Le 14 juin, le général Mamadi Doum-bouillant a créé par décret une Direction générale des élections, « placée sous l’autorité » du ministère de l’Administration du trottoir et de la décentralisation (MATD). La DGE se substitue à la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans l’organisation des sélections et des référendums en Guinée. Dans cette interview à votre satirique, le porte-voix du gouvernement justifie le changement et répond au passage aux critiques de la classe politique.
Le Lynx : Pourquoi était-il nécessaire de ramener l’organisation des élections au niveau du MATD ?
Ousmane Gaoual Diallo: D’abord, pourquoi il y a la Direction générale des élections ? La Guinée, à l’arrivée du CNRD, un cadre de dialogue a regroupé les forces vives de la nation et le pouvoir, pour réfléchir sur le devenir du pays. A l’issue de cela, des recommandations ont été formulées. Les points 16 et 17 de ces recommandations demandaient la mise en place de cet organe, sous tutelle du ministère de l’Administration du territoire, pour diriger les élections jusqu’à la fin de la transition. C’est dans les accords politiques inter-guinéens, dont les recommandations sont disponibles.
S’agit-il du dialogue supervisé par la Cedeao ?
Non, celui dirigé par les dames [Makalé Traoré et Aïcha Bah]. Certaines de ses recommandations évoquaient la création de la DGE.
Ce dialogue a été boycotté par les principaux partis politiques…
Dans ce cas, vous ne pouvez pas discuter des conclusions d’un dialogue auquel vous avez refusé de participer. C’est ça aussi la réalité.
Or, le dialogue politique regroupait les forces vives de la nation. Mais il y avait une entité qui s’appelait Forces vives de Guinée, réunissant un certain nombre de partis politiques: l’ANAD, l’UFR, le RPG et autres, qui ont refusé de participer. Les Forces vives de Guinée, c’est une entité. Les forces vives de la nation, c’est, en plus, toutes les autres entités non encartées Forces vives de Guinée.
Ils ont décidé de ne pas prendre part au dialogue, c’est leur droit. Le dialogue a donné lieu à des recommandations qu’on est en train de mettre en oeuvre. Que personne ne vienne faire semblant d’être surpris.
Secondo, on est à une période où on doit finir une transition pour le retour à l’ordre constitutionnel. Si vous dites tout de suite de mettre en place un organe, alors qu’on est dans une phase de restructuration des partis politiques d’une certaine manière, vous allez vous heurter à la définition même des critères devant prévaloir à la sélection des membres de l’organe. Et cela d’autant plus que beaucoup de partis politiques, à la suite des observations du MATD, doivent encore accomplir un certain nombre d’actions pour se conformer à la Charte des partis politiques.
Par ailleurs, une analyse personnelle: la CENI, c’est vrai, a présidé depuis près de 20 ans ou même 30 ans les élections dans notre pays. Mais cela n’a pas amené plus de démocratie, plus de stabilité, cela ne nous a même pas donné un fichier électoral consensuel.
Il ne faut pas que les gens fassent comme si on partait d’un progrès qu’on aurait eu vers un retour à quelque chose qui n’a pas marché. La CENI a montré ses limites, malgré le caractère indépendant qu’on lui a donné et surtout les moyens et l’autonomie financière qui lui ont été garantis. Elle n’a pas été à la hauteur des attentes des acteurs politiques guinéens.
Donc aujourd’hui, on est en train de repartir sur de nouvelles bases, de recréer la confiance entre les acteurs de l’administration publique et les populations. Cela passe aussi par un minimum de confiance, il ne faut pas qu’on fasse de préjugés pour anticiper sur les résultats.
Même ceux qui ont participé au dialogue s’opposent à la mise en place de la DGE…
C’est ce qui m’étonne: il y a des gens qui font mine de découvrir [l’accord], alors qu’ils ont pris part au dialogue. C’est ça qui est surprenant.
S’il est difficile de composer une CENI politique, pourquoi ne pas aller vers un organe technique indépendant, comme cela a été demandé depuis des années par certains observateurs ?
De toute façon, ce ne sont pas les Nations Unies qui vont organiser les élections, ni la Cedeao. Quelle que soit l’appellation et la composition la structure, elle sera à un moment ou à un autre sous tutelle de l’État. C’est très important que les gens le comprennent. On ne peut pas faire un organe qui n’est pas sous tutelle de l’État: le budget, le siège, la légalité… tout sera de l’État. Elle ne peut pas ne pas avoir des liens logiques et des liens hiérarchiques avec des structures étatiques, c’est clair.
Maintenant, ce sont ses dirigeants qui vont, par leur capacité, montrer de la neutralité dans l’exercice de leur fonction. Ce n’est pas les appellations qui comptent ou la composition. Vous pouvez composer avec les meilleurs cadres du monde, s’ils n’exercent pas leur autonomie, leur neutralité, ça ne sera pas une bonne chose.
Il ne faut pas oublier aussi que le système de Commissions électorales indépendantes est transitoire. C’était de permettre au pays d’avoir un ancrage démocratique plus solide pour que la mission d’organiser les élections revienne à l’État.
Et la plupart des partis politiques qui crient aujourd’hui sont les principaux contestataires de tous les posés par les précédentes CENI. Il faut qu’on soit cohérent. J’étais-là, dans un parti d’opposition. On n’a jamais validé aucune des actions que la CENI a posées dans ce pays depuis qu’elle existe. On a systématiquement contesté tout. On ne peut pas venir contester tout ce que la CENI fait et réclamer encore son retour. Il faut à un moment donné qu’on essaye de faire confiance à ce qui est en train d’être fait tout en travaillant pour ça.
Le premier travail, c’est le recensement. Il y a une période suffisamment longue pour enrôler les Guinéens.
Et puis, il y a un fichier permanent qui sera mis en place dans les collectivités. Même si vous loupez la campagne actuelle, vous pouvez toujours vous enrôlez pour les élections suivantes parce que c’est un fichier permanent qui sera ouvert. Ça, c’est quelque chose de fondamental.
Si les Guinéens ont une liste électorale acceptée et ouverte, ce sera déjà une étape importante. Je pense que l’une des premières choses qui doit être observée, c’est le fichier qui découlera de ce recensement.
Des moyens colossaux ont été mis en plac: des pays comme la France, les États-Unis, ont reçu une trentaine de kits. Alors qu’historiquement, même Dakar à côté, on y envoyait deux kits.
Aujourd’hui, vous avez plus d’une trentaine à Dakar. Donc, la volonté de l’État d’enrôler l’ensemble des compatriotes guinéens, c’est quelque chose de fondamental. Tout ça, c’est pour assurer les citoyens, les acteurs politiques, que l’État travaille en toute neutralité.
L’inquiétude des uns et des autres vient du fait que l’administration guinéenne ne paraît pas suffisamment neutre, à la différence des pays où c’est le gouvernement qui organise les élections.
C’est trop dire, il n’y a pas eu encore une situation où cette neutralité a été remise en cause. Le Sénégal, qu’on cite en exemple, au temps de Macky, toute l’administration sénégalaise soutenait son régime. Mais ce n’est pas pour autant que les gens, qui doivent décider, oublient de dire la vérité.
Il y a dans l’administration des personnes qui soutiennent des partis politiques. Il y en a plein.
Ce n’est pas parce qu’on soutient un acteur politique que lorsqu’on nous demande à trancher, qu’on oublie nos compétences, notre serment, notre engagement.
L’administration Trump, comme c’est la plus grande démocratie au monde, est complètement prise d’assaut par des militants ou des sympathisants du président américain. Même si l’élection s’organise demain, ils seront encore parmi les soutiens du président Trump. Mais la vérité des élections sera dite. C’est cela que nous cherchons aussi.
C’est un préjugé. Je pense qu’avec le temps, on pourra avoir l’opportunité de voir… Déjà dans le mode de recrutement en Guinée, il y a des avancées significatives. Personne ne va dire aujourd’hui que c’est des militants qu’on recrute. On recrute les Guinéens. D’ici comme de la diaspora, les gens sont recrutés de façon transparente, aussi bien dans l’administration publique que dans l’armée et la sécurité. Très récemment, quand les jeunes de l’Axe se sont mobilisés, estimant qu’ils n’avaient pas été suffisamment recensés pour des raisons X ou Y, le président leur a ouvert le recensement à titre exceptionnel.
Je pense que c’est fondamental que les gens se rassurent de ce que l’État fait et non pas de se convaincre à partir de préjugés.
Pensez-vous que cette Direction sera capable d’organiser des élections libres et transparentes ?
Attendons de voir qui sont ses membres. S’ils ont un antécédent qui puisse nous permettre de douter, cela permettra de dire deux ou trois mots. Mais si on commence à préjuger tout ce qui se passe, ce serait un peu délicat.
Dans une déclaration, l’UGD de M. Mamadou Sylla pense que le décret contredit l’avant-projet de constitution qui prévoit la mise en place d’un Organe de gestion des élections.
Ce n’est qu’un avant-projet de constitution. C’est la DGE qui va organiser le référendum pour valider la constitution. Quand cellec-ci sera adoptée, elle sera opposable. En attendant, comment peut-on dire que quelque chose qui n’existe pas est violé ? Il y a un problème de compréhension. La constitution même doit être adoptée, et il faut un organe pour organiser le référendum. C’est cet organe qui est là. Après l’adoption de la constitution, on va juger de la constitutionnalité de l’organe.
Néanmoins, est-il prévu la mise en place d’un organe de veille regroupant les différents candidats aux élections ?
Oui, normalement, les partis politiques qui concourent à une élection ont toujours la possibilité d’avoir des observateurs à tous les niveaux. C’est ça aussi qui donne de la crédibilité à l’élection. Les partis politiques peuvent être représentés, pour regarder comment marche le processus et s’assurer que tout se passe bien.
Aujourd’hui, ils sont aussi invités à faire en sorte que leurs militants s’enrolent. Or, certains responsable politiques font des campagnes pour que les gens ne viennent pas s’enroler.
Et pourtant, même vos plus farouches opposants appellent à se faire recenser.
Sauf que les responsables de ces mêmes formations politiques à l’étranger disent aux jeunes de ne pas aller se faire enroler dans les ambassades. C’est ce qui s’est passé à Paris, par exemple. Ils sont allés bloquer une salle, simplement parce qu’ils l’ont louée avant l’ambassade. Du coup, l’ambassade a été obligée de chercher une autre salle. Et donc, ça a créé une perte de 2-3 jours. Quand vous voyez que derrière ça, ce sont des partis politiques, vous vous demandez quel est leur projet. Or, personne ne communique sur cet aspect-là.
Mais comme de toute façon, c’est un processus permanent, ceux qui ne s’enrôlent pas pendant cette phase auront la possibilité d’aller dans les ambassades se faire enrôler ou dans les mairies, les années à venir. Ce n’est pas comme dans le passé où, la période finie, vous n’avez plus aucune possibilité de vous rattrapez. Aujourd’hui, vous aurez la possibilité de vous faire enrôler à tout moment. Malgré le fait qu’il y a une urgence de s’enrôler maintenant, pour constituer un corps électoral représentatif pour les élections et le référendum.
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry