Les Centre-Africains ne sont pas les seuls à avoir ressenti la nécessité de remettre en cause les indépendances africaines. Par dépit. Par expérience. Des années après la bâtardise des Soleils des Indépendances d’Ahmadou Kourouma, la proposition du Camerounais, Guy Gweth, de recoloniser l’Afrique. Fondée, celle-là, sur le bilan des 60 ans de liberté du continent. Que les souverainistes liront, le nez entre le pouce et l’indexe :

Financial Afrik Vous avez récemment publié une étonnante tribune intitulée «Faut-il mettre l’Afrique sous la tutelle des Nations Unies ?» Fervent défenseur d’une Afrique autonome et compétitive, comment en êtes-vous arrivé-là ?

Guy Gweth : Au cours des quinze dernières années, mon métier a été de vendre l’Afrique aux investisseurs internationaux, aux chefs d’entreprises étrangers et de la diaspora, aux touristes, aux chercheurs et aux étudiants du reste du monde. Parmi nos principaux arguments de vente, outre la croissance, la consommation des classes moyennes, l’amélioration du climat des affaires, il y avait les progrès de l’Etat de droit, le renouvellement des élites et l’avancée de la bonne gouvernance. Les pays modèles étaient alors Maurice, Rwanda, Maroc, Sénégal, Ghana et… Côte d’Ivoire. La vague des mandats de trop, le retour des coups d’Etat, la persistance des drames migratoires et l’aggravation de l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne nous ont mis du plomb dans l’aile. Devant ce tableau, la remise en cause était inévitable, à la fois parce que ces phénomènes sont le produit d’une trahison et parce qu’ils sont aigus au moment de faire le bilan de 60 ans d’indépendance en Afrique. 

A ce propos, votre audit des 60 ans d’indépendance africaine a été publié par Financial Afrik sous forme de chroniques depuis fin octobre 2020. Peut-on avoir la quintessence de vos conclusions?

J’aurais voulu commencer à publier ces chroniques plus tôt, mais la convocation, par le président congolais, Sassou Nguesso, d’une conférence internationale, le 24 octobre à Brazzaville, à l’occasion des 60 ans des indépendances des pays francophones m’a encouragé à patienter. J’ai vivement souhaité que cette manifestation soit le prétexte d’un débat libre et contradictoire sur le bilan de nos Etats, 60 ans après. Nos travaux concluent à un échec d’une ampleur telle qu’elle explique sans doute pourquoi certains estiment que «l’homme noir n’est pas assez entré dans l’histoire». Avec quels discours et quelles démonstrations répondra-t-on à cela si, 60 ans après les indépendances, nous n’avons pas eu la possibilité de construire des hôpitaux capables de soigner nos dirigeants dans leur pays, des hôtels capables de les accueillir pour les vacances, des écoles capables d’éduquer leur progéniture, des banques capables de sécuriser leurs avoirs, des médias capables de les interviewer, des tribunaux capables de les juger sur le territoire national ?

Qu’il soit entendu que tout n’a pas été un échec. Loin de là. Mais nous avons essentiellement échoué à contribuer à l’évolution du monde moderne, à la hauteur des espoirs qui avaient été placés en nous en 1960. C’est parce que l’impact de cet échec est devenu un danger pour l’Afrique et pour le reste du monde que j’en appelle à une tutelle des Nations unies sur l’Afrique. Car au-delà de la fierté d’avoir des bourreaux qui nous ressemblent, notre jeunesse a besoin d’un cadre, de normes et d’arbitre pour laisser éclater son génie. 

Comment verriez-vous cette tutelle ?

Souvenez-vous qu’en 1945, le Conseil de tutelle avait été institué par la Charte de l’ONU, en vertu de son chapitre XIII, pour assurer la surveillance à l’international des 11 territoires placés sous l’administration de sept États membres, et garantir que les mesures appropriées étaient prises pour préparer les territoires à l’autonomie ou l’indépendance. Le 1er novembre1994, l’ONU a estimé que tous les territoires sous tutelle avaient acquis l’autonomie ou l’indépendance, soit en tant qu’État à part entière, soit en s’intégrant à des États voisins. La reconnaissance des Îles du Pacifique comme 185ème État membre de l’Organisation a sonné le glas du Conseil. Estimant que sa mission était accomplie, l’entité a modifié son règlement intérieur. Désormais composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité que sont la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie, elle se réunit de plus en plus rarement.  Dans le cas de l’Afrique, en l’absence de véto, on pourrait lui adjoindre des puissances telles que l’Allemagne, le Japon et l’Inde qui jouent également un rôle de premier plan en Afrique. Se fondant en cela sur les trajectoires de nombreux Africains issus de la diaspora, mon opinion est que, placée dans les mêmes conditions que les autres jeunes du monde, la jeunesse africaine est capable de tutoyer les plus hauts sommets. Une tutelle de l’ONU, sur 30 ans, pourrait fournir ces conditions avant de repenser à l’indépendance.

Dans ce cas, par quel mécanisme les pays africains retrouveront-ils leur autonomie internationale ?

Je suis pour une grille de notation permettant aux pays sous tutelle des Nations unies de retrouver leur autonomie internationale. Une souveraineté à points ou une indépendance au mérite, si vous préférez, aurait l’avantage de rendre compte d’un niveau de maturité quantifiable et mesurable. Tout en permettant aux meilleurs de se démarquer, une telle grille aurait, par son homogénéité, l’avantage de contribuer au véritable panafricanisme que les Africains attendent techniquement depuis 1963… On n’arrive pas à une telle conclusion sans amertume. Mais après 60 ans d’expérience, il est permis de changer de logiciel et d’engager les cibles dans la conduite du changement.

Certaines critiques estiment que votre proposition de tutelle fait le jeu des puissances, qu’elle ramène l’Afrique en arrière… Que répondez-vous à cela ?

Je comprends et accueille ces critiques avec empathie. La souveraineté de l’Afrique ou ce qui en tient lieu est un sujet qui déchaîne beaucoup de passions contradictoires et paradoxales. Contradictoires parce que vous avez, d’un côté, des analystes qui estiment que les indépendances acquises dans les années 60 n’en sont pas, que les puissances colonisatrices continuent de tirer les ficelles, aidées en cela par l’élite au pouvoir. C’est ce qu’on peut lire, en filigrane, dans une lettre ouverte adressée le 26 août 2020 par Guillaume Soro au président Macron. Il écrit : « Votre parole est attendue en Côte d’Ivoire… » 

De l’autre côté, vous avez ceux que l’on pourrait qualifier de souverainistes. Pour eux, l’indépendance acquise en 1960 est irréversible. Ils ont le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de leur Etat chevillé au corps, sauf lorsqu’il s’agit de faire appel à l’aide internationale… Ce qu’il y a de paradoxal dans l’affaire, c’est qu’une partie de l’opinion dont les libertés et le génie sont bridés par des gouvernements liberticides, illégitimes ou incompétents  se crispe lorsque j’en appelle à une tutelle dont le but sera de fournir un cadre consensuel, des normes justes et équitables et un arbitrage international. Avec une tutelle de l’ONU, nos apprentis Etats connaîtront sans doute plus de justice sociale, plus de respect des droits humains, moins de corruption et d’insécurité et pas d’interprétation constitutionnelle… 

En clair, une meilleure gouvernance permettrait, a minima, de disposer d’une assurance maladie et d’un salaire minimum décent sur l’ensemble du continent africain, pour ne citer que quelques retombées du quotidien. En échange, le reste du monde pourra tabler sur un géant redevenu le foie de la planète, le berceau de l’humanité.

Guy Gweth est responsable du programme Doing Business in Africa à Centrale Supelec et à l’EMLyon Business School depuis 2012. Il a été professeur à l’Ecole de guerre économique de Paris, à l’Institut des hautes études de défense nationale français, à la BGFI business school de Libreville et à l’université de Reims. Président en exercice du Centre africain de veille et d’intelligence économique (CAVIE), il est le fondateur de Knowdys Consulting Group (KCG).