« La forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision. » Cet article 154 de la Constitution guinéenne de 2010 est au coeur de la tragédie politique qui se joue à Conakry depuis plusieurs mois.
Elu en 2010 dans des conditions invraisemblables où il a rattrapé 30 points de retard entre les deux tours, réélu en 2015 à la faveur d’un scrutin contesté, Alpha Condé doit quitter le Palais Sékhoutouréya après deux bails de cinq ans à la tête de son pays. A la suite de certains de ses homologues comme Denis Sassou Nguesso, le président guinéen aurait pu faire sauter le verrou constitutionnel de la limitation des mandats. Mais il butte sur la disposition sus-citée qui exclut « le nombre et la durée des mandats du président de la République » des clauses susceptibles de révision.
Devant cet obstacle dirimant, Alpha Condé, décidé contre toute décence à s’accrocher au pouvoir, a opté pour une parade sidérante: abolir la Constitution actuelle pour lui substituer une nouvelle qu’il a fait rédiger. En d’autres termes, brûler le texte qui fit le consensus de toutes les forces vives et sur la base duquel il fut lui-même élu et réélu…
Pareille initiative a coalisé contre elle toutes les forces politiques, sociales et symboliques de la Guinée qui se sont regroupées au sein d’un Front national de défense de la Constitution (FNDC). Toutes ethnies confondues, dans ce pays où l’ethnostratégie a toujours régi la vie politique, les Guinéens se sont levés comme un seul homme pour barrer la route à une telle forfaiture. A commencer par les Malinkés dont fait partie Alpha Condé. Ainsi de Cheick Sako qui a démissionné de son poste de ministre de la Justice en signe de désapprobation du changement de Constitution. Ainsi également de Lansana Kouyaté, d’Ousmane Kaba et d’autres leaders issus de la Haute-Guinée actifs au sein du FNDC.
Force symbolique importante dans l’imaginaire populaire, l’imam de la Grande mosquée de Conakry a publiquement déclaré son opposition à un éventuel 3e mandat. De même que son homologue de Kindia. Mais aussi et surtout le kontigui de la Basse-Guinée, chef coutumier de la collectivité soussoue, l’équivalent du Grand Serigne de Dakar en plus populaire et en plus influent, qui a craché sur 350 000 dollars avec lesquels on tentait de le soudoyer, pour inviter Alpha Condé à « sortir par la grande porte. »
Le locataire de Sékhoutouréya semble sourd à ces nombreuses voix discordantes, pris en otage par son propre système fondé sur la corruption et sur une surenchère extrémiste et loyaliste. Depuis une décennie, en effet, celui qui est arrivé au pouvoir à 74 ans, après toute une vie passée à exercer le métier d’opposant, a mis en place un système de pillage des énormes ressources de la Guinée dont l’impéritie n’a d’égale que la médiocrité des résultats économiques et sociaux. La Guinée, grand corps malade de l’Afrique de l’Ouest, s’enfonce chaque jour davantage dans la misère économique et la régression sociale. Signe de son échec patent, Alpha Condé n’a pas bâti un seul échangeur à Conakry, la seule capitale africaine où il faut 3 à 4 heures pour parcourir 5km !
Au même moment, l’exportation de la bauxite est passée de 15 millions à 60 millions de tonnes par an, dans un contexte où les cours ont flambé et où la dépendance du monde de la Guinée s’est considérablement accrue.
C’est entre autres pour continuer à contrôler cette manne financière que le régime d’Alpha Condé concocte un abolitionnisme constitutionnel qui va brûler la Guinée. Si la Guinée brûle, le Sénégal va être gravement touché. Il y a dans notre pays 3 millions de bi-nationaux sénégalais et guinéens. Si ce pays voisin bascule, nos villes et campagnes vont accueillir des millions de réfugiés du fait de la proximité sociologique de nos deux peuples. Sans compter tous les risques sécuritaires. Le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée Bissau, encore convalescents, vont être impactés par les dégâts.
En un mot comme en mille, le goût démesuré pour le pouvoir d’une personne de 84 hivernages fait peser de lourds risques de déstabilisation sur toute l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal, la sous-région ouest-africaine et le monde ne doivent pas regarder écrire en Guinée un scénario rouge sang. Le président nigérien Mahamadou Issoufou a eu raison de le rappeler au cours d’un récent sommet de la Cedeao: « Notre sous-région a dépassé la question du respect du nombre des mandats présidentiels et ne doit plus revenir en arrière. »

Cheikh Yérim Seck
Source: Yerimpost.com