Ce dimanche 3 janvier 2021 ne saurait être que noir pour les Guinéens. Épris de liberté et de paix, assoiffés de démocratie et de justice, ils ne savent plus où donner de la tête. Ils se demandent « ce qu’ils ont fait au bon Dieu.» Comme ils aiment à le répéter à longueur de journée, d’ondes et de colonnes. Cette journée d’amertume aura enregistré deux événements pesants, pourtant plus qu’anodins sous bien des cieux.

Le premier relève d’une banalité déconcertante : la publication des résultats de la présidentielle au Niger. La CENI de là-bas a annoncé en toute transparence, en toute simplicité, dans la paix des cœurs et des esprits, que les Nigériens retourneront aux urnes le 20 février pour un deuxième tour qui opposera le candidat du pouvoir, Mohamed Bazoum, et l’opposant ordinaire, Mahamane Ousmane. Et puis, chacun s’est mis à vaquer à ses affaires comme si de rien n’était. Hanté par les fosses communes, récentes, de Macenta, comme celles de N’Nzérékoré à l’époque, troublé par 11 victimes officielles et notre incapacité congénitale de dire la vérité, un Guinéen n’a pu s’empêcher de se souvenir : « Nous nous sommes battus depuis 2007 pour vivre ce que vivent les Nigériens en ce moment. C’est beau une démocratie apaisée.»

Oui 2007, c’est l’année qui sonne dans la tête du Guinéen pour avoir été l’année d’une révolution que l’histoire de la dictature n’a pas encore enregistrée. Personne n’a encore réussi à la fixer définitivement. Pourtant, elle mérite mieux. Notre histoire vécue reste jalonnée de « premières». On peut au moins en citer deux. Le 7 janvier 2007, on a vu à Bambéto, des éléments des forces de l’ordre, les bérets aux yeux bien rouges du Général Lansana Conté tirer à bout portant sur des jeunes manifestants prêts à en découdre avec l’oppression. On était plus ou moins habitués à de telles scènes macabres. Mais ce 7 janvier 2007, les survivants ont ramassé les corps des victimes pour se diriger vers leurs bourreaux en exposant leurs poitrines. On les a clairement entendu demander d’être achevés aussi. Peut-être qu’un jour, Oyé Guilavogui apprendra à ses dépens que le combat pour la liberté n’a rien de commun avec la malédiction de Satan, encore moins celle de Belphégor.

Une semaine après, le 14 janvier 2007 à la Bourse du Travail de Boulbinet, à Kaloum, la CNTG prend son courage à deux mains pour aller déposer au président de l’Assemblée nationale, feu Aboubacar Somparé, la déclaration d’incapacité du Président Conté. Les syndicalistes ont demandé au président du Parlement d’aller soumettre la lettre formalisée à son homologue de la Cour Suprême pour action à prendre. Ce 14 janvier 2007, tout le monde s’est aligné derrière Hadja Rabiatou Sérah Diallo. Au départ de l’esplanade de la Bourse du Travail, il y avait en tout et pour tout 24 syndicalistes et sympathisants ainsi que deux journalistes. A l’arrivée du cortège au Palais du Peuple, tout Kaloum avait rejoint les rangs. La police n’a pas manqué à son devoir de distribuer ses gaz lacrymogènes, mais la lettre a été transmise à Aboubacar Somparé en bonne et due forme.

Quelque 13 ans plus tard, le dimanche 3 janvier 2021, ce n’est plus un militaire à la manque qui s’agrippe au fauteuil présidentiel pour semer la terreur dans le pays, mais un professeur de droit, ancien de la Sorbonne. Alpha Condé qu’il s’appelle. Opposant historique, quarante ans de combat pour arriver à chasser les Guinéens de chez eux, terroriser des voisins qui n’ont pas choisi de l’être.

Ce 3 janvier 2021, ce dimanche noir d’Alpha Condé, la Guinée a vécu la malheureuse coïncidence d’événements heureux chez deux membres du Front National pour la Défense de la Constitution. Abdourahmane Sanoh a organisé à son domicile de Soloprimo Koloma, le mariage de sa fille tandis qu’à la même heure, Ibrahima Diallo célébrait à Démoudoula la cérémonie de baptême de son premier enfant, un adorable garçon venu réclamer en toute innocence sa part de paix qui lui est naturellement due. Plus d’un ami d’Abdourahmane Sanoh n’a osé se rendre au mariage. De peur d’être indexé par le système répressif du Grimpeur. Quant à l’heureux père du petit Mamadou Mouctar, il est dans la nature, un clando dans son pays natal. Pour avoir la justice et la démocratie. Déjouant à la fois filatures et délations. À Mme Diallo, le four et le moulin. Plutôt le four que le moulin. C’est l’alternative que le régime d’Alpha offre à ceux qui lui succèdent dans le noble combat pour la vraie liberté. Juste celle en vigueur au Niger. Ne vous méprenez guère si les Guinéens expriment leur jalousie vis-à-vis des Nigériens. Ils savent de quoi ils parlent !

DS