La rhétorique de la charte de la transition fleurit de maux et d’éléments sémantiques qui flattent la bonne gouvernance, encensent le bon administrateur, qui porte au firmament les valeurs du patriotisme qui sont aussi celles de la probité. En dépit d’un battage médiatique adéquat, on subodore qu’un grand monde n’a pas encore assimilé la leçon. Ou bien feint tout bonnement de l’ignorer, car même Toto aurait déjà tout compris en trois années scolaires ou d’apprentissage, surtout lorsque professeurs et maîtres ne manquent pas de talent et de dévouement.
Mais les espèces sonnantes et trébuchantes ressemblent aux sirènes des océans dont les voix douces et envoûtantes vous conduisent irrésistiblement et inconsciemment du bien au mal. C’est pourtant bien cela qui est arrivé à certaines grosses huiles de nos régies financières. Le populo a cru rêver en découvrant que des centaines de milliards de nos francs s’étaient tout bonnement évaporées des coffres-faibles des régies minées par l’indélicatesse. A la Direction nationale de la Douane, on parle de la faramineuse somme de 700 milliards dont on n’a aucune idée de l’emploi ni de la direction. Du beau monde qui pourrait en savoir quelque chose a été convoqué, cuisiné et logé à l’hôtel 5 étoiles de Coronthie. Des gabelous haut et moins gradés, du menu fretin et des transitaires font partie de la cohorte. Aux impôts, même scandale. On est sans nouvelles de plusieurs centaines de milliards de nos francs. Priver l’Etat de la coquette somme de centaines de milliards, c’est affaiblir ses capacités d’amélioration des services sociaux de base qui sont des facteurs déterminants en matière de développement humain durable. Les performances des services de santé, d’éducation et d’infrastructures dépendent de l’efficacité des structures de mobilisation et de sécurisation des recettes de l’Etat. Mieux une population est soignée et éduquée, plus fortes sont sa résilience et sa capacité à s’investir dans la construction d’une économie favorable au progrès et au bien-être de la masse critique des citoyens, en particulier les plus vulnérables. L’électrification sociale, l’adduction d’eau, l’évacuation des eaux usées et le drainage des eaux de pluie sont des prestations régaliennes de l’Etat, elles ne peuvent être réalisées que si les ressources fiscales et d’exportation souveraines sont mobilisées et disponibles. Comment les managers des régies financières peuvent-ils ignorer le b.a.-ba de l’économie politique ? Là encore, même Toto, le tocard de la classe, le sait. Comment alors, ceux que notre Etat, déjà exsangue, se saigne pour rémunérer afin qu’ils aillent surveiller et sécuriser ses sous peuvent-ils l’en priver de la sorte ?
La faute est d’autant plus condamnable qu’elle est commise pendant une transition qui, d’un côté, promeut et défend des valeurs cardinales telles que le travail, l’amour du pays et, de l’autre, la méritocratie et l’équité. Il faut rappeler que pour arriver à ses fins, la transition envisage la refondation de l’Etat à travers la rectification institutionnelle et la transformation infrastructurelle. Ces comportements des agents de l’Etat en parfait déphasage avec les dynamiques, sociale, politique et économique en cours dans le pays, montrent que les discours et les espérances ont une longueur d’avance sur les réalités et les desiderata. C’est vrai qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. En Guinée, il est vrai, beaucoup de fonctionnaires ont, durant des années, pris des plis dont ils ne peuvent se départir en quelques mois. Combien de temps faut-il laisser du temps au temps tout en traquant les brebis récalcitrantes ?
Abraham Kayoko Doré