Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée) était l’invité de RFI, lundi 11 août. Avec le journaliste Christophe Boisbouvier, le président de l’UFDG s’est exprimé sur la situation sociopolitique de la Guinée. Notamment, le processus électoral pour le retour à l’ordre Constitutionnel, la gouvernance de la junte au pouvoir, la situation de son parti etc. En quelque sorte, c’est un entretien en réplique à la sortie du Premier ministre Amadou Oury Bah, le 8 août, sur le même média.
RFI : Le 21 septembre, plus de 6 millions de Guinéens sont appelés à se prononcer par référendum pour ou contre la nouvelle Constitution. Est-ce que vous allez appeler à voter oui ou non ?
Cellou Dalein Diallo : L’UFDG ne se sent pas concerné par cette opération parce que, d’abord, la junte n’a jamais accepté qu’il y ait un dialogue pour définir les termes dans lesquels le retour à l’ordre constitutionnel sera réorganisé. Et elle a toujours fait ce qu’elle a voulu. Et donc, l’UFDG et les coalitions dont on est membre ne se sentent pas concernés.
Donc, ni l’UFDG ni les partis alliés dans les Forces vives comme l’UFR de Sidya Touré, le RPG d’Alpha Condé, c’est ça ?
Oui, absolument, et l’ANAD. C’est une dizaine de partis, nous ne nous sentons pas concernés par ce référendum.
Est-ce à dire que vous allez appeler à l’abstention ?
Nous sommes en train de nous concerter puisque, au-delà de nos coalitions, il y a beaucoup d’autres partis politiques et d’organisations de la société civile qui n’acceptent pas cette Constitution imposée, dans la mesure où elle comporte une violation des engagements pris et du serment que le Général avait prêté : de ne pas candidater, ni lui-même, ni les membres du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), ni les membres du gouvernement. Donc, nous sommes en train de voir comment nous pourrions nous organiser pour effectivement s’opposer à cet autre coup d’État contre le peuple de Guinée, contre les droits et libertés des Guinéens de choisir librement leurs dirigeants. Parce que vous suivez sans doute toutes ces mobilisations, toutes ces « mamaya » comme on le dit chez nous, pour promouvoir, justifier la candidature de Mamadi Doumbouya qu’on veut présenter comme un homme providentiel qui doit continuer justement ce chantier, alors que sa gouvernance a été catastrophique pour le peuple de Guinée, marquée par une violation massive et récurrente des droits humains et des libertés fondamentales, marquée par les disparitions forcées. Vous connaissez Fonikè Mengué, Billo Bah, Marouane Camara, Saadou Nimaga. Il y a au moins quatre acteurs majeurs de la société civile et des journalistes qui sont portés disparus et dont on n’a pas de nouvelles jusqu’à maintenant. Ensuite, il y a les morts suspectes en détention, Sadiba Coulibaly qui était le numéro 2 de la junte qui était pour que des élections rapides soient organisées, que l’armée retourne dans les casernes, il a perdu la vie dans des conditions suspectes, comme le colonel Célestin et le Dr Dioubaté ? Ensuite il y a eu l’assassinat impuni d’une soixantaine des jeunes qui voulaient manifester parfois contre le délestage mais qui ont été abattus sans qu’aucune enquête ne soit ouverte pour qu’ils aient droit à la justice. Et bien entendu, il y a des poursuites fantaisistes contre les leaders politiques comme Aliou Bah, comme les Kassory, on n’a pas pu établir les responsabilités dans ce dont ils sont accusés. Donc compte tenu du caractère catastrophique de cette gouvernance, le maintien de Mamadi Doumbouya serait la continuité de cette mauvaise gouvernance. Je ne parle pas de la corruption et du détournement des deniers publics. Avec la manne minière – comme vous le savez, la bauxite aujourd’hui s’exporte – ils vont faire peut-être 200 millions de tonnes cette année, contre une vingtaine de millions en 2015. Et donc, il y a de l’argent.
Donc vous hésitez encore entre l’appel à voter non et l’appel à l’abstention ?
Non pas du tout, il n’y a pas d’hésitation monsieur Boisbouvier (…) Doumbouya, dans toutes ses déclarations, s’est engagé à ne pas candidater aux élections organisées pour le retour à l’ordre Constitutionnel. Devant la Cour suprême, il a juré en tant qu’officier, sur le coran, qu’il ne serait pas candidat. Aujourd’hui, il veut renier cela, on ne peut pas cautionner cela. Le peuple guinéen est attaché au respect de la parole donnée, au respect du serment. Nous sommes avec le peuple, maintenant comment on va faire ? On est en train de se concerter pour définir la stratégie à mettre en œuvre, pour marquer notre opposition à ces parjures.
Mais justement, vous pourriez appeler à voter non ?
Non, mais les conditions d’un scrutin juste et transparent ne sont pas réunies. Je vous rappelle que c’est le ministère de l’Administration du territoire, dirigé par un général, appuyé de ses préfets qui sont tous militaires et de ses sous-préfets qui sont à 60% issus des forces de défense et de sécurité, qui vont organiser ce référendum. Et donc, dans un environnement où il y a une terreur qui s’abat sur le peuple de Guinée, où il y a la peur, la corruption et donc l’expression de la volonté populaire ne sera jamais prise en compte. Donc, nous, nous ne sommes pas pour cette mascarade, tout juste pour doter le pays d’une Constitution qui permettra à Doumbouya de confisquer le pouvoir.
Même si le général Doumbouya ne respecte pas son engagement initial de se retirer de la vie politique, est-ce qu’il ne vaut pas mieux le retour l’ordre Constitutionnel avec le général Doumbouya qu’au maintien du régime militaire actuel ?
Mais c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Si Doumbouya se maintient avec la gouvernance que je viens de décrire, ça sera l’enterrement de la démocratie, des droits humains et des libertés fondamentales.
Voilà plus de trois ans, Cellou Dalein Diallo, que vous vivez en exil en Afrique de l’Ouest, notamment parce que vous êtes poursuivi par la justice guinéenne. Et il y a six semaines, vous avez tenté de vous faire recenser à Abidjan afin de pouvoir voter au référendum du 21 septembre prochain, mais cela n’a pas marché. Qu’est-ce qui s’est passé alors ?
Alors d’abord pour la poursuite, la décision de m’exclure du processus a été déjà prise, on cherchait des prétextes. Donc pour la poursuite judiciaire déclenchée contre moi, c’est de trouver les moyens de m’exclure. Parce que tout le monde sait en Guinée s’il y a des élections avec ma participation, il y a des fortes chances qu’il n’y ait pas de deuxième tour et que je l’emporte dès le premier. Et maintenant lorsqu’il a fallu se recenser, je réside depuis plus deux ans en Côte d’Ivoire, j’ai tous les papiers qui le prouvent, le certificat de la municipalité dans laquelle je vis, j’ai tous les documents requis. L’ambassade a diffusé une circulaire, c’était l’un ou l’autre des documents. Parmi les documents cités, j’en avais tous les trois que j’ai présentés pour me faire enrôler. On m’a dit « non », que des instructions ont été données par les autorités de Conakry de ne pas me recenser. Je suis allé à un bureau, on m’a renvoyé. On a même fermé le bureau dès mon arrivée pour plier tout et partir. Et ensuite, je suis venu à l’ambassade où un autre bureau de recensement était ouvert, j’ai été reçu par le Consul, on m’a dit que les instructions sont fermes, c’est de Conakry, de ne pas me recenser. Et donc, je n’ai pas pu me recenser.
Pour justifier votre non-recensement, le Premier ministre actuel, Monsieur Bah Oury, a affirmé sur RFI, il y a quelques jours qu’il y avait vous concernant un problème en termes de résidence et qu’il fallait que vous attestiez d’une résidence d’une certaine durée ce que vous n’aviez pu faire et qu’il n’y a aucune volonté d’exclure qui que ce soit de ce processus.
Le rôle de Bah Oury est de justifier ce que la junte a pris comme décision. Alors que moi, je disposais de tous les documents requis. Il n’y avait pas un seul, on a dit l’un ou l’autre des trois documents, j’avais tous les trois documents qui mettent en évidence ma résidence ici à Abidjan à tous les niveaux. J’avais mon extrait de naissance numérique, ma carte d’identité biométrique, mon passeport ordinaire en cours de validité, mon passeport diplomatique expiré en 2020. J’avais tous les documents requis. Alors j’ai présenté, on a dit non, on n’a même pas voulu examiner les documents, on a dit que des instructions ont été données que je ne dois pas être recensé. Donc, ce que le Premier ministre dit, c’est de la contre-vérité.
A l’intérieur de votre parti UFDG Cellou Dalein Diallo, votre leadership est contesté par l’actuel ministre porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, que vous avez exclu du parti il y a trois ans mais qui a obtenu sa réintégration, c’était il y a 4 mois. Est-ce que vous ne craignez pas d’être mis en minorité dans un prochain congrès de votre parti UFDG ?
Il n’y a aucun risque Monsieur Boisbouvier, aucun risque que je sois mis en minorité dans le parti. Le monsieur dont vous parlez, le porte-parole du gouvernement, était de mon parti. Il a abandonné son poste depuis qu’il a été libéré de la prison au temps de Alpha et naturellement, il est membre du gouvernement, il est porte-parole, il doit défendre toutes les pratiques y compris les plus mauvaises de la junte. Naturellement l’UFDG condamne les violations des droits humains, on a condamné les disparitions forcées, on a condamné les morts suspectes en détention. Le général Sadiba et autres. On a condamné l’assassinat impuni des jeunes manifestants, on a condamné la fermeture des radios et lui, il justifie cela. Donc, il était en porte à faux avec la ligne du parti. Il ne peut pas se réclamer du parti et soutenir ces violations massives et récurrentes des droits humains. Il y a des règles dans le parti.
Vous avez fait appel contre la décision de justice qui lui permet de réintégrer votre parti mais le 28 juin dernier le ministre de l’Administration territorial, le général Kalil Condé, vous a enjoint de réintégrer Ousmane Gaoual Diallo dans votre parti et en attendant, de surseoir à l’organisation de votre congrès…
Vous voyez la contradiction entre la justice qui est au service de la junte et le ministère de l’Administration du territoire qui est un département ministériel. La justice nous autorise à faire notre congrès, le ministre de l’Administration du territoire dit non. Or, nous avons fait appel de cette décision qui doit être réexaminée au niveau de la Cour d’Appel, mais en attendant ; la justice nous autorise à faire notre congrès, le ministère de l’Administration du territoire dit non, hors de question, on ne peut pas faire le congrès. Qu’est-ce qu’il fallait faire ? On était embarrassés. Dans la hiérarchie des normes, la décision de justice s’impose sur la décision administrative, mais comme actuellement on ne veut pas gaspiller nos forces dans des oppositions qui n’ont pas de portée importante, puisqu’il y a beaucoup d’échéances qui nous attendent, on s’est inclinés, on a dit : bon, on attend, de toute façon on n’a pas de problème. La population, les militants du parti sont derrière son leader et la direction nationale du parti. Aujourd’hui, c’est l’UFDG qui est débout pour dire non.
Mais tout de même, est ce que votre éloignement du pays depuis plus de trois ans maintenant ne fragilise pas votre position à la tête du parti ? Vous connaissez l’adage : les absents ont toujours tort ?
Non ça ne fragilise pas, aujourd’hui avec les nouvelles technologies de l’information, tous les samedis il y a une assemblée générale ordinaire. Et très souvent, c’est moi qui l’anime, grâce justement à ce moyen technique. Les militants sont très attachés à moi, il y a une confiance, certains disent même il y a une affection, mais c’est la confiance qui est importante.
Le départ de certains cadres de votre parti qui sont passés du côté du pouvoir, je pense par exemple à Cellou Baldé qui vient de devenir ministre de la Jeunesse, est-ce que ça ne vous inquiète pas quand-même ?
Non pas du tout, les gens ont confiance à mon expérience, les gens ont confiance à mes convictions, à mon attachement à ces valeurs : la démocratie, l’État de droit. Ça ne me gêne pas, la transhumance existe partout depuis toujours, en Afrique en particulier. Parfois, évidemment, il y a des gens qui sont pressés et qui veulent avoir des postes. En tout cas des avantages qu’ils veulent obtenir, des faveurs du pouvoir, qui renoncent au combat et qui y vont. Il n’y a pas de souci, mais ça ne me gêne pas, les militants sont encore dans le parti, aujourd’hui plus motivés qu’hier.
Il y a un peu plus d’un an, c’était en juin 2024 sur RFI, vous nous avez dit : je vais rentrer bientôt à Conakry. Or, vous n’êtes toujours pas rentré. Pourquoi ?
Les conditions de mon retour ne sont pas encore réunies. Il y a trop de haine et de harcèlement. Vous voyez tout ce qu’ils font tous les jours pour empêcher la tenue du congrès, pour refuser que je m’enrôle dans le fichier électoral, pour déclencher des poursuites fantaisistes contre moi. Donc, j’attends qu’il y ait moins de passion et de haine. Mais dans tous les cas, ma place est là-bas auprès du peuple, pour mener le combat contre les dérives qui s’annoncent.
Est-ce que vous allez rentrer avant le référendum du 21 septembre ?
Le référendum, je ne me sens pas concerné, ce n’est pas une échéance importante pour moi. Évidemment, si elle est importante dans la mesure où je sais que les Guinéens vont se mobiliser pour exprimer leur désaccord avec la commission du parjure et la candidature de Doumbouya. Nous sommes en train de voir. Je n’exclus pas d’y être avant, mais pour l’instant, je ne peux pas vous donner une date précise.
Est-ce que vous allez rentrer avant la fin de l’année ?
Je ne peux pas vous donner une échéance.
Vous tablez dans votre combat pour une mobilisation de la Communauté internationale, notamment de la CEDEAO et les pays environnants. Mais le 18 juin dernier, le général Mamadi Doumbouya a été reçu à Abidjan par le président Ouattara. Jeudi dernier, le premier ministre Bah Oury a participé aux festivités de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Est-ce que vous ne vous sentez pas de plus en plus isolé ?
Non, pas du tout. Je pense qu’il y a des relations d’Etat à Etat. La Côte d’Ivoire mène ses politiques, sa diplomatie en fonction peut être des contraintes auxquelles elle est confrontée. Mais bon, je ne me sens pas isolé dans la lutte que je mène pour la démocratie et l’Etat de droit. Je pense que j’ai beaucoup de soutiens, d’abord à l’intérieur, mais aussi il y a des forces pro démocratie à l’extérieur même si la CEDEAO est en difficultés, il faut l’avouer. Évidemment, parce que l’Accord additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance n’est plus appliqué. Donc ceci affecte effectivement la lutte que nous menons, c’est une réalité, la CEDEAO, l’Union Africaine, la Communauté internationale de façon générale, n’est plus là aux côtés de ceux qui luttent pour ces valeurs.
Et si demain le Oui passe au référendum, et si après demain le général Doumbouya se fait élire président, est-ce que vous ne craignez pas d’entrer dans une longue traversée du désert ?
Je souhaite que cela n’arrive pas, parce que la Guinée s’enfoncerait dans une dictature. Je refuse d’envisager cette hypothèse, connaissant l’attachement de notre peuple, des Guinéens, à la démocratie et aux libertés.
Propos transcrits par
Mamadou Adama Diallo