Si le futur président nigérien avait encore un doute sur ce qui l’attendait et serait la priorité de ses priorités, il doit être définitivement fixé depuis le dimanche 21 février 2021. Alors que les électeurs s’étaient de nouveau rendus aux urnes pour le second tour de la présidentielle, sept agents électoraux ont été tués à Dargol, dans la région de Tillabéry, après que leur véhicule a sauté sur un engin explosif improvisé. Le premier tour, on se rappelle, avait été aussi endeuillé, notamment dans la région de Diffa où des dizaines de villageois ainsi que le fameux «marcheur pour la paix» avaient été froidement assassinés.

Ces sept nouvelles victimes viennent ainsi s’ajouter à l’interminable chapelet de morts qui s’entassent jour après jour depuis de nombreuses années au Niger et dans les autres pays de la bande sahélo-saharienne dont le Burkina et le Mali. Sans que la Coalition internationale, formée par la France, les Etats membres du G5 Sahel, la MINUSMA et la Force européenne Takuba, parvienne à éradiquer ce cancer qui ronge toute la sous-région et menace maintenant de se métastaser au Golfe de Guinée, notamment à la Côte d’Ivoire et au Bénin.

Que les sept suppliciés de Dargol aient été visés ou que les malheureux aient eu la malchance d’être « au mauvais moment au mauvais endroit » comme on dit, c’est la démocratie et les valeurs de liberté, de tolérance, de vivre-ensemble dont elle est porteuse qui ont été ciblées par la déflagration dans ce « Triangle de la mort » qu’est devenue la Zone dite des trois frontières, sur laquelle se concentrent pourtant depuis un an les efforts des armées coalisées. Lors du sommet du G5 Sahel tenu les 15 et 16 février derniers à N’Djamena au Tchad, le président français, Emmanuel Macron, et ses homologues africains ne se gargarisaient-ils pas des acquis enregistrés sur ces arpents de terres hostiles ? « Causez toujours, nous on continue de faire couler le sang », semblent leur répliquer une semaine après ces vampires qui ne cessent de se repaître de l’hémoglobine d’innocentes populations au nom d’une cause obscurantiste et moyenâgeuse.       

C’est donc pour ainsi dire dans la  mare de sang recueilli par le trou béant de l’explosion que la centralisation des résultats, leur vérification et leur proclamation par la Commission électorale nationale indépendante a commencé la nuit de dimanche au fur et à mesure que les données électorales étaient acheminées des bureaux de vote au palais des Congrès de Niamey en transitant par les commissions communales et régionales.

De Mohamed Bazoum du Parti nigérien pour le développement et le socialisme (PNDS-Tarraya) ou de Mahamane Ousmane du Renouveau démocratique et républicain (RDR-Tchandji), qui aura donc la faveur des urnes pour succéder à Mahamadou Issoufou début avril à la faveur de la toute première passation pacifique et démocratique du pouvoir ? Même si le candidat de la majorité a toujours fait office de super favori, particulièrement depuis le ralliement dans l’entre-deux-tours de poids lourds à sa cause, jusqu’à hier en début de soirée, il était en réalité difficile de répondre de façon formelle à cette question tant les chiffres diffusés jusque-là étaient encore partiels et même trop parcellaires (seulement une centaine de communes sur les 26 000 que compte le territoire) pour qu’une tendance lourde s’en dégage.

Qu’à cela ne tienne, le premier président démocratiquement élu du Niger en 1993, un certain Mahamane Ousmane, qui désespère de retrouver son fauteuil perdu en 1996 par suite de coup d’Etat, comme s’il sentait déjà passer le vent du boulet, n’aura même pas attendu le début de la publication des résultats pour tenir des propos comminatoires, son devoir civique à peine accompli. « Le suffrage des citoyens doit être respecté. Si jamais les citoyens constatent que ces élections ont de nouveau été truquées, je crains que la situation soit difficile à gérer », a-t-il en effet menacé depuis son fief de Zinder où il a voté ; alors que la plupart des observateurs indépendants s’accordent à dire que le scrutin a été libre, transparent et mieux organisé que le tour précédent.

Il faut de ce fait espérer qu’en chauffant ainsi à blanc ses partisans pour défendre leur plus qu’improbable « victoire », il ne sera pas le Donald Trump nigérien qui va troubler la quiétude sociale et que, du haut de ses 71 ans, la sagesse prévaudra en fin de compte s’il devait échouer. Aucun fauteuil, soit-il le plus moelleux de la république, ne mérite qu’on mette le feu au pays alors que Dargol vient de nous rappeler de la manière la plus sanglante où se trouve l’urgence au-delà des ambitions personnelles inassouvies.

En tout état de cause, il est certain que, pour leur part, les Guinéens ne feront aucune grise mine au cas où les quatre millions d’Euros qu’Alpha Condé a tirés de leurs veines pour donner à M. Mahmane Ousmane prendraient le chemin de la perdition. Ils y sont largement habitués.

Avec l’Observateur Paalga, Burkina Faso