Général Mamadi Doumbouya ignorait certainement qu’en graciant le capitaine Moussa Dadis Camara, il offrait à ses compatriotes une deuxième première, à l’Afrique et au reste du monde, l’occasion inespérée de s’interroger à satiété. La première première est encore fraîche même dans les têtes de linotte.
Le 5 septembre 2021, le patron des Forces Spéciales renverse le vif président de la République de Guinée. Le coup a été si discret qu’Alpha Condé a dû passer un message subliminal au peuple qu’il opprimait si impunément. Il aura pu s’offrir l’occasion d’apparaître aux antennes dans une vêture indigne d’un chef d’État. L’Histoire ne nous y avait pas habitués. De Sylvanus Olympio à Juvénal Habyarimana, en passant à Tafawa Baléwa, William Tolbert, Nino Viera, Général Kotoka et qui de plus saisissant encore !
La deuxième première est une grâce, un salmigondis de controverses, d’approbations, de condamnations, de dénégations, d’hypothèses, d’antithèses, de saintes thèses. Chacun y va de sa certitude dans l’inquiétude partagée. Faites le tour ! En Guinée, présidence rime avec pestilence, jamais avec grâce. Elle ne l’a jamais rythmée non plus. A commencer par le Palace du Général Doumbouya soi-même. Sûr que le cas El Dadis aura été un rare exemple, au poing de sentir le roussi. Qui d’autre que Mamadi pour fournir l’occasion de gracier Dadis? Il a pu, contre vents et marées, organiser le procès pour obtenir la condamnation sans laquelle aucune grâce n’est possible. La belle lapalissade ! Pour sa part, Toto persiste à jurer que le Président-Grimpeur avait convaincu la sœur Fatou Ben Souda de la CPI que le procès du 28 septembre 2009 ne comptait absolument pas parmi les priorités de l’époque. Le 28 mars 2025, Moussa Dadis Camara est gracié. Entre extase, bonheur, amertume, regret, incompréhension, spéculations infinies.
Général Doumbouya reste de marbre. Les historiens aussi. Trop tôt de parler? Peut-être, mais comme toujours, ils ont tout l’air de s’occuper d’autres chats bien plus gros. Ils savent, à n’en pas douter que, de Mamadi Doumbouya à Sékou Touré, le président de la République de Guinée a toujours privatisé la Justice pour mieux maîtriser les urnes. Il est bien possible que Capitaine Dadis soit gracié pour que la Guinée-Forestière s’aligne derrière le patron incontesté du CNRD. Que font donc les autres dignes fils de la même Forêt dans les geôles du même CNRD ? Qui peut jurer que Moussa Tiégboro Camara, Claude Pivi, Blaise Goumou, Marcel Guilavogui cracheront sur une grâce présidentielle ? Général Doumbouya ne peut pas ne pas avoir retenu la leçon de ses prédécesseurs : récupérer une région, c’est bon; « tenir le peuple par le ventre », c’est mieux. La sagesse populaire est formelle : savoir ligoter quelqu’un ne se résume pas aux cordes à disposition, mais au choix de la partie à ligoter.
En tout état de cause, la Guinée et ses Guinéens gagneraient à s’approprier la culture de la grâce présidentielle, si tardivement initiée par Général Mamadi Doumbouya, fût-ce pour des raisons « inconnues-connues. » Vous imaginez où ce pays en serait si le Président Conté avait gracié Colonel Diarra Traoré ? Avec quelle aisance aurions-nous atteint aujourd’hui les objectifs de Simandou 2040 si le Responsable Suprême de la Révolution avait épargné la vie à ceux qui, tout autant que lui, se sont battus pour l’indépendance et la vraie liberté de ce pays ? Les questions ne manquent pas.
Diallo Souleymane