Suite de notre article sur VolCom, une structure de propagande au service du RPG, animée par des salariés au compte du parti et du gouvernement guinéen. L’enquête, menée par des chercheurs américains de l’université de Stanford, lève un coin de voile sur le processus de manipulation de l’opinion en cours sur les réseaux sociaux.

…Nous avons identifié 94 Pages que nous attribuons avec un haut niveau de certitude au réseau Volcom. La plupart des Pages du réseau ont été créées à la fin de 2019 ou au début de 2020, et vingt-cinq d’entre elles ont été créées le 27 mars 2020. La plupart des Pages ont entre plusieurs centaines et plusieurs milliers d’abonnés, et quatorze en ont au moins 10 000 .

Deux pages du réseau Volcom

La plus importante (« Le coin des guinéens ») a plus de 250 000 abonnés, ce qui pourrait suggérer que presqu’un utilisateur Facebook guinéen sur cinq y est abonné. Aucune des Pages ne déclare que son contenu émane d’employés du parti RPG ou du gouvernement. Par exemple, dans sa section « A propos », la Page « Guinéens, Ouvrez les Yeux » déclare seulement être « créée par des analystes dans le but de dénoncer, critiquer et apporter des solutions sur les différentes mutations de la Guinée ».

Exemple de publication coordonnée sur plusieurs pages

Le réseau présente des formes de coordination, y compris la répétition de publications parfaitement identiques à travers plusieurs Pages. La publication ci-dessus par exemple, qui critique le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC), a été publiée presque simultanément le 31 mai sur au moins trois Pages Facebook : à 9h58 sur « Le Forum Républicain », à 10h00 sur « Guinéens, Changeons de Mentalité » et sur « Allons au référendum dans la paix et la concorde ». Plus tard ce même jour, la même publication est apparue sur deux autres Pages du réseau, « Le coin des guinéens » et « Pr Alpha Condé Pour Tous ».

Une telle activité de publication coordonnée est fréquente parmi les Pages du réseau. Un ensemble en particulier présente des activités de publication hautement coordonnées et comporte quinze pages qui totalisent près de 185 000 abonnés, soit environ 23 % des abonnés du réseau général, dont :

Dix ont un seul administrateur, localisé en Turquie, ce qui pourrait suggérer qu’un même individu ou entreprise pourrait être impliqué dans la gestion de ces Pages. Par ailleurs, sept autres Pages ont également un administrateur en Turquie, ce qui porte le total à dix-sept Pages dans le réseau. Bien que d’autres Pages au sein du réseau aient des administrateurs dans des pays étrangers, comme les Etats-Unis, la France, le Maroc, l’Espagne et l’Inde, le nombre de Pages administrées depuis la Turquie est bien plus important.

Les Pages des Volcom sont largement diffusées grâce à un réseau de comptes Facebook géré par les communicants du RPG. La plupart des utilisateurs qui « aiment », commentent ou partagent les Pages du réseau publient presqu’exclusivement du contenu sur Condé sur leurs propres profils personnels. Certains de ces comptes se présentent comme employés par le RPG Arc-en-Ciel, le parti de Condé.

Ces utilisateurs partagent des contenus issus des Pages du réseau sur leurs propres journaux ou sur des Groupes : les comptes individuels partagent souvent la même publication de nombreuses fois. Ils relaient ces publications dans des Groupes neutres, ou même d’opposition, qui ne sont pas contrôlés par Volcom, touchant ainsi un plus grand nombre de Guinéens. Bien que ces utilisateurs se livrent à des activités de publication coordonnées et que plusieurs utilisent clairement de faux noms, il ne s’agit pas nécessairement d’identités complètement fictives. Ainsi, les photos de ces comptes semblent bien être d’une seule et même personne, engagée dans diverses activités, souvent politiques.

Influence sur la politique guinéenne

La propagande politique et la désinformation en Guinée sont loin d’être inoffensives. Nos sources ont déploré l’illettrisme digital en Guinée, qui rend la population très sensible à la propagande sur internet. « C’est un immense problème en Guinée. Tout ce que les gens voient sur Facebook, ils s’imaginent que c’est la réalité. Il y a aussi beaucoup plus de fausses informations et de fausses actualités en Guinée. » Plusieurs de nos contacts ont exprimé la crainte qu’en nourrissant l’antagonisme entre partis, la désinformation n’accentue les tensions entre les groupes ethniques. Comme une personne l’a évoqué, « Nos lois mentionnent la cybercriminalité et prévoit des sanctions ; mais la mise en application, comme dans tous les domaines, pêche. (…) Il nous faut une société civile très dynamique et ouverte. Si aucun organisme indépendant ne contrôle l’action gouvernementale, la société civile doit garantir la transparence ».

Bien que les activités que nous avons découvertes ne suffisent pas à justifier une action répressive de la part de Facebook, comme la suppression des comptes, ou l’étiquetage des Pages, il nous semble que ces activités ne favorisent pas une vie politique transparente ou des élections équitables. Le cas de la Guinée soulève des questions plus larges : où et comment faire la distinction entre une campagne électorale moderne et des « actions inauthentiques concertées » ?

Zoe Huczok, 
Maitre assistant – Stanford
Jack Cable,
Chercheur en cybersécurité – Stanford,
Election Security Technical Advisor –

Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA)