Cette région de la coexistence offrait abondamment à ses habitants des variétés de riz rares. Cette céréale, une fois dans la marmite, répandait une odeur qui excitait la bouche et annonçait le temps de rassemblement. De loin, ce parfum, les grands cultivateurs vous disaient joyeusement la variété de riz qu’ils allaient déguster. Il arrivait au moment du repas rassembleur que le père de famille exigeant et fier de ses variétés tance l’épouse d’avoir ce jour fait cuire cette variété à la place de celle ordonnée par le mari. Il arrive que le voisin, invité naturel, en dégustant la sauce, demande à son tour à la cuisinière du jour pourquoi telle variété de poisson n’a pas accompagné cette variété de riz. Le moment du repas était également l’occasion d’apprécier les travaux champêtres. Les épouses étaient jugées à la qualité et à la quantité de leur culture maraîchère, de leurs légumes dont elles revendaient une partie au marché local. Le «riz blanc» importé que le pays consomme aujourd’hui était inconnu.

Les villages étaient entourés d’épaisses forêts dans lesquelles vivaient toutes sortes de primates. On voyait souvent des singes, en toute sécurité, sauter d’arbre en arbre. Parfois certains s’arrêtaient au passage des cultivateurs comme pour les inviter à admirer leurs grimaces.

Dans tous les villages du Kakandé, magasins, cases spéciales, symboles de la sécurité alimentaire et de la fierté, contenaient des sacs de riz, des graines d’arachides, de palme, du bois mort pour la cuisine. Ce Kakandé travailleur, paisible vivait dans la sécurité, la joie, la paix. Les maisons en banco couvertes de paille, faisant corps avec l’environnement ne connaissaient pas la chaleur. Les villages de Katoko et de Kawasse illustraient ce Kakandé. Les deux villages étaient séparés par une belle rivière propre et poissonneuse ne manquaient pas de poissons. Il arrivait que la marmite au feu, la cuisinière courre à la rivière chercher du poisson. C’était la belle période, c’était le beau et paisible Kakandé. Ce Katako, chrétien, vivait paisiblement avec les musulmans.

Et voilà qu’en 1963 arrive la CBG (la compagnie des bauxites de Guinée) qui promet le mieux-être. On promet le paradis à la région de Boké comme on l’avait fait en 1950 à Sébaya, Fotoba dans les îles de Loos. Aujourd’hui, allez voir à Fotoba. On a trouvé à Boké de la bauxite. Le village de Sangarédi à 140 kilomètres de Kamsar doit fournir la terre rouge à l’usine de Kamsar. Cette terre rouge est expédiée ailleurs par de gros bateaux. Pour cela l’Etat guinéen, grâce au soutien des Américains, a obtenu un prêt pour construire le port de Kamsar, le chemin de fer reliant Sangarédi à Kamsar et la cité pour les travailleurs. Le partenaire de la Guinée, la Société américaine Harvey des Etats-Unis à son tour doit construire l’usine de Kamsar, s’occuper de la mine, de l’installation du chemin de fer. A côté de cet investissement on a créé l’OFAB (l’office d’aménagement de Boké) qui doit aider agricolement Boké à se développer. Pendant ce temps tout le « manger » est importé des Etats-Unis pour nourrir des travailleurs installés dans une terre insolemment riche et fertile.

En dehors des taxes pour Kamsar, Boké, Sangarédi, le reste de tout l’argent sorti de l’usine a servi à enrichir et sécuriser l’Etat guinéen: l’argent de Boké a servi à payer la dette extérieure, à financer les ambassades, à importer du riz blanc et les produits pétroliers. La CBG aurait dû être ravitaillée par la région, par la terre de Boké. Le gouvernement aurait dû négocier avec la société Harvey pour développer dans la région de Boké l’agriculture qui aurait non seulement nourri la CBG, mais aussi toute la Guinée et même d’autres pays. Les Américains ont et la technique et les moyens. Un bon gouvernement aurait également installé dans la région de Boké, grâce au concours américain, avec l’argent que la Guinée a tiré de la CBG, construire le plus grand hôpital de la sous-région et même du monde. Boké également aurait abrité la plus grande école des mines du monde.

Allez voir aujourd’hui Sangarédi, Boké et Kamsar, cinquante années d’exploitation de la terre de Kankandé n’a apporté que pauvreté.

Et voilà que notre professeur, président de la République permet aux Chinois d’aller à Katougouma, village situé à environ 20 Km de Kolabouï. Cette région religieuse, Katougouma, est non seulement un lieu d’exploitation de la bauxite, mais aussi un centre de trafic de carburant acheté dans les bateaux chinois à moindre coût. On va acheter au large, dans les bateaux chinois de l’essence à 5 000 francs pour le revendre partout dans la région, surtout à Kamsar, à 6 000 francs ! Ainsi, les habitants de Katougouma sont devenus presque tous des propriétaires de barques à moteur pour acheter du carburant dans les bateaux chinois. Autre fait curieux: on n’a jamais vu les Chinois dans les banques de Boké ou de Kamsar. Ils payent les travailleurs avec de l’argent «neuf». D’où vient cet argent?

L’exploitation de Katougouma profite-t-elle à la région de Boké ? Ce village propre, religieux est devenu aujourd’hui un autre lieu de luxure, de vice.

La région de Boké risque de bientôt mourir physiquement, financièrement et moralement. Pendant ce temps sa richesse s’en va enrichir ailleurs.

Il faut que les régions minières reçoivent au moins 50% de la part qui revient à la Guinée. Dans ce cas-là on pourra parler de Justice, de Développement.

Diallo I