Le premier ministre a sacrifié à la tradition républicaine de se présenter devant la représentation nationale pour son discours de politique générale. L’exercice fut aisé pour Ibrahima Kassory Fofana. La cérémonie fut belle dans sa forme républicaine sans algarades, vue de l’extérieur, tout était parfait. Mais, parlons sérieusement et cessons de jouer au mauvais théâtre.
Dans une République qui respecte ses institutions, la prééminence du président qui est élu est consacrée. Le président décide. « Il définit la destination ; le premier ministre, l’itinéraire, » pour paraphraser Gilles Boyer, ancien conseiller du premier ministre français sur RFI . C’est dire que le Président définit l’action du gouvernement et le premier ministre conduit cette action et à ce titre il est chef de l’administration. C’est dans cet esprit qu’il est amené à soumettre au parlement pour approbation a priori et contrôle a posteriori les politiques publiques qu’il est chargé de piloter dans la mise en œuvre de l’action gouvernementale. Une telle république repose sur un État viable et performant.
En Guinée, Alpha Condé est le premier à dénoncer depuis 10 ans, l’absence de l’Etat. Ce qui est vrai et se manifeste dans le fonctionnement des pouvoirs publics et de toutes les institutions de la république.
Le président Alpha Condé préside, donc il est à l’initiative et « les initiatives présidentielles » connues ou inconnus sont chantées sur toutes les antennes des médias publics. C’est aussi lui qui conduit l’action du gouvernement, allant jusqu’à contrôler la présence des fonctionnaires à leurs postes de travail. Mais aussi surveiller par des contrats de performances le fonctionnement et la réalisation des objectifs assignés aux services publics. Il est ainsi à l’initiative mais aussi à l’action. Il est aussi le président qui a affirmé sur RFI avoir « donné l’ordre au gouverneur de Boké, d’arrêter le syndicaliste. » Or, l’initiative de l’action publique est du ressort du procureur de la république. Il n’est pas celui du gouvernement, encore moins du Président. Le procureur et le président sont de la République.
Alors que dire de cette campagne de déguerpissement couverte par la Radio-Télévision Nationale, avec des prises de paroles publiques des autorités (ministre, gouverneur et autres agents préposés) que le président déclare au premier ministre ignorer le donneur d’ordre ? Les Guinéens peuvent-ils croire un seul instant un collaborateur d’Alpha condé qui qu’il soit se hasarder dans une action destructrice et traumatisante pour les populations pendant plusieurs mois, sans en référer à son autorisation. C’est incroyable, impensable, inimaginable et inacceptable.
Alors, qu’est-ce à dire? Le pouvoir étant exercé à l’initiative, à l’action, au contrôle par une seule personne, à savoir le président de la république, il est évident que nous assistons à des situations cocasses dans une cacophonie insoutenable à la limite de l’injure à l’intelligence des Guinéens. Tous les Guinéens sont conscients et convaincus que tout, en Guinée, part du président en termes de directive et revient au président en termes de rapport et de compte rendu. .
Gouverner autrement devrait être en priorité le respect de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, avec la consécration de l’indépendance de ces pouvoirs. La constitution, il est vrai, consacre cette indépendance mais la dépendance à l’exécutif pour des raisons d’intendance et d’intérêt matériel empêche l’indépendance du juge et du législateur. C’est à ce niveau qu’il faut commencer la réflexion sur l’indépendance des pouvoirs. Si l’autonomisation des femmes est une priorité des politiques publiques, l’autonomisation des juges et des législateurs devrait être prioritaire et primordiale. Dans les mêmes soucis de doter la république d’un État, il est une urgence nationale du gouverner autrement de qualifier et moderniser l’administration par la responsabilisation des fonctionnaires à chaque niveau de la pyramide mais aussi expliquer au président qui met ses ministres à l’école qu’il devrait se soumettre à l’exercice de l’apprentissage du fonctionnement des institutions. La Gestion de l’administration est du ressort exclusif du premier ministre qui, de ce fait , assure la gestion des hauts fonctionnaires au travers du secrétariat général du gouvernement et celle des fonctionnaires au travers du ministère de la fonction publique chargé de la gestion du catalogue des emplois de celle-ci. Ce catalogue impose de respecter l’adéquation du profil au poste occupé par le fonctionnaire.
Que le président fasse cet effort, il gouvernera autrement dans la sérénité, avec efficacité et efficience. Un vœu pieux au président des tortues.
Lansana Bangoura