engins électroniques. Mieux, c’est avec la voix naturelle qu’il cuisine sa mélodie captivante. « Nos chansons sont éducatives. Quand nous prononçons une parole dans nos chants, dans les mois et années suivants, il y a un résultat. Nos chansons sont comme des prédictions. Avec ces instruments, nous composons de très belles mélodies jamais égalées. Même le studio le plus performant ne peut se comparer à nous. C’est original, sorti de notre propre effort et intelligence ».

La troupe Djérè-Fouta

Pour qu’ils soient de bons musiciens, artistes ou chanteurs, Mamadou Diouma Laly conseille aux jeunes de revenir aux valeurs culturelles, à la tradition. La seule alternative, à ses yeux, pour faire la différence et se faire remarquer : « La source de la musique moderne se trouve dans les instruments traditionnels. Les autres reprennent nos mélodies pour en faire de la musique moderne ». Toutefois, le traditionnaliste déplore que les jeunes se détournent de leur culture au profit de la musique dite moderne.

La musique manding en rempart

De nombreux groupes de chanteurs traditionnels du Manding (Haute-Guinée) tiennent mordicus à la préservation des valeurs culturelles : doundou, samgba, kensideni, bolon, flûte, koni, serewa, kono-gben-koudou…sont autant d’instruments qui égayent dans la région lors des diverses cérémonies de réjouissance.

Mamoudou Camara alias Mansa Camio, directeur de la troupe An Bada Sofoli

Mamoudou Camara alias Mansa Camio, directeur de la troupe An Bada Sofoli, est très connu dans le milieu des joueurs de tam-tam en plus de trente ans de carrière. Dans sa famille, cet instrument de musique se transmet de père en fils. Mansa Camio avait à peine 6 ans lorsqu’il a commencé à jouer le djembé.

Pour An Bada Sofoli comme pour Djérè-Fouta, la musique moderne tire ses meilleures mélodies des instruments traditionnels. Mansa Camio s’enorgueillit que les rythmes les plus populaires de la musique guinéenne soient du Manding, de Gbérédou Baro (Kouroussa), sa région d’origine : « Tout le monde veut être chanteur, mais les jeunes sont influencés par les instruments occidentaux : le clavier, la guitare et même des ordinateurs ». Toute chose qui abrutit les jeunes artistes et freine leur créativité. Ce contre quoi, il dit lutter : « Nous sommes en train de préparer la relève même si la culture a tendance à disparaître. Le ministère de la Culture ne va pas à l’intérieur du pays, pour dénicher les talents. A la place des spécialistes, ce sont les novices qui occupent les postes de responsabilité ».

Mamadi Condé du groupe Les percussions de Kouroussa

Vivre de son art

Après avoir été élève de Mansa Camio, Mamadi Condé du groupe Les percussions de Kouroussa enseigne à son tour les instruments traditionnels aux touristes et aux jeunes guinéens. Histoire de contribuer à perpétuer la tradition. Mamadi demande aux autorités d’aider les artistes à se formaliser pour leur permettre de vivre de leur art.

L’autre élève de Mamadi Condé, Ibrahima Condé, pense que beaucoup d’artistes se servent des instruments traditionnels mais ignorent leur signification. S’il y avait une structure formalisée, renchérit-il, les initiés pourraient mieux transmettre leur savoir aux jeunes. « Pour que les instruments traditionnels prospèrent, il faudrait approcher ceux qui les connaissent et connaissent la culture. Et cela ne se fera que lorsque les autorités recherchent les vrais conservateurs de la tradition ».

Amara Condé, Manager du groupe Les percussions de Kouroussa

Amara Condé, manager du groupe Les percussions de Kouroussa, est diplômé de l’université guinéenne. Il a opté pour un retour aux sources, la musique traditionnelle et ses instruments afin de se réinsérer professionnellement. Il est auteur de La force de mon destin, une autobiographie qui retrace un parcours parsemé de souffrances et de courage dans l’apprentissage de la percussion. L’œuvre met en exergue l’importance des instruments de percussion africains.     

Un exemple de succès

Dans la musique traditionnelle guinéenne, le groupe Espoirs de Coronthie s’est distingué en jouant presque tous les instruments de musique du pays. En plus du Gongoma (instrument célèbre en Basse-Côte) et une partie de la Sierra Léone, le groupe, composé de chanteurs en soussou, utilise des instruments qui débordent la sphère géographique de la Basse-Guinée : bolon, balafon, djembé, ou encore le Krin de la Guinée-Forestière. Ce qui leur permet de composer de très belles mélodies.

Aly Sylla alias Ali Sansong

Aly Sylla alias Ali Sansong, un des leaders du groupe, a fait ses débuts avec le gongoma. Son groupe s’est forgé en côtoyant les anciens. « Depuis l’enfance, nous aimions la musique apprise à la source, auprès des Etoiles de Boulbinet. Nous regardions Fodé Marseille qui jouait au gongoma, Vieux Koka, le leader du groupe. C’est la famille Koka qui a modernisé le gongoma en calebasse ».

Pour Aly Sansong, la musique traditionnelle est vivante et naturelle. Une sonorité qui n’a rien à voir avec la musique commerciale. Après le premier album en 2002, le groupe a produit deux autres albums en 2004 et en 2007. Avec un maxi single en 2006, les Espoirs de Coronthie ont connu un succès éclatant en Guinée et ailleurs dans le monde, via des tournées. « Partout où nous sommes passés, c’était quelque chose de magique et spécial. Les Européens étaient impressionnés de voir que nous jouons des instruments traditionnels sur scène avec le djembé, le balafon, le gongoma, le krin, le bolon, la contrebasse, tous accordés et qui donnent une mélodie impeccable, magique. Les instruments traditionnels sont irremplaçables. C’est pourquoi, nous avons décidé de nous relancer avec le Festival Gongoma, pour garder et promouvoir le patrimoine national à travers les instruments traditionnels ».

Alya Camara, manager général du groupe, précise que les Espoirs de Coronthie ne se sont pas disloqués. C’est juste que le choix de Boubacar Camara alias Bouba Menguè et de Machété Touré de s’installer en Europe a mis de la distance entre les membres. Mais, Alya annonce le retour prochain du groupe sur scène, avec un projet gigantesque : interpréter les musiques des anciens orchestres dont le Bémbéya Jazz et le Kolima Jazz. Il sollicite un appui non seulement des mécènes, mais aussi de l’Etat. Un projet qui cadre avec l’ambition d’immortaliser les icônes de la musique traditionnelle guinéenne.

Mamadou Adama Diallo