Sorti du gnouf le 7 septembre dernier, Etienne Soropogui, prési du mouvement « Nos valeurs communes », a adressé une missive au chef de la junte, le colonel Laye-M’a-dit Doum-bouillant. Etienne Sorop a remercié le prési de la transition de l’avoir sorti, avec bien d’autres, de l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie qu’il qualifie de goulag. Il demande aussi au Doum-bouillant de ne pas céder aux tentations ou aux manipulations, pour prolonger indéfiniment la transition. Lisez plutôt l’intégralité de la missive !
Monsieur le Président,
Le 5 septembre 2021, pendant que vous preniez vos responsabilités devant l’histoire en faisant bouger les plaques tectoniques de notre pays, j’étais encore en détention sous le joug d’une dictature exécrable. Je n’avais aucune idée de quand-est-ce que je sortirai de cette forteresse devenue un goulag pour les hommes de conscience, une prison au sommet d’un système oppressif et de terreur qui avait fini par étouffer le peuple dans son entièreté.
En réalité, je commençais à trouver mes aises en ces lieux, pourtant si inhospitaliers aussi curieux que cela puisse paraître, je n’avais aucune intention d’en sortir, en tout cas, pas dans le contexte d’avant le 5 septembre 2021. Surtout que le prix à payer pour en sortir était de renoncer à mes principes revendiqués et de rompre ma fidélité à mes idéaux.
Pour moi, vivre dans un pays où on est constamment exposé aux aléas et aux hasards d’être persécuté et arrêté à cause de ce que l’on dit, à cause de son opinion et de sa conscience, était infiniment plus difficile à supporter que purger une peine de prison.
Étant donné que je n’étais pas prêt à plier l’échine en allant à CONOSSA et à ramper face à la dictature; et pour éviter de faire des allers et retours entre la prison et la maison, j’avais décidé d’y établir mes quartiers et d’y installer mes pénates, parce que je préférerais nettement être détenu par mes adversaires que d’être mon propre geôlier sous une forme d’incarcération en liberté.
À l’instar donc de ma modeste personne, c’est toute la Guinée que vous avez libéré le 5 septembre d’un système de gouvernance qui avait fini de saper nos assises et nos fondations et menaçait dangereusement de mettre en péril notre sécurité à tous.
Permettez qu’on salue votre courage, vous et vos compagnons et qu’on vous en remercie.
En décidant de prendre vos responsabilités, vous avez montré que votre obligation envers le peuple l’emporte sur la loyauté envers un individu.
Monsieur le Président,
Il est extrêmement important que nous comprenions tous, que notre allégeance Commune à la nation guinéenne, n’engendre pas que des privilèges particuliers pour certains, elle s’accompagne aussi et surtout d’obligations pour tous, indépendamment de nos rangs, de nos qualités et statuts.
Donc, l’acte que vous avez courageusement posé constitue un pas important dans le processus de restauration et de rectification de l’équilibre institutionnel désagréablement rompu de manière mésavenante par l’ancien Président.
Monsieur le Président,
Le mobile le plus important de la nature humaine est le désir d’être important, d’être reconnu. C’est un désir inextricable, une ambition dévorante et aveuglante que le révérend Martin Luther King a appelé l’instinct du « TAMBOUR MAJOR ».
Pour le Révérend King, c’est un désir profond que nous éprouvons tous d’être célébrés pour notre grandeur, d’être glorifiés, exaltés et loués pour notre splendeur, que tout le monde se lève quand nous faisons notre entrée dans une salle, que tout le monde gare sa voiture quand notre cortège passe ou encore qu’on nous étale un tapis rouge à notre descente d’avion.
La différence entre les grands hommes, ceux qui veulent marquer l’histoire de leur pays et pourquoi pas de l’humanité et les autres, c’est la capacité des premiers à pouvoir conjurer ce genre de pulsions destructrices et égoïstes en mettant leur appétit de grandeur au service d’objectifs et de causes moins intéressés.
Et pour nous qui vous suivons depuis votre avènement au pouvoir, nous savons vos intentions extrêmement louables pour notre pays. Les actes que vous posez au jour le jour ont su convoquer en nous nos émotions les plus nobles, et votre discours s’adresse à la fois à nos cœurs qu’à notre intellect.
Nous avons entendu votre intention d’impulser un nouveau type de pratiques politiques aux antipodes de celles fossilisées des décennies. Il y avait justement une nécessité et une urgence que le pays soit, pendant cette parenthèse, sous le leadership et la direction de quelqu’un qui a une posture et un regard neutre et impartial, pour lui donner une direction morale et éthique claire ainsi qu’un cap nouveau, et qui n’agirait pas en fonction ou sous l’influence de pesanteurs de toutes sortes afin de corriger certains déséquilibres structurels et institutionnels majeurs.
Mais attention, Monsieur le Président,
En Guinée, être Président est plus difficile que devenir Président. Nous sommes dans un pays où les sentiments et les ambitions les plus louables, comme les vôtres, peuvent être dévoyés et détournés pour être mis au service et au profit d’objectifs cyniques, d’opportunisme et de cupidité.
Sinon, comment comprendre un seul instant, que Monsieur Alpha Condé, dont la réputation allait bien au-delà de nos frontières, pour sa constance politique et la fidélité à ses idéaux, ait pu ainsi trahir et renier si profondément les valeurs et les principes pour lesquels il s’est si longuement battu.
Monsieur le Président,
Vous n’aurez d’autres choix que de vous méfier de certaines personnes, parce qu’elles ont le don prodigieux et une obstination dénuée de tout scrupule de pouvoir convertir vos louables intentions afin qu’elles servent leurs intérêts égoïstes et leurs appétits cupides.
Vous devez résister à la tentation de vous laisser bercer par leurs mélodies subtiles et corrosives.
Il y a une différence entre ne pas se livrer à la chasse aux sorcières et s’engager à mener une opération de salubrité publique. Mais en même temps, il faut absolument refuser de diviser les Guinéens entre vous et nous.
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont assez sérieux, nous avons besoin pour les régler d’un consensus national. Ils ne sauraient être réglés par un héros Solitaire. Vous aurez besoin d’alliés stables qui partagent avec vous vos idéaux.
Pour terminer Monsieur le Président,
Vous n’avez pas le choix entre jouer ou non un grand rôle pendant cette période de transition. Le choix que vous avez, c’est entre le jouer bien ou mal. Nous vous souhaitons ardemment et en toute honnêteté de le jouer bien.
Bonne chance Monsieur le Président !
Etienne Soropogui
Président du Parti Nos Valeurs Communes