« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
Tocqueville
Hissez un rat au sommet de l’Etat, tous les Guinéens viendront s’agenouiller ! A force d’opportunisme et de démagogie, nous sommes devenus un peuple de laquais qui prend un malin plaisir à fabriquer ses tyrans et à leur offrir des verges pour se faire botter le cul. Du postier, Sékou Touré, nous avons fait « le responsable suprême » d’une révolution aussi criminelle que surréaliste ; du soudard Lansana Conté, un général, du pompiste Dadis Camara, le Moïse des nouveaux temps ; du tigre en papier, Sékouba Konaté, un kaiser des tropiques ; de l’éternel étudiant Alpha Condé, un professeur-président et bientôt peut-être, un mangué à vie. Les titres ronflants, les discours creux, les louanges à quatre sous, ça nous connaît ! Sommes-nous les citoyens d’une république ou les griots de la cour ? Les griots de la cour, sûrement ! Sauf, que le griot, le vrai, est d’ascendance noble. Tout chez lui, exprime la prestance : l’allure, le geste, la parole ! Hélas, la décadence de notre pays est telle que cette valeur-là aussi a fini par dégénérer. On ne pince plus la cora à la gloire des valeureux, on ne joue plus de la flûte pour chanter le courage et l’amitié mais pour le prix de la sauce. Nous avons atteint un tel niveau de bassesse humaine que les prêtres comme les marabouts, les soldats comme les mandarins, les riches comme les pauvres, tout le monde est prêt à jeter la culotte pour un plat de bourakhé, à honnir le père et la mère pour un misérable strapontin. Nous sommes devenus un petit peuple de rien du tout que plus personne ne craint, que plus personne ne respecte. Normal, diront nos détracteurs : le larbinisme ne mène jamais loin !
Et pourtant, nous avions tout pour devenir une nation riche, une nation forte, une nation exemplaire : la culture, l’histoire, la géographie ! Qui dit Guinée dit passé glorieux, beaux paysages, belles femmes, bauxite, cours d’eau, diamant et or. Il ne manque qu’une seule chose à ce pays de cocagne : la dignité ! Où l’avons-nous mis, ce legs capital de nos aïeux ? Comme Esaïe, son droit d’aînesse, nous l’avons vendu pour un plat de lentilles ou plutôt pour une calebasse de niébé.
Pauvre Guinée ! 61 ans d’indépendance ! 61 ans de misère, d’infantilisme politique et de haine ! La faute à qui ? A nous tous !
Comment en est-on arrivés-là ? Par le jeu sans fin de la cupidité et du renoncement : renoncement au courage, renoncement à la solidarité, renoncement à l’histoire, renoncement à l’honneur, renoncement à l’honnêteté. Tout cela mis ensemble a produit cette société infecte qui est la nôtre aujourd’hui. Ce monde interlope propice aux charlatans et aux criminels, aux tartuffes et aux aigrefins. Plus d’ami, plus de frère ! Aucun effort, aucun mérite ! Aucun idéal, aucune ambition ! Une seule et unique raison de vivre : le bakchiche, le pot de vin, la prébende ! Bouffer à n’importe quel prix quitte à ramper devant Médor et à aboyer ! D’où vient ce manque de confiance en soi, ce réflexe de gamins, ce besoin permanent de s’inventer des parrains corses et des tuteurs armés de tiques ?
Avons-nous peur d’être libres ?
A un moment où de nouveau, notre destin se joue avec – comme sous Lansana Conté en 2006 et Dadis Camara en 2010 – un risque énorme de bain de sang, nous devrions méditer ce qu’écrivait l’écrivain français Joseph de Maistre : « Toute nation a le gouvernement qu’elle mérite ».
Tierno Monénembo