Il y a une époque, pas si lointaine, où les généraux africains avaient au moins le mérite de la patience. Ils attendaient leur heure, fourbissaient leurs armes dans l’ombre, négociaient avec les barons de la drogue et les requins du commerce. C’était presque professionnel. Presque un art. À fakoudou !

Aujourd’hui? C’est devenu un sport continental. Un loisir de fin de semaine. On sort les tanks comme on sort les chaises longues. « Tiens, dimanche prochain, on renverse le régime? » Pourquoi pas. Il fait beau. Les casernes s’ennuient. Les manifestations traînent en longueur. Autant régler ça en vingt-quatre heures et laisser la place aux uniformes kaki.

Désormais, le suffrage universel, c’est du luxe d’occidentaux. Hé Kéla ! Nous, on vote avec les bottes. Les urnes ? Trop lourd à transporter. Le plomb, c’est plus léger. C’est plus direct. Pas de dépouillement compliqué, pas de recomptage, pas de contestation – juste le clic-clac d’une mitraillette et le tour est joué. C’est efficace. C’est brutal. C’est africain, Wallahi !

Et puis il y a les civils qui regardent, amusés. Ils se demandent ce qui s’est passé. Leur président de vendredi est devenu prisonnier le samedi. Dimanche, on lui trouve un successeur aussi provisoire que les saisons. On proclame la restauration de la « vraie » démocratie. On ferme les frontières. On coupe internet. On jure sur tous les ancêtres que c’est pour le bien du peuple. Que ce putsch-là, contrairement aux autres, c’est un vrai putsch, un putsch patriotique, un putsch salvateur.

Pendant ce temps, les richesses s’envolent. Les mines restent entre les mains des mêmes prédateurs. Les écoles crèvent de faim. Les hôpitaux n’ont plus de médicaments. Les routes se délabrent. Mais qu’importe !

Regardez Madagascar : on renverse un président, on en installe un autre, puis un troisième — c’est devenu un carrousel. On Chen fout ! Au Mali, les militaires ont promis de chasser les djihadistes et ont réussi surtout à chasser l’État de droit. Au Burkina, c’est pire encore : deux coups d’État en trois ans. Les Burkinabés ont connu plus de gouvernements que de réformes. En Guinée, le Grimpeur a gouverné, puis un militaire l’a renversé pour annoncer la « refondation ». Au Niger, c’était pareil : on jure sur les ancêtres que cette fois, c’est différent. Au Gabon, Bongo dominait depuis des décennies ; son fils lui a succédé comme dans une monarchie de pacotille. Les militaires ont fini par s’en charger. Hé Kéla !

L’Égypte et l’Algérie? Les grands classiques ! L’Égypte a connu Nasser, puis Sadate assassiné par ses propres officiers, puis Moubarak pendant trente ans, puis deux printemps arabes et Sissi qui a ramené l’ordre – le seul vrai ordre : celui des prisons remplies. L’Algérie, elle, a eu ses généraux de l’ombre qui gouvernaient même quand il y avait un civil à la présidence. Les militaires tiraient les ficelles depuis les casernes. C’était plus discret. Plus hypocrite. À fakoudou !

Les généraux ont de nouvelles maisons à Dubaï. Les colonels ont des villas à Dakar. Les lieutenants ont découvert que l’argent du peuple, c’était sympa aussi. Et pendant ce temps, à Bamako, à Ouagadougou, à Conakry, à Antananarivo ou à Niamey, les gens mangent du sable.

Et la communauté internationale ? Elle condamne. Elle suspend. Elle « s’inquiète ». Puis elle négocie. Elle cohabite. Elle reprend les investissements. Parce qu’après tout, un putsch démocratique, c’est encore mieux pour les affaires qu’un président élu qui pose des questions gênantes. Hé Kéla !

Le pire ? C’est que personne ne croit plus à rien. Pas même les putschistes. Ils savent que leur régime durera quelques années avant le suivant. Wallahi, ils ont juste le temps de s’enrichir, de paraître, de commander. Les peuples, eux, savent qu’on les arnaque. Mais à quoi bon protester ? La prochaine fois, ce sera peut-être pire. Peut-être mieux. Probablement pareil.

Donc voilà. En Afrique, c’est simple désormais. Si tu veux le pouvoir, oublie les universités, les discours, les promesses creuses. Oublie les alliances politiques et la base électorale. Non, non. Ce qu’il te faut, c’est un bon contact à la caserne, une douzaine de sous-officiers ambitieux, et une certitude : que personne, vraiment personne, ne te tirera dessus les trois premiers jours. Après, tu es président. Jusqu’à nouvel ordre. À fakoudou !

En Afrique, on a découvert un truc formidable : quand on n’a pas d’argent, on crée un « projet ». Wallahi, c’est magique! Un projet, c’est juste des mots, des promesses et une petite réunion à l’hôtel avec café et beignets. Ça coûte rien, ça rapporte gros – en théorie. Hé Kéla !

Donc voilà le cycle : le gouvernement regarde son compte en banque, voit qu’il est vide, et hop! « On va lancer un projet d’électrification rurale! » Génial ! Les donors accourent. Ils sortent leur carnet. Les minus-tres prennent la photo devant la pancarte du projet. La presse applaudit. « L’Afrique avance ! » crie-t-on.

Mais derrière le projet ? Il y a un autre projet qui l’attend. Hé Kéla ! Le projet d’électrification attend le projet d’infrastructure routière. Le projet routier attend le projet de formation des techniciens. Le projet de formation attend le financement. Le financement attend l’approbation des toubabs. L’approbation attend une étude. L’étude attend… un consultant international. Et le consultant ? Il rentre chez lui après avoir touché ses honoraires et laisse le dossier sur une étagère pour l’éternité. À fakoudou !

On chen fout des résultats ! Ce qui compte, c’est le projet. C’est le symbolique. C’est la photo. C’est la conférence de presse. Hé Kéla ! Nous, on vit dans le monde merveilleux des projets en attente, où tout est promis et rien n’est livré. C’est un carrousel infernal : un projet qui appelle un autre qui en appelle un troisième. Et pendant ce temps, la route reste crevassée, le villageois reste dans le noir, et l’agriculteur continue de labourer à la main.

Mon ami, assis sur un banc, écoutait tout ça, la gueule ouverte comme un cendrier, avalant chaque parole, chaque mensonge, chaque promesse creuse. Les yeux vides. L’expression figée. Il avait l’air d’un homme qui venait de comprendre que le monde était une blague dont personne n’avait écrit la fin.

À côté de lui, assis sur le même banc, il y avait un gugusse qui marmonnait tout seul. Nul ne comprenait ce qu’il disait. Il murmurait des trucs incompréhensibles, perdu dans ses pensées, largué par la vie comme si aucun miracle ne pouvait le ramener à la réalité. Il parlait à des fantômes. À des projets disparus. À des promesses jamais tenues. À des généraux qui n’existaient que dans sa tête.

Et puis j’ai réalisé : mon ami et le gugusse, c’était nous. C’était l’Afrique. L’un écoutait la folie. L’autre la vivait. Tous les deux égarés dans le même carrousel infernal, attendant que quelque chose, n’importe quoi, vienne les sauver. À fakoudou !

Sambégou Diallo

Billet

Un chat m’a conté

En Afrique, on n’élit plus nos présidents. On les loue. Bail de trois ans, renouvellement non garanti. Intéressé ? Amenez vos tanks et votre ambition.

Chez nous, la démocratie c’est comme le wifi: on la cherche partout, on ne la trouve nulle part, mais on crie qu’elle existe !

SD