En Guinée, de plus en plus d’observateurs prêtent au président Alpha Condé l’intention de changer de Constitution pour briguer un 3e mandat en 2020. Vrai ou faux ? En tout cas, le 3 avril dernier, l’opposition, les syndicats et la société civile ont créé un front anti-3è mandat, le Front national pour la défense de la Constitution, le FNDC. Quelle est la stratégie de ces frontistes ? Le député Sidya Touré préside l’Union des forces républicaines, l’UFR, la deuxième force de l’opposition à l’Assemblée nationale. De passage à Paris, l’ancien Premier ministre de Guinée répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Pourquoi ce front contre un éventuel troisième mandat d’Alpha Condé ?
Sidya Touré : Parce que nous sentons qu’il y a des velléités tendant à introduire, paraît-il, une nouvelle Constitution, mais dont l’objectif final est tout simplement d’octroyer un troisième mandat à Alpha Condé.
Pour l’instant, le président Alpha Condé ne dit pas qu’il va faire changer la Constitution pour solliciter un troisième mandat…
Il finance beaucoup d’associations, beaucoup de personnalités, des artistes. Et tout ceci, pour organiser dans les quartiers, dans les villes de l’intérieur des mouvements tendant à faire croire qu’il s’agit d’une demande populaire.
En fait, ce que vous craignez, c’est l’annonce qu’on va organiser un référendum constitutionnel, comme en témoignent certains panneaux dans les rues de Kaloum ?
Crainte, non. Nous savons que c’est l’objectif final d’Alpha Condé. Donc, nous nous préparons à cela. Avant d’arriver au référendum, il va falloir introduire un projet de loi à l’Assemblée. Et avant l’Assemblée, nous serons là pour nous opposer de manière totalement ferme à cet objectif que le gouvernement prépare en ce moment.
Le président Alpha Condé dit : « Personne en Guinée ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut faire ». Après tout, si c’est le peuple qui décide, pourquoi pas ?
Le peuple a déjà décidé : les modifications constitutionnelles tendant à augmenter le nombre de mandats ou à changer la forme républicaine de l’État sont sanctuarisées dans la Constitution actuelle. Donc le peuple a déjà décidé en ce qui concerne cette question. Nous pensons que nous ne reviendrons pas là-dessus.
Le peuple ne peut-il pas changer d’avis ?
Pour le moment, ce n’est pas le cas. Nous avons des besoins immédiats en Guinée, avoir de l’électricité depuis 9 ans, avoir de l’eau, avoir de l’assainissement. Depuis 9 ans, il n’y a pas une seule ville de Guinée où vous avez une fourniture d’électricité pendant ne serait-ce que 12 heures par jour. Voilà les questions qui préoccupent les populations guinéennes.
Les partisans d’Alpha Condé disent encore qu’après tout, cette limitation à deux mandats est une histoire d’Occidentaux et que cela ne concerne pas les Africains…
La République serait une histoire d’Occidentaux ? On peut faire un royaume aussi, si on veut ? Je plaisante ! Je crois que c’est un peu dû n’importe quoi. Nous sommes en Guinée, nous nous sommes battus pour avoir l’indépendance en 1958, en disant non, nous disons « non » à la forme républicaine qui consiste à avoir un président à vie.
Mais si Alpha Condé estime qu’il n’a pas terminé son travail au terme de deux mandats, pourquoi ne pas lui donner l’occasion de solliciter un troisième mandat ?
Je voudrais savoir de quel travail il s’agit. En 9 ans de mandat, nous n’avons pas d’électricité. On a dépensé trois milliards dans ce secteur et il n’y a pas une seule ville de Guinée qui soit fournie en électricité 24 heures sur 24. Nous n’avons pas d’eau. Nous n’avons pas d’assainissement. Nous n’avons pas eu une seule université pendant ces 9 ans de construite. Ensuite, on n’a pas un seul hôpital qui a été construit. On ne peut pas vous montrer 200, 300 kilomètres de routes qui ont été réalisées pendant ces 9 années. Nous estimons que le mandat était de 10 ans et qu’il doit être achevé en 2020.
Aujourd’hui, vous êtes de retour dans l’opposition. Mais jusqu’à l’an dernier [démission le 11 décembre 2018], vous étiez le haut représentant du chef de l’État. Êtes-vous crédible ?
Oui, je crois que ça, le terrain le prouve tous les jours. Ce que nous avons fait en 2016, ce n’était pas de retourner dans la mouvance présidentielle. J’étais catastrophé par les cinq premières années du mandat d’Alpha, et j’ai souhaité vraiment apporter ma contribution à faire améliorer un peu les conditions de vie de nos concitoyens. Et j’ai tout fait, tout en disant que je n’ai pas été un salarié, je n’étais pas au gouvernement, je n’avais pas de budget. Donc c’était des conseils que j’ai donnés au fur et à mesure. Et je me suis rendu compte que le grand paradigme pour lequel je me suis le plus battu -reprendre les recettes minières pour les consacrer au développement de l’économie agricole-, on n’a pas pu le faire et j’ai préféré me retirer.
Depuis le 1er janvier, le mandat des députés est expiré. Et pourtant, les députés de l’opposition continuent de siéger. Comment pouvez-vous demander à Alpha Condé de respecter la loi si les députés de l’opposition ne la respectent pas ?
Nous avons évoqué cette question. Personnellement, j’étais opposé à ce qu’on siège. Mais le problème de fond est de savoir pourquoi les élections n’ont pas été organisées à temps. C’est une habitude dans le système d’Alpha Condé. Donc c’est une volonté délibérée d’affaiblir les autres institutions pour laisser émerger uniquement la présidence et créer des situations de ce genre.
Le numéro deux de votre parti Union des forces républicaines (UFR), Baidy Aribot, a fait défection…
Ce n’est pas le numéro deux du tout. Ce n’est absolument pas le numéro deux. Dans mon parti, il y a des vice-présidents, il y a eu un secrétaire exécutif. Il a fait défection ? Non. Nous avons estimé qu’il fallait arrêter cette collaboration qui n’avait pas beaucoup de sens. Mais ce sont des choses qui arrivent dans les partis politiques. Le fait est qu’il n’y a pas un seul secrétaire général de section de mon parti qui soit allé avec la personne indiquée.
Mais tout de même, le départ du secrétaire général de votre parti, son ralliement à Alpha Condé, ce n’est pas un coup dur ?
Non. Pas du tout. Il n’était pas secrétaire général, il était secrétaire exécutif, c’est un poste exécutif effectivement, mais qui en réalité était assumé par le vice-président de mon parti, le député Ibrahima Bangoura, qui est toujours en place.
Plusieurs de vos militants, qui ont mené des actions anti troisième mandat, ont déjà été arrêtés. Ne craignez-vous pas un durcissement du pouvoir ?
Mais j’estime que vous ne pouvez pas organiser dans les quartiers des mouvements pro troisième mandat et arrêter ceux qui manifestent contre un troisième mandat. Cela n’a pas beaucoup de sens. De toute façon, le moment venu, le front qui a été mis en place et qui représente les forces vives, comme Alpha Condé l’a connu avec nous, ce front sera prêt pour les manifestations, que ce soit à Conakry ou à l’intérieur du pays. Je vous dis, nous serons prêts le moment venu.
Vous envisagez des manifestations, mais depuis 9 ans, ces manifestations contre le régime se sont soldées par la mort par balles de plus de 100 personnes. Est-ce qu’en appelant à ces manifestations, vous ne risquez pas de provoquer des nouveaux drames ?
Les « gilets jaunes » manifestent ici depuis combien de semaines ? Je n’ai jamais entendu que quelqu’un avait été tué par balle. Si vous manifestez, c’est ceux qui vous tirent dessus qui ont un problème dans la mesure où ce sont des manifestations pacifiques. Nous serons prêts pour aller devant les tribunaux, devant la communauté internationale pour faire comprendre que nous ne sommes plus en démocratie en Guinée et qu’il est temps peut-être de veiller à ce que ces choses changent.
Est-ce qu’un dialogue n’est pas possible entre le pouvoir et l’opposition pour éviter que de nouveaux drames arrivent ?
Nous en sommes au cinquième ou sixième dialogue avec Alpha Condé. À chaque fois que vous avez fini de le signer, le lendemain matin, vous vous trouvez dans la même situation. Donc cela ne sert pas à grand-chose. L’idée essentielle, c’est de faire en sorte qu’une seule personne ne confisque pas l’avenir de 12 millions de Guinéens. Je crois que le fait qu’Alpha reste au pouvoir 5 ou 6 années de plus ou qu’il y reste à vie n’a absolument aucun impact positif pour les 12 millions de Guinéens. Nous pensons que dix ans, cela suffit.
Quand le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, lance un appel aux forces de l’ordre guinéennes pour qu’elles s’inspirent du comportement de leurs collègues d’Algérie. Vous êtes d’accord ?
Tout le monde est d’accord sur le fait -on l’a vu en Algérie, on l’a vu au Soudan maintenant-, tout le monde comprend que, quand le peuple est là, la manifestation de la population, c’est dans ce cadre-là. Alpha devrait s’en inspirer au lieu de penser que les populations se manifestent quand lui il arrive à réunir au sein d’une concession ou d’un stade fermé entouré de militaires, avec des panneaux pour le troisième mandat. Non. Je suis d’accord avec Cellou. Cela dit, il faut absolument faire en sorte qu’on n’arrive pas à des dérives de ce genre.