Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités fédérales somaliennes à décréter au plus vite un moratoire sur les arrestations de journalistes qui se sont multipliées ces dernières semaines. Les efforts engagés en matière de lutte contre l’impunité doivent s’accompagner de mesures fortes pour faire baisser le nombre encore très élevé d’exactions contre les professionnels de l’information.
Avec 20 cas de journalistes arrêtés depuis le début de l’année dont cinq au cours du seul mois de juin, la Somalie figure parmi les pays les plus répressifs en matière d’interpellations de professionnels de l’information sur le continent. En Afrique subsaharienne, seule la République démocratique du Congo (RDC) a fait pire au cours des six derniers mois.
Dernière victime en date de cette triste série, le journaliste Jabir Said Duale, connu sous le pseudonyme “Bulshawi” et travaillant pour la chaîne privée Horyaal24 TV, a été libéré le 28 juin dernier sur grâce présidentielle après avoir passé sept jours en détention. Arrêté à deux reprises le 16 et le 22 juin à Erigavo dans l’État autoproclamé du Somaliland, il était accusé par les autorités locales d’avoir filmé une manifestation “illégale” critiquant le manque d’inclusion de la population dans les pourparlers historiques réunissant le président de Somalie et du Somaliland qui se disputent des territoires.
Plusieurs autres reporters ont été arrêtés ou convoqués par la police au cours du même mois, dont le journaliste d’une radio locale Bishar Ibrahin Adan, arrêté le 10 juin dernier et détenu trois jours à Burdhubo, une ville de la région de Gedo en Somalie, avant d’être libéré sans inculpation. Abdishakur Mohamed Hassan de la chaîne privée SAAB TV, avait été arrêté et brièvement détenu le 12 juin pour avoir couvert une manifestation à Beledweyn, dans le sud de la Somalie. C’est également le cas de Khadar Mohamed Tarabi et Khadar Farah Rigah, travaillant respectivement pour la Somali Broadcasting Corporation (SBC) et la chaîne privée Universal TV, accusés d’avoir couvert des manifestations locales et libérés le 17 juin après un jour de détention sur ordre du gouverneur provincial.
“Détentions, arrestations ou simples convocations, les exactions commises contre les journalistes somaliens se maintiennent à un niveau très élevé, déplore Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Seules des mesures fortes et ambitieuses permettront de mettre fin à ces pratiques et ces intimidations systématiques. Nous réitérons notre appel aux autorités fédérales de la Somalie et locales du Somaliland à décréter un moratoire sur les arrestations de journalistes en attendant une réforme du cadre légal des médias qui devra consacrer la fin des mesures privatives de liberté pour des faits qui relèvent du journalisme.”
Lors d’une rencontre à Paris en novembre 2019 avec le premier ministre somalien Hassan Ali Khayre, RSF avait aussi plaidé pour l’adoption rapide d’un mécanisme national dédié à la protection et à la sécurité des journalistes. La Somalie demeure le pays africain le plus meurtrier pour les professionnels de l’information. Plus d’une cinquantaine de journalistes y ont été tués au cours de la décennie écoulée. Des efforts pour lutter contre l’impunité ont tout de même été entrepris ces dernières années. Un policier ayant abattu un journaliste a été condamné par contumace, des militaires ont été renvoyés pour avoir maltraité des reporters et une Cour de justice vient de répondre favorablement à une requête du syndicat national des journalistes somaliens (NUSOJ) en ordonnant l’ouverture d’enquêtes pour les assassinats et meurtres de plus de cinquante journalistes dans le pays.
La Somalie occupe la 163e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2020.
Reporters Sans Frontières