La région de Boké, située à plus de 300 kilomètres au nord-ouest de Conakry, a été érigée en Zone économique spéciale en 2017. Dans cette région riche en bauxite se déroule l’essentiel de l’exploitation de l’or rouge dont le budget national est en grande partie tributaire. Mais cette exploitation, accélérée depuis 2017, affecte les communautés riveraines et leurs moyens de subsistance. Sans compensation adéquate. L’environnement en pâtit, avec la pollution qui s’intensifie au fil du temps. Les mesures d’atténuation, de réparation, prévues dans les différents plans de gestion sociale et environnementale des entreprises, ne sont pas au rendez-vous. Cette enquête fait partie de la série de 7 articles que Le Lynx vous propose sur la gouvernance économique en Guinée. Elle est réalisée avec l’appui d’OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).
La région de Boké est fréquemment le théâtre de violentes manifestations dues au manque des services sociaux de base, notamment l’eau et l’électricité. Alors que le Code minier de 2011, révisé en 2013, stipule en son article 130: «Tout titulaire d’un titre d’exploitation minière doit contracter une convention de développement local avec la communauté locale résidant sur ou à proximité immédiate de son titre d’exploitation minière.» Le même article précise que l’objectif de cette «Convention de développement local est de créer les conditions favorisant une gestion efficace et transparente de la contribution au développement local payée par le titulaire du titre d’exploitation minière, et de renforcer les capacités de la communauté locale dans la planification et la mise en œuvre du programme de développement communautaire.» Le montant de la contribution au développement local du titulaire d’un titre d’exploitation minière est fixé à 0,5 % du chiffre d’affaires de la société réalisé sur le titre minier de la zone pour les substances minières de catégorie 1, et à 1 % pour les autres substances minières. Selon le rapport de 2017 de l’ITIE-Guinée, les revenus du secteur extractif en 2017 totalisent un moment de 4 548, 2 milliards GNF, dont 99,96% proviennent du secteur minier et 0,04% proviennent du secteur des hydrocarbures. Sauf que sur le terrain, les réalisations des projets et des micro-projets dans le cadre des recettes attribuées aux communautés impactées, sont minimes. Ils se résument généralement à la réalisation des puits améliorés, des écoles, des forages et des rares postes de santé. «La pompe à pédale que nous avons est en panne depuis très longtemps, alors que les rivières commencent à tarir. Imaginez dans quelles conditions nous allons passer la saison sèche!», se désole une femme aux alentours du village du Talowolo, près des mines de la société d’UMS, situé à une douzaine de kilomètres de la commune urbaine de Boké.
L’Anafic et le Fodel dans tout cela ?
La Guinée dispose de deux mécanismes de développement des collectivités: l’ANAFIC, l’Agence nationale de financement des collectivités au niveau national, et le FODEL, le Fonds de développement économique local, consacré aux collectivités hébergeant des mines. Le Fodel a été lancé en décembre 2018 à Boké. Son but, contribuer au développement économique et social des communautés impactées par l’extraction des mines. Par exemple, pour la période de 2015 à 2018, une enveloppe de quelque 40,937 milliards de francs guinéens a été remise aux collectivités, aux structures d’appui et aux administrations de tutelle, notamment les administrations préfectorales, sous-préfectorales et régionales de Boké. Sur le terrain, l’impact de l’argent est minime et les communautés n’ont de cesse de dénoncer cette situation. Dans son rapport de décembre 2019, la PCQVP, Coalition guinéenne Publier ce que vous payez, s’est «rendu compte qu’il y a des engagements qui souffrent dans leur application dont le Fodel, consacré par l’article 130 du Code minier.» «Toutes les autorités que nous avons rencontrées nous ont dit qu’elles n’ont reçu aucun centime au titre du Fodel qui apporte la plus-value aux communautés impactées. Par exemple, si toutes les sociétés qui y exploitent la bauxite s’acquittent du Fodel, Boké va véritablement souffler en termes de mesures compensatoires. Il y a aujourd’hui des cours d’eau qui ont tari, des citoyens dépossédés de leurs terres. Le Code minier a été amendé depuis 2013, pourquoi alors les populations continuent de tirer le diable par la queue», s’interroge l’ONG.
Ce mécanisme de paiement (Fodel) semble mal ficelé: «Les redevances superficielles sont versées directement aux collectivités locales. Pourquoi donc ce Fodel ne peut-il pas verser directement aussi aux collectivités locales sans avoir besoin de transiter par des dispositifs budgétivores qui ne font que ralentir la procédure? Cela serait plus transparent et rendrait les collectivités plus compétentes dans la gestion de compétences qui leur sont transférées», explique un responsable de PCQVP. Cette lourdeur de procédure entraîne le plus souvent des détournements de fonds destinés à ces communautés impactées par les mines où les vrais concernés sont, du coup, mis à l’écart. Les plus récalcitrants sont domptés par quelques billets de banque. «Les seules retombées que Boké gagne de ses mines, c’est la poussière rouge, toxique, qui rend la vie impossible aux habitants», dénonce Mamadou Baadiko, député à l’Assemblée nationale.
L’Agence nationale de financement des collectivités dont la principale source de ravitaillement est constituée par les 15% des recettes minières redistribuées aux collectivités à l’échelle nationale pour financer leur plan de développement local, a du mal à produire les résultats escomptés. C’est de cette désobligeante réalité que se sont aperçues plusieurs ONG et associations évoluant dans le domaine des mines. «Nous sommes en train de mener un plaidoyer, surtout des travaux techniques allant dans le sens de l’adoption d’un document assez important qui n’a jamais été adopté en République de Guinée. C’est-à-dire un référentiel sur la compensation, l’indemnisation et la réinstallation des communautés», a indiqué Amadou Bah, le secrétaire exécutif de l’ONG Action Mines Guinée, lequel indique qu’il y a un vide juridique à ce niveau. Tout de même, selon le rapport 2019 de l’ITIE-Guinée, 191 microprojets PAI ont été réalisés en 2019 et 191 autres en cours de réalisation dans la région de Boké.
Pour un coût total des plans annuels d’investissement des 304 communes rurales et 33 communes urbaines de 491 924 250 000 francs guinéens. Selon l’ITIE-Guinée, la répartition du montant aux collectivités et administrations de tutelles concernées est la suivante: 95% des fonds sont destinés aux collectivités pour le financement des projets, tandis que 5% couvrent les activités de suivi et de supervision.
Le Code minier, en ses articles 23, 24, et 25 prévoit une indemnisation juste et préalable des populations impactées, mais «il se trouve qu’il n’y a pas encore de textes d’application allant en profondeur qui puisse décrire le processus et qui tienne en compte l’ensemble de ces droits légitimes des communautés. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de plaintes de la part des communautés, parce que la loi est encore incomplète. Mais, il faut avouer qu’à ce jour, les communautés sont victimes de la mauvaise compensation, parce que la compensation doit obéir à un certain nombre de normes et à un certain nombre de principes. Et surtout à un certain nombre de pratiques effectuées à l’international.» Amadou Bah soutient que les politiques conçues, élaborées, planifiées et exécutées par l’Etat ne sont pas cohérentes avec les besoins de la population. «Ce qui fait que le secteur minier ne peut pas à lui seul développer la Guinée, soutenir l’ensemble des besoins de la population afin d’éradiquer la pauvreté qui «s’est beaucoup accentuée» ces dernières années.
Selon le rapport 2019 de Natural Ressource Gouvernance Institute, intitulé Les mécanismes d’appui au développement local dans la législation minière en Guinée, en 2016, les revenus miniers reversés aux communes étaient de 61 milliards de GNF (6,7 millions de dollars des États-Unis). «Ils pourraient dépasser les 400 milliards de GNF annuels à partir de 2020. Les revenus miniers locaux étaient composés à 72% des paiements sociaux des entreprises envers les communautés, et le Fonds de développement local (FODEL) en aurait représenté 61% s’il avait été effectivement réservé aux communes», ajoute le rapport.
Mamadou Baadiko Bah, député à l’Assemblée nationale, a expliqué que ce n’est pas le FODEL ou l’ANAFIC qui ont échoué à faire bénéficier les communautés des retombées des mines, mais c’est toute la politique du gouvernement qui a échoué. «On est dans un système de parti-Etat. Parti prébendier où chacun doit prendre sa part. Donc, lorsque l’on reçoit un budget, tout le monde sait que c’est pour se le partager, ce n’est pas pour travailler. C’est pour cela qu’il n’y a pas corrélation entre l’énormité des moyens que l’on dégage sur le plan théorique et les réalisations des projets sur le terrain. Car, sur toute la chaîne, de haut en bas de l’échelle, chacun se sucre, détourne, prend sa part. C’est le système de prédation, de corruption et d’enrichissement illicite qui est à l’origine de cette dilapidation de richesses minières au détriment des pauvres communautés impactées», fustige-t-il.
Yaya Doumbouya