En marge de la fête d’indépendance de la Côte D’Ivoire jeudi 7 août, le Premier des ministres, Amadeus Oury Bah, a été interrogé par nos con(.)frères de RFI. L’interview a été diffusée ce vendredi 8 août, dans l’émission Invité Afrique. Amadeus Oury Bah s’est exprimé sur les dossiers brûlants qui secouent la Guinée. De l’épineuse question d’une candidature du Gêné-râle Doum-bouillant à l’avenir du projet constitutionnel, en passant par le sort des activistes Foniké Menguè et Billo Bah disparus depuis le 9 juillet 2024 et le retrait du permis de GAC, le chef du goubernement a fait face à un feu roulant de questions sur l’avenir de la transition. Son entretien avec Christophe le-Boisbouvier de RFI est…las. En intégralité. Bon appétit !

Rfi : Le 21 septembre est programmé le référendum constitutionnel en prélude à une prochaine élection présidentielle. Dans la charte de transition, le général Mamadi Doumbouya avait promis de ne pas se présenter à cette future élection. Pourquoi a-t-il changé d’avis ? 

Amadou Oury Bah : Bon, pour le moment, aucune information officielle n’a été délivrée sur ce sujet. Mais ce qui est sûr, les dispositions constitutionnelles qui vont certainement être proposées à la population le 21 septembre prochain n’interdisent pas la candidature principalement de Monsieur Mamadi Doumbouya.

Et justement, pourquoi renonce-t-il à sa promesse de 2021 quand il avait pris le pouvoir ?  

Pour le moment, rien n’indique qu’il a renoncé à sa promesse. Laissons-lui le temps, le moment venu, de s’exprimer et de donner des motivations dans n’importe quel sens qu’il pencherait, il va expliquer cela à la population guinéenne.  

Mais pensez-vous qu’il y a un doute sur sa candidature à venir à la prochaine présidentielle ?  

Permettez-moi de lui laisser le soin, le moment venu, de s’exprimer sur sa position.  

Alors pour constituer le fichier des votants à ce référendum du 21 septembre, les autorités ont procédé à un recensement biométrique. Il y aura 6 700 000 votants. Mais les autorités ont oublié de recenser le numéro un de l’opposition, l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo. Pourquoi cet oubli ?  

Je pense qu’il a un problème en termes de résidence. Et vous savez, si vous êtes non-résident dans une ville ou dans une collectivité, il faut que vous attestiez d’une résidence d’une certaine durée. Donc, il n’y a aucune volonté d’exclure qui que ce soit dans ce processus.  

Et pour les Guinéens de l’étranger seuls 130 000 personnes sont recensées alors que d’après l’OIM, il y a quelque 3 millions de vos compatriotes qui sont établis à l’étranger. Est-ce cela une anomalie ?  

Je dois dire que même le chiffre de trois millions de Guinéens vivant à l’étranger est sous-estimé. La communauté guinéenne est extrêmement dense. Par rapport à cela, je veux être clair, si vous lisez le projet Constitutionnel, les Guinéens qui vivent à l’étranger auront le même droit que ceux qui vivent à l’intérieur du pays. C’est un projet qui intègre et qui reconnaît pour la première fois,  le droit des Guinéens à l’étranger de jouir de l’ensemble de leurs privilèges et de leurs droits comme citoyen. Maintenant, nous avons été dans un contexte où l’établissement du fichier électoral par le recensement administratif à vocation d’état civil prendrait du temps peut être des mois et des mois, raison pour laquelle nous avons utilisé un plan B qui nous a permis d’avoir un fichier électoral suffisamment représentatif et exhaustif. Bien entendu, nos compatriotes vivant à l’étranger n’ont pas été suffisamment enrôlés puisque tout cela  a été fait entre 30 à 40 jours avec des imperfections qui vont être corrigées.

Et ces imperfections vont être corrigées avant la prochaine présidentielle ?

Vous savez, il faut être clair : le fichier électoral qui va servir pour le référendum Constitutionnel, vu les délais, sera le fichier électoral qui servira pour le retour à l’ordre Constitutionnel.

Donc, il n’y aura pas de nouveaux inscrits sur fichier électoral entre le référendum du 21 septembre et la présidentielle suivante ?

Sur le plan technique ce serait extrêmement compliqué, voire même dangereux pour la stabilisation du fichier. Donc, de ce point de vue, ce n’est pas possible.

Toujours dans ce recensement biométrique, l’opposition affirme que les régions considérées comme favorables aux militaires du CNRD sont sur représentés au détriment des régions du pays. Cellou Dalein Diallo remarque par exemple qu’il y a plus d’électeurs à Kankan qu’à la capitale Conakry ?

Vous savez, c’est toujours la même antienne, les mêmes références, il faut voir l’évolution de ce pays. Kankan est une grande métropole qui est en train de grossir et quelqu’un qui connaît la Guinée sait pertinemment que les zones aurifères jouent un rôle d’attraction des populations venant de toutes les régions du pays et même des pays limitrophes. Donc, ceci explique cela.

Dans ce projet de Constitution, il est prévu que, pour le président, le mandat de sept ans sera renouvelable une fois, sans plus de précisions. Est-ce que, par rapport à l’avant-projet initial qui était beaucoup plus restrictif, il n’y a pas la porte ouverte à une présidence à vie ?  

 Non pas du tout, au contraire les dispositions d’intangibilité ont été renforcées pour empêcher, de manière juridique, toutes possibilités de procéder à des modifications de ces dispositions d’intangibilité et la question de mandat fait partie de ces dispositions d’intangibilité.

Toujours dans ce projet Constitutionnel, il est prévu la création d’une Cour spéciale qui pourra juger au cas où les chefs d’Etat et membres du gouvernement, mais il est prévu aussi un article qui affirme que les anciens présidents vont jouir d’une immunité civile et pénale pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Est-ce que ce n’est pas contradictoire ?

Non pas du tout, il y a un terme que vous avez oublié de citer, lorsqu’ils assument leur fonction de manière régulière. Et vous savez que lorsqu’il y a parjure ou haute trahison, ça ne fait pas partie de l’exercice régulier d’une fonction de chef de l’Etat ou de président de la République. Donc, le terme régulière a toute sa place et explique la loi qui assure sa primauté sur toute autre considération.

Le 21 septembre, le peuple guinéen est appelé à se prononcer pour ou contre le projet de Constitution. La campagne de sensibilisation a déjà commencé dans le pays, mais l’opposition affirme que cette mobilisation est une campagne pour le Oui. Alors est-ce que le jeu n’est pas faussé en faveur du Oui ?

Vous savez, il faut qu’ils revisitent leurs discours, ils veulent refléter l’opinion d’une partie de la société, parce que leurs propos sont totalement déphasés, ça ne correspond pas à la dynamique qui est engagée. Nous cherchons à ce que les Guinéens s’approprient un projet Constitutionnel, qu’ils y adhèrent, parce que c’est l’élément fondamental qui permettra de faire en sorte que cela dure. 

Et si le « oui » passe, est-ce que la présidentielle aura lieu dans les semaines suivantes ?  

L’objectif, comme l’a dit le général Mamadi Doumbouya, l’année 2025 est une année électorale. Le référendum n’est pas une élection, donc ceci explique cela.  

Donc la présidentielle avant la fin de l’année ? 

Inchallah. 

Vous avez une date ?  

Non. On respectera les procédures réglementaires et législatives pour la fixation de n’importe quelle date après le référendum.  

Il y a treize mois, le 9 juillet 2024, les deux leaders de la société civile, Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ont été enlevés à Conakry par des hommes armés et en uniforme. Est-ce que vous avez de leurs nouvelles ?  

Nous cherchons toujours et de la manière la plus sérieuse. Nous cherchons à avoir des renseignements sur leur sort, sur les lieux où ils pourraient être. Et je dis que cela, c’est une préoccupation aussi bien du président de la République que du gouvernement dans sa globalité.

Il y a treize mois après leur disparition, les autorités judiciaires ont dit qu’une enquête était ouverte. Il y a treize mois, pourquoi cette enquête n’a produit aucun résultat ?

On continue. Je donne un exemple. Lorsque monsieur Pivi qui était incarcéré suite à la condamnation lors du procès du massacre du 28 septembre 2009, avait disparu, on avait entendu beaucoup de choses concernant son sort, mais il a fallu plusieurs mois après, pour qu’on puisse avoir une information précise, pour qu’il puisse être ramené dans la prison de Conakry. Donc, concernant ces disparus, je souhaite que la lumière se fasse et je souhaite ardemment qu’on puisse les retrouver sains et saufs.  

En janvier dernier, votre porte-parole Ousmane Gaoual Diallo a dit sur RFI que le parquet de Conakry ou le ministre de la justice devait s’exprimer sur le sort de ces deux disparus. Or, huit mois après, aucune nouvelle. Quand est-ce on saura quelque chose ?

Non, je souhaite que lorsqu’on s’exprimera autour de ces sujets qui sont des sujets dramatiques pour leurs familles et pour leurs proches, que cela puisse être des informations certaines, vérifiables, pour ne pas entrer dans une logique d’exploitation des sentiments ou de faire miroiter des espoirs sans pouvoir les réaliser concrètement. Ces genres de sujets, ce sont des sujets qu’il faut gérer avec sérieux, prudence et discrétion pour avoir de l’efficacité.

Oui, mais comme ça fait plus d’un an les autorités ne donnent aucune nouvelle, les deux familles commencent à se demander si vous n’avez pas laissé tomber l’enquête…

Non, pas du tout, la vie humaine est sacrée.

Quand est-ce on le saura, monsieur le Premier ministre ?

J’espère que lorsqu’on aura des informations crédibles, conséquentes, la justice fera les déclarations en ce moment-là.

Vous pensez d’ici combien de temps ?

Non, ça c’est seul Dieu qui pourra nous dire exactement dans combien de temps. Ce que je souhaite, que cela se fasse le plus rapidement possible.

Est-ce que Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah sont encore en vie ?  

Je souhaite ardemment que Billo Bah et Foniké Menguè soient en vie.

Ce jeudi 7 août viennent d’entrer en vigueur les nouvelles surtaxes douanières des États-Unis à l’égard de leurs partenaires commerciaux. Quel est l’impact pour votre pays, la Guinée ?  

Notre économie est une économie relativement pas importante au regard de la puissance de l’économie américaine, et nous exportons beaucoup plus des matières brutes comme la bauxite. Et dans les prochains mois, le fer. Et comme vous le savez, ça rentre dans des combinaisons de transformation dans des pays qui pourraient être peu ou prou affectés par ces hausses de tarifs. Mais nous, c’est relativement marginal puisque notre partenaire économique privilégié pour les matières premières, c’est la Chine. Donc notre économie n’est pas directement affectée au premier rang.  

 Il y a quelques jours, vous avez décidé avec le président Mamadi Doumbouya, de retirer une concession minière importante, une concession de Bauxite au géant Émiratie GAC, Guinea Alumina Corporation. Pourquoi cette décision ?

D’abord, ce n’est pas une concession minière qui était initialement prévue, c’était une raffinerie qui devait être construite par le géant émiratie. Malheureusement, pendant près de 20 ans, les anciens gouvernements guinéens ont été suffisamment laxistes pour ne pas faire respecter ce qui était initialement prévu. C’est-à-dire, la construction d’une raffinerie d’aluminium. Donc, on a laissé l’objet principal de la convention  au profit d’ententes ayant permis l’exportation brute de cette richesse. Et ce qui aurait pu être construit en Guinée l’a été dans les Émiraties. Et après le 5 septembre 2021, avec la nécessité-valable pour l’ensemble des compagnies minières bauxitiques-il a été décidé d’accélérer et d’encourager la transformation de ce minerai sur place. Donc, il va de soi que ceux qui ne se sont pas conformés aux conventions, aux règles minières, étaient passibles d’être sanctionnés. Ce qui est arrivé avec cette compagnie où les intérêts Émiratis sont prépondérants.

La maison mère de la compagnie GAC, Emirates Global Aluminium dénonce avec la plus grande fermeté de ce qu’elle appelle la prise de contrôle illégal et hostile. Est-ce que vous ne craignez pas de faire fuir un certain nombre d’investisseurs internationaux ?

Non pas du tout, parce que les investisseurs sérieux, crédibles, savent pertinemment que la loi et le droit sont du côté de la République de Guinée dans cette affaire. Ils ne sont pas les seuls dans cette situation, il y a d’autres compagnies minières de moindre envergure qui font l’objet de ce genre de sanction avec des retraits de permis miniers par exemple. Nous devons privilégier désormais la transformation des minerais sur place, dans la mesure du possible.

La compagnie qui vient de perdre son permis affirme que par cette mesure, vous mettez en péril plus de 3 000 emplois locaux dans la région de Boké, dans le nord-ouest de votre pays ?

Nous comprenons leur souci pour ces 3 000 employés locaux, mais s’ils étaient bien intentionnés pendant ces deux décennies, ils auraient construit la raffinerie d’Alumine. Aujourd’hui, une société Nimba Mining a été créée, il y a à peine 4 jours.

Une société guinéenne  qui va être en mesure  de réembaucher  les 3 000 employés de la société GAC ?

Nous ne voulons pas sacrifier nos compatriotes, au contraire, nous défendons leurs droits. Nous allons tout mettre en œuvre pour qu’ils retrouvent un emploi sécurisé, en conformité avec l’objet de ce qui avait présidé à la création de GAC.

Propos transcrits par Ibn Adma