Après Dubréka (le 27 janvier), Kaloum, Dixinn et Matam (le 30 janvier), les engins casseurs du ministère de la Ville et de l’Aménagement du territoire ont débarqué à Ratoma, puis à Matoto, le 4 février. Le but ? Poursuivre l’opération de déguerpissement afin de libérer les emprises publiques pour le bonheur des citoyens. Dans la commune de Matoto, l’opération a été lancée en présence du chef de cabinet du gouvernorat de Cona-cris, des cadres du département de la Ville et de l’Aménagement et du maire de cette commune. Là, plusieurs emprises publiques ont été dégagées. Motels, bars, restaurants, cafés, salons de coiffure, ateliers, ont été démolies.

 «Le but visé est de dégager complètement les artères et les emprises de la voirie afin de permettre aux véhicules et aux piétons de se déplacer normalement. Comme vous le comprendrez, le problème guinéen, c’est le Guinéen. Tout le monde aime parler de l’Etat, mais l’Etat, c’est qui ? C’est nous tous. Il y a en a qui savent qu’ils n’ont pas l’autorisation de construire sur les emprises. Mais ils viennent avec audace construire pour empêcher la meilleure circulation des véhicules et des piétons. Et quand c’est comme ça au niveau de nos villes, je pense que tout le monde est embêté», explique Toupou Koidouze, chef de cabinet au gouvernorat de Conakry.

Mamadouba Tos Cas-marrant, le maire de Matoto,a indiqué que ce sont des occupations anarchiques qui ont été dégagées des voies publiques. Pour lui, l’opération constitue une opportunité d’aménagement et de viabilisation des emprises publiques, via AFICCON, Agence de financement des communes de Conakry dont le budget a été voté récemment. A l’en croire, des parkings, des espaces de divertissement et autres espaces verts seront réalisés. Il déclare : «Cette opération ne vise personne. C’est dans l’intérêt des citoyens. La meilleure façon d’informer le citoyen est de venir mettre la croix sur le bâtiment pour lui signifier que ce qu’il a fait est anormal. C’est une façon aussi de le prévenir qu’il doit prendre ses dispositions avant des actions contraignantes. Mais, si le citoyen s’entête jusqu’au jour du déguerpissement, est-ce qu’il aura raison d’accuser l’autorité ?» Selon l’élu de Matoto, la police municipale veillera sur ces emprises.

Mamadouba Camara, vendeur d’accessoires de téléphone, a assisté à la démolition de son lieu de négoce, à la Tannerie : «On n’y peut rien. Heureusement, j’ai pris toutes mes affaires. J’ai enlevé la tôle, arraché les fenêtres et la porte de ma boutique. Pour le moment, je n’ai pas où aller. Toute ma marchandise est à la maison et je ne sais plus quoi faire.»

«C’est injuste. Nous avons été installés par les autorités du marché qui perçoivent chaque mois notre argent, sans nous dire que nous allons être déguerpis. Maintenant, comment nous allons faire pour nourrir nos enfants, payer leur scolarité ? C’est triste, dommage ! Nous demandons au Président Alpha Condé de nous aider», plaide une vendeuse de condiments dans un conteneur, près de Matoto. Selon nos confrères d’Africaguinée, plus de 4 000 maisons sont menacées de démolition dans le quartier Kakoulima-rail, à Coyah. Selon un habitant que nous avons joint, de nombreuses maisons ont été marquées à la croix rouge et les habitants sont sommés de quitter. Mais aucune date de la casse n’a été annoncée à ces habitants.

Bah Oury désapprouve la méthode

Les démolitions se font sous l’œil impuissant des proprios. Sans aucun dédommagement. Le leader de l’UDRG, Union des démocrates pour la renaissance de la Guinée, a fustigé la méthode de déguerpissement choisi par le goubernement. Le 5 février, chez nos confrères de l’AGP, Bah Oury a estimé que le goubernement aurait créé des endroits de négoce afin de permettre aux citoyens de se débrouiller, au lieu de les déguerpir manu militari. Aussi on aurait pu les recaser, ne serait-ce que momentanément. Mais, « rien n’a été fait à ce niveau. Certaines victimes ont peiné pendant des décennies pour bâtir une maison où logent. En tant que puissance publique, vous n’avez pas le droit de détruire le logement d’une famille sans pour autant lui permettre d’avoir un autre endroit où loger. Donc ça, c’est des attitudes qui manquent d’humanisme, qui frisent un certain mépris vis-à-vis de la population. C’est contraire à la devise de la Guinée travail, justice, solidarité », mentionne-t-il. Il a également désapprouvé la présence des agents de sécu-raté pendant le déguerpissement. 

«La solidarité veut dire que lorsqu’il y a des personnes qui souffrent, la puissance publique a l’obligation de leurs venir en aide. Mais des gens qui étaient logés quelque part, qui avaient les moyens de trouver de quoi survivre, vous détruisez tout cela, vous les réduisez à la pauvreté, sans logement, sans mesure de subsistance et vous les laissez dans la rue», renchérit le leader de l’UDRG.

Yaya Doumbouya