Il est naturel que les morsures d’un dictateur désespèrent un peuple au point de se demander si les maigres résultats valent les sacrifices consentis. C’est l’image d’un boxeur roué de coups par un adversaire impitoyable sous les yeux complices du juge, à huis-clos. On n’a que deux options : se battre ou périr. Il est donc essentiel que ceux qui luttent gardent ferme la conviction que seule la lutte libère et que la tyrannie est un monstre tentaculaire qui dévore sa propre chair. Chaque morsure lui arrache un morceau, fragilise son museau et sa denture.

Les grotesques motivations par lesquelles le TPI de Kaloum a infligé une peine burlesque de 2 ans de prison au leader du MoDeL nous éclairent plus sur l’état de notre justice, notre société. Celle-ci est malade de ses juges, l’institution judiciaire offre siège à la tumeur qui la ronge.

Le régime Condé nous a suffisamment démontré que certains magistrats ne sont pas à la hauteur de la mission assignée à la magistrature dans une république. Le droit guinéen est un exemple de cruauté en matière d’infractions politiques ; les lois pénales ont une place de choix dans le livre noir de la violation des droits humains.

Le juge Sylla, clément ?

Qu’on ne s’y trompe guère, il y a une majorité de juges intègres et conscients de leur rôle d’arbitre et de garant de la quiétude sociale. C’est le lieu de rendre un hommage appuyé au juge feu Kèlèfa SALL dont les mots raisonnent chaque fois qu’un serment est violé. Mais il y a une minorité de parvenus qui garantissent à tous les tyrans la parodie judiciaire indispensable à leur forfaiture.

Le juge Ousmane Sylla nous apprend qu’Aliou BAH est « un délinquant primaire » au bénéfice duquel sa miséricorde consent « de larges circonstances atténuantes ». Les juristes sont réputés pour leur sens de la formule, mais, dans leur formulation, les termes du jugement n°02 du 7 janvier 2025, sont quand-même d’un haut comique. Nous sommes tentés de demander à notre miséricordieux magistrat à quelle peine, autrement, aurait été condamné le prévenu ?  La perpète ? Ne venez pas me causer de droit, de peine prévue par les dispositions visées. Nous avons tous lu Beccaria – Nullum crimen, nulla pœna sine lege[1] – mais en même temps Althusser – La loi exige une volonté pour ordonner et des volontés pour obéir[2]. Sauf que nous ne sommes pas en monarchie et en tous les cas nous nous y refusons.

Koro (Alpha Condé) avait trouvé en Sidi Souleymane N’DIAYE l’incarnation de sa farce judiciaire. Le robin n’avait pas déçu, le service fut rendu à satiété. Que d’innocents embastillés à coup d’« infractions de replis » que l’homme à la calvitie nous définira plus tard en ces termes : « Ce dossier [relatif à Foniké Menguè], quand on l’avait déféré, il n’y avait rien, mais rien. Je vous parle franchement et parce que je vous fais confiance aussi, je sais que vous n’en parlerez pas. Il n’y avait rien dans ce dossier. Deux à trois feuilles, enquêtes préliminaires, il n’y avait rien. J’ai fait jouer mon expérience et quelque chose m’a dit qu’il y a une infraction qu’on appelle divulgation de fausses informations. J’ai dit : les propos qu’il a tenus à la radio, comme il ne peut pas apporter la preuve de ses propos, je le poursuis. On appelle ça les infractions de replis. Les infractions de replis, c’est quand le parquet est embarrassé et qu’on a dit au parquet, il faut poursuivre coûte que coûte. »

Lois liberticides

Rien que pour cette confidence, le proc Lokay mérite notre mansuétude. Comme par hasard, le 21 avril 2022, ce magistrat revenait par la grande porte, en intégrant la Cour suprême, au service d’un autre autocrate.

Dans l’affaire Aliou, le ministère public n’a pas eu besoin d’infractions de replis, Papa promesses avait promis de « prendre la Guinée là où Sékou TOURE l’avait laissée ». Il combla le « vide juridique » en la matière, avant de mordre la poussière. Il instaura à partir de 2011 un régime répressif qui opère encore. Ce procès de la honte n’est en réalité qu’une illustration du caractère inique des lois liberticides promulguées par ses soins à partir de 2015.

La Loi n°2016/059/AN portant nouveau Code pénal guinéen dont l’article 659 a servi de base légale à la forfaiture du 7 janvier dernier a été promulguée de la main du tyran déchu, le 26 octobre 2016.  Il en fît de même le 4 juin 2015 de la Loi L/2015/010/AN portant application de l’article 37 de la Constitution du 7 mai 2010 et régimes particuliers de répression des infractions commises par certaines personnalités, dont les articles 3, 4 et 6 visés constituent un attentat aux libertés. La Loi L 2016-037 AN relative à la Cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, promulguée le 26 juillet 2016, fut le coup de grâce asséné à la liberté d’expression et à la démocratie.

Mais « A une loi injuste, nul n’est tenu d’obéir » (Saint-Thomas d’Aquin).Ce procès politique nous a démontré que le juge n’a que faire de la vérité et que les réquisitions du ministère public avaient valeur de fatwa. Il nous appartient de leur démontrer que « Quand l’ordre est injuste, le désordre est un commencement de justice » (Romain Roland). Cette affaire n’est judiciaire qu’en apparence, elle est éminemment politique et c’est sur ce terrain que la lutte doit être menée. Aliou l’a dit et nous en convenons tout de go : c’est une manière de museler une voix dérangeante pour le pouvoir. Nous convenons de même qu’il est un prisonnier politique.

Aliou, nouveau visage de la lutte politique

La résistance ne pouvait rêver mieux. Depuis quelque temps, et sans rien enlever aux illustres camarades Foniké Mengué et Billo BAH, il manquait à la lutte un visage et un nom à sa mesure, une incarnation politique véritable. Désormais, elle se nomme Aliou BAH.

Mamadi et sa nébuleuse ne le savent peut-être pas : ils viennent de donner à un jeune politicien la dimension héroïque qui lui manquait et à laquelle aspirent tous les leaders d’opinion. Comme quoi, « En voulant éliminer ton ennemi, demande-toi si ce n’est pas la meilleure façon de l’éterniser » (Nietzsche).

C’est à la résistance désormais de savoir que la politique est parfois un bliztkrieg où tout se joue du tac au tac. A elle d’être à la hauteur de l’enjeu et de donner à cette affaire la couleur et la dimension qui sont les siennes. Aux Forces vives de Guinée d’œuvrer intelligemment pour le respect des engagements.

Notre douleur est certes intense, mais l’introspection ne doit pas manquer de profondeur. Les maux du jour sont à ce point vifs que nous en oublions parfois la chronicité des plaies de notre société. Prenons garde à ne pas tomber dans l’émoi, ni d’oublier que le régime est telle une hydre dont les tentacules longent chaque artère de notre société. C’est le propre des dictatures qui se succèdent, les infrastructures du mal sont en place. Seule change la tête, et même elle, se contente parfois de changer de chapeau. L’ambition hégémonique est intacte, l’accaparement se poursuit et la misère s’étend. Cela va de soi, quand c’est la milice du 3ème mandat dont certains membres formellement identifiés dans les exactions perpétrées contre les mutins, notamment de Kindia, sont aujourd’hui aux manettes.

Le plus grand service qu’une dictature peut rendre au peuple qu’il opprime est de lui présenter ses plus dignes fils et, surtout, d’exposer au grand jour la lâcheté qui habite le cœur de certains hommes.

Diallo Tariq, juriste


[1] C. Beccaria, Dei delitti e delle pene, Livourne, 1764.

[2] Louis Althusser, Montesquieu, la politique et l’histoire, Paris, PUF, 1959.